Une nuit, une femme sonne à notre porte. Elle perdait les eaux et les contractions commençaient à être intenables. Elle puait l'alcool mais même étant ivre, elle criait de douleur. On pouvait en déduire à quel point la souffrance était intense. Elle est venue chez nous pour quémander de l'aide pour mettre fin à sa souffrance et l'accoucher. Elle brandissait sa carte d'identité tout en criant le martyr. Elle était sans abri et ne savait que faire. Les gens du quartier l'ont sûrement montré la maison du docteur.
Vu les contractions déjà très poussées et l'état d'ébriété de la femme, l'option la moins risquée était de l'amener d'urgence vers un centre hospitalier. Nous l'avons installée dans la voiture et nous sommes allés aux urgences du HJRA. Ces derniers nous ont envoyé vers le pavillon Sainte Fleur qui était plus à même de la prendre en charge. Nous avons expliqué la situation et là surprise : le personnel médical de garde a refusé ne serait-ce que de la voir car le service serait payant, une clinique privée.
Nous avons essayé de faire comprendre au personnel médical, au chef de service que cette personne nécessite une prise en charge d'urgence et que nous l'avons amené là car la tête de l'enfant était déjà en train de sortir. Les réponses que nous avons eues tournaient essentiellement autour de l'argent, rien que l'argent. Nous avons essayé de raisonner et de rappeler à l'équipe leur sermon de soigner et de sauver avant toute chose.
Nous avons insisté qu'au moins, ils auscultent la patiente, lèvent l'urgence pour que nous puissions par la suite l'emmenée ailleurs. C'est là où on nous répond avec beaucoup de méprise et de froideur que ne serait-ce que pour prendre un gant afin d'ausculter cette femme, elles (car à part le brancardier, tout le personnel était des femmes) doivent avoir l'autorisation car cela engagera de l'argent.
Combien coûte la vie d'une femme, et de cet enfant ? Voici la réponse : elle ne vaut pas le prix d'un gant en latex. Soit, pas plus de deux mille Ariary.
Fou de rage, de déception et de dégout, nous avons conduit cette femme à l'hôpital Befelatanana qui a accepté de la prendre. Nous avons payé le nécessaire et nous l'avons laissée là en espérant qu'elle puisse s'en sortir et priant fort que l'enfant puisse vivre.
Voici ce qui se passe, ici et maintenant. La vie d'une femme, médiante ou pas, est une vie mais elle ne vaut pas plus que le prix d'un gant en latex. Pourtant sur leur site, cet établissement parle de charte de qualité, de fournir un soutien à ceux qui sont oubliés ou exclus par la société ; que le personnel accueille les patients sans distinction de religion, d'ethnie, de conditions sociales ou de nationalité. Que l'établissement garantisse la qualité de l'accueil, du traitement et s'engage à prodiguer des soins de qualité. Mais aussi, que le patient est traité avec égard. Finalement, que le Pavillon Sainte Fleur est attentif à la prise en compte de la douleur et s'engage à mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour assurer à la patiente et aux bébés le minimum de souffrance physique et morale.
La situation des droits des femmes à Madagascar est dramatique et on fait mine de ne pas le reconnaitre en travestissant l'essence même de la journée internationale des droits de la femme. Les autorités jouent aux hypocrites, les hommes églises corrompent en se cachant derrière la bible tout en cachant les violeurs et les pervers.
Nos mots sont durs à entendre car c'est la vérité. Chaque année, nous " fêtons " la femme Malagasy le 8 mars tout en muselant ses droits le reste de l'année. S'il est aussi important de mettre en avant les talents, les métiers, la beauté de la femme Malgache, pourquoi ne pas inventer une journée voire un mois national pour ce faire ?
Pendant que nous gesticulons, que nous évitons de prendre pour sérieux nos responsabilités envers les droits de la femme, nous n'avancerons jamais et une vie ne vaudra pas plus qu'un gant en latex.