Tunisie: Réformes des entreprises publiques - Un chantier qui urge !

Avec des pertes colossales qui grèvent le budget de l'Etat, l'urgence de la réforme des entreprises publiques n'est plus à démontrer. Nécessaire et salutaire, cette réforme passe, cependant, par la révision de la relation de l'Etat avec ses entreprises.

La réforme du secteur des entreprises de l'Etat vise, essentiellement, à les revigorer et à en faire des sociétés concurrentielles et performantes. La privatisation n'est pas un but en soi. Une bonne gouvernance, une meilleure transparence, une plus grande efficacité au service de l'économie et des services publics... La réforme doit être réalisée dans une visée d'efficacité. L'efficacité du marché n'est-elle pas l'essence même de toute réforme économique? La création des entreprises publiques dans plusieurs secteurs d'activités, y compris les secteurs dits "concurrentiels", était justifiée par la volonté de faire de ces entreprises un tremplin vers le développement des secteurs stratégiques, et ce, en ayant un accès au financement et en jouant le rôle de locomotive économique. Sauf que, ces entreprises devenues, pour la majeure partie, déficitaires, pèsent aujourd'hui, lourd sur le budget de l'Etat et souffrent de dysfonctionnements structurels les empêchant d'assurer des services publics de façon optimale et d'atteindre les objectifs qui leur sont assignés.

Une contre-performance confirmée

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En 2022, le total des transferts de l'Etat au profit des entreprises publiques a culminé à 12,4 milliards de dinars, accusant une hausse de 15,6% (par rapport à 2021), tirée par l'évolution des transferts effectués au profit des entreprises du secteur économique (+15,5 %). Ce montant représente près de 29% des dépenses budgétaires et 9,3% du PIB. Les entreprises publiques opérant dans le secteur économique se taillent la part du lion avec un total de 8.787,6 millions de dinars, soit près de 70,7% de l'ensemble des transferts réalisés en 2022. Depuis 2019, ces dépenses vont crescendo, enregistrant une croissance moyenne de 12,8%. Les transferts au titre des dépenses salariales se sont élevés à 1,2 milliard de dinars, tandis que les fonds transférés au titre des investissements n'ont pas dépassé les 814 millions de dinars.

D'autres indicateurs mettent, par ailleurs, en lumière les difficultés financières chroniques que traînent les entreprises publiques. En effet, au fil des années, leur déficit n'a cessé de s'alourdir, alors qu'elles peinent à se mettre en branle et renouer avec la performance et la rentabilité. Le récent rapport du ministère des Finances sur les entreprises publiques a révélé, qu'en 2020, 81 entreprises sur un total de 111 entreprises et établissements publics ont enregistré un résultat net global déficitaire de 2.455 millions de dinars, soit une baisse de 1.280% par rapport à 2019. Sur la période 2019-2021, la dette des entreprises publiques vis-à -vis de l'Etat poursuit sa tendance haussière pour atteindre 8,27 milliards de dinars en 2021 (une hausse de 11,6% par rapport à 2020).

Avec la crise russo-ukrainienne, la situation financière des entreprises publiques s'est embourbée: le rapport 2022 sur le programme des réformes évoque, en ce sens, l'impact du conflit, surtout sur les compagnies de transport aérien et maritime (vu l'importance du marché russe). D'autres établissements, tels que l'Office des céréales ou l'Office national de l'huile, ont dû faire les frais de la hausse sans précédent des prix des produits de base et des combustibles avec un effet d'entraînement sur d'autres institutions. Cette situation est, sans doute, à l'origine de l'amplification des difficultés de financement et de liquidité auxquelles sont confrontées la plupart des entreprises publiques.

Un dilemme à résoudre

Plusieurs facteurs conjoncturels mais aussi structurels expliquent cette contre-performance. L'explosion de la masse salariale, l'incapacité à générer suffisamment de revenus (en raison notamment des tensions sociales), la politique de prix subventionné et administré qui réduit les marges bénéficiaires de diverses entreprises, les lacunes observées au niveau de la gestion... ont tous contribué à la dégradation de la situation financière des entreprises publiques au cours des dernières années. Mais il faut dire que des raisons encore plus profondes font que ces établissements claudiquent et peinent à se redresser.

Le livre blanc sur les entreprises publiques, qui a été publié en 2018, évoque, à cet égard, un cadre juridique obsolète, une structure actionnariale fragmentée, un rôle de l'Etat à redéfinir, une responsabilisation limitée des conseils d'administration, des contrôles lourds et une transparence insuffisante.

Les diverses expériences qui ont été réalisées dans plusieurs pays à travers le monde font ressortir un axiome: la refonte des entreprises publiques passe par la révision de la relation entre l'Etat et ses entreprises, laquelle relation devrait permettre de répondre au dilemme opposant autonomie, responsabilité et objectifs "non commerciaux" à atteindre.

C'est pourquoi la réforme de la gouvernance figure parmi les actions préalables au redressement des entreprises publiques. L'expérience coréenne peut être, à ce titre, un exemple édifiant. La réforme des entreprises publiques coréennes, qui a été réalisée dans les années 80, a permis de réduire notablement les interventions de l'Etat et de sensibiliser les responsables à la performance de ces entreprises.

Un système d'identification et de suivi des objectifs a été mis en place à cet effet. Les résultats étaient sans appel: au bout de trois ans, les entreprises publiques ont sensiblement amélioré leur rentabilité. C'est que la réforme des entreprises publiques peut ne pas être une promesse lointaine, mais bien une dynamique vertueuse qui se traduit par des mesures concrètes, des actions et surtout une vision.

Fixer le cap

2023 devrait être une année charnière qui aurait marqué un tournant décisif dans le processus de réforme des entreprises publiques en Tunisie. L'approbation, au mois de février dernier, de la refonte de la loi relative à la gouvernance des entreprises publiques est un premier pas important qui a été accompli, en ce sens, puisque le gouvernement a déjà fixé les axes majeurs de cette réforme.

Le programme national des réformes mentionne, en ce sens, les objectifs suivants: le développement d'une vision stratégique du rôle de l'Etat dans les entreprises publiques, l'élaboration d'une liste pour les secteurs stratégiques, la réalisation d'un audit des entreprises publiques (à travers le recrutement de cabinets externes), l'élaboration d'un programme d'apurement des arriérés et de règlement des dettes croisées, la préparation d'un programme de restructuration, l'amélioration de la gouvernance à travers la révision du cadre légal et réglementaire. Reste maintenant à fixer le cap pour pouvoir faire avancer cette réforme au pas de charge.

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