Le référendum constitutionnel aura-t-il lieu au Mali le 19 mars prochain, conformément au calendrier des échéances majeures qui devraient jalonner la fin de la transition et le retour à une vie républicaine normale ?
Rien n'indique que la commission électorale est prête. Pire, la situation sécuritaire n'est pas encore stable pour une prise en compte du vote de tous les Maliens alors même que la version finale du projet de Constitution, à peine remise au chef de l'Etat le 27 février, est l'objet d'un rejet de la part de la toute-puissante ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique.
C'est à croire que les imams et les érudits musulmans regroupés dans cette ligue n'avaient pas de délégués au sein de la commission d'élaboration de la nouvelle Constitution. A moins que leurs idées aient été battues en brèche à ce niveau et qu'ils envisagent de prendre leur revanche dans les urnes lors du référendum annoncé. Dans cette logique, et face au silence du gouvernement malien, qui n'a pas encore officiellement acté le report de ce référendum, les imams et érudits pour la solidarité islamique sont en campagne et " exhortent solennellement tous les musulmans patriotes à voter contre le projet de Constitution sous sa forme actuelle ", selon un communiqué de presse publié le 8 mars. Le casus belli de cette fronde de la ligue malienne des imams ? La forme laïque que le projet de nouvelle Constitution entend conférer à la République du Mali.
Pour les imams et les érudits de cette ligue, la laïcité " est une astuce que les gouvernants utilisent à leur guise pour cadenasser la ou les religions ". C'est pourquoi ils exigent " le retrait pur et simple du mot laïcité du projet de Constitution et son remplacement par Etat multiconfessionnel ". Que nenni, leur rétorquent les rédacteurs du projet de nouvelle Constitution qui, lors de sa remise au président Goïta, avaient expliqué que " la laïcité ne s'oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle ".
La controverse est donc ouverte entre partisans de la laïcité de l'Etat et militants d'un Mali multiconfessionnel. Et les divergences ne sont pas dans le simple détail de la sémantique mais bien dans une vision conceptuelle et opérationnelle de l'Etat, où les religions au Mali ne seraient plus objets du champ gouvernemental mais sujets de l'action politique et institutionnelle. C'est du moins le sens que certains analystes donnent à la dénonciation de la laïcité comme une manière pour les gouvernements de "cadenasser les religions". Les partisans d'un Etat multiconfessionnel veulent implicitement voir les religions être davantage actrices de la vie politique et institutionnelle, bien entendu avec une influence au prorata de leur représentativité numérique, philosophique et culturelle.
Le Mali ayant une population à environ 95% musulmane, on n'a pas besoin d'une boule de cristal pour comprendre pourquoi la ligue des imams et des érudits musulmans est au-devant de cette croisade contre la laïcité dudit Etat. Elle a quand même la décence stratégique et la subtilité tactique de ne pas demander tout de go l'instauration d'un califat ou d'une république islamique, à l'instar des insurgés islamistes, mais c'est tout comme. En effet, le Mali Etat multiconfessionnel, c'est-à-dire dont les lois, la gouvernance, les dirigeants sont choisis en fonction des poids des religions qui s'y pratiquent, c'est faire la part plus que belle aux musulmans et laisser la portion moins que congrue aux autres.
Décidément, entre les incursions guerrières persistantes des groupes terroristes, les velléités de dénonciation des accords d'Alger de 2015 par les ex-rebelles touaregs et le vent-debout de la ligue des imams contre le projet de république laïque, le chemin de l'adoption d'une nouvelle Constitution au Mali est bien escarpé pour le gouvernement d'Assimi Goïta !