Madagascar: Microfinance - Zoom sur un secteur à la fois prometteur et vulnérable

Si ce concept de financement est adapté à la réalité du pays, où la majorité des populations vivent en milieu rural ou exercent de petites activités génératrices de revenus exclues du système bancaire traditionnel, il semble que beaucoup reste à faire pour que la microfinance soit plus vigoureuse et contribue davantage à dynamiser l'économie.

Les premières institutions de microfinance (IMF) sont apparues dans les années 1990 à Madagascar. Intégrées, à leurs débuts, dans des projets financés par l'aide internationale et mises en oeuvre par des organi­sations non gouvernementales (ONG), elles se sont peu à peu institutionnalisées avant de s'étendre dans des zones urbaines ou rurales non encore desservies. À partir des années 2000, des filiales de sociétés d'investissement se sont lancées directement dans des activités de microfinance, principalement dans les grands centres urbains du pays. Aujourd'hui, la majorité des IMF sont présentes en ville où le secteur est devenu fortement concurrentiel. À constater aussi que des populations vivant dans les régions rurales enclavées peinent encore à accéder aux services financiers de base. À Madagascar, le secteur de la microfinance est régi par une loi qui a été mise à jour en 2018. Dans son Exposé de motifs, le législateur soutient que l'objectif est de moderniser le cadre légal du secteur par rapport à la vision de la finance inclusive et aux évolutions de la technologie ou les innovations en matière de distribution de services financiers numériques. Il s'agit également de fournir un développement sécurisé du secteur de la microfinance afin d'assurer la consolidation des actions pour la fonction de supervision et d'accompagner la professionnalisation des acteurs du secteur.

%

La réforme de la loi repose sur quatre axes stratégiques. Ce sont le renforcement de la stabilité du secteur, la promotion de l'inclusion financière, la modernisation du secteur et la création d'un environnement juridique favorable aux consommateurs et, enfin, le développement de l'éducation financière. Étant donné que le taux de bancarisation dans le pays demeure faible, l'objectif est de faire en sorte qu'une frange de la population puisse miser sur les services en faveur essentiellement des personnes physiques ou morales ayant peu d'accès ou n'ayant pas d'accès au financement bancaire. Ainsi, cette disposition juridique approuve la vocation première d'une institution de microfinance qu'est la fourniture de services financiers aux " exclus du système traditionnel ".

La clientèle principale des IMF est celle qui fait face à des blocages pour avoir accès aux services financiers dits conventionnels. Parmi les contraintes, figurent les coûts opérationnels et les risques élevés. Dans la pratique, cette clientèle est constituée des ménages pauvres et de petites entreprises. En plus de ces barrières, les clients des IMF sont généralement caractérisés par un faible niveau d'éducation, un éloignement des centres de décision ou encore la discrimination par le genre. En ce qui concerne les services offerts, ils sont caractérisés par cinq innovations, à savoir les prêts groupés, la responsabilité conjointe, les incitations dynamiques, les schémas de remboursement et les substituts aux garanties.

Dès ses débuts, la microfinance a suscité un certain engouement aussi bien chez les promoteurs, les bénéficiaires que chez les régulateurs qui voyaient en ce secteur la solution providentielle par rapport au problème d'accès au financement, notamment en milieu rural. Cependant, l'enthousiasme a quelque peu baissé au fil du temps du fait du taux d'emprunt élevé, mais aussi des dérives de certaines IMF.

Un secteur qui ne manque pas de soutiens

Le dernier bulletin de Banky Foiben'i Madagasikara (BFM) révèle, pour sa part, que les clients ou membres des IMF ont atteint plus de 2 700 000 en 2021, contre 989 648 en 2012, soit une augmentation de 180% en moins de dix ans. Accompagnant cette croissance, le nombre de caisses et de points de service s'est inscrit en hausse de 32% sur la même période, pour se hisser à 1 037 dans tout le pays. Par ailleurs, les données sur l'encours total des crédits octroyés par les IMF montrent une domination des ménages (80%), suivi des très petites entreprises.

Ces dernières années, le Projet d'inclusion financière de Madagascar (PIFM), appuyé financièrement par la Banque Mondiale, joue un rôle de premier plan dans le développement du secteur de la microfinance qui, il faut le reconnaitre, bénéficie de divers appuis. Le PIFM dote les IMF d'équipements informatiques, organise des séances de formation, assiste les projets d'ouverture de nouvelles agences, fournissent des matériels roulants ou encore outille le Centre technique informatisé de la microfinance à Madagascar.

Notons aussi le lancement de projets d'appui comme " ATIA " qui vise à consolider et développer un réseau d'institutions de microfinance inclusives au bénéfice des ménages les plus précaires. Selon l'Agence française de développement (AFD) qui finance le projet, il s'agit de faire face à l'atonie du secteur privé (qui n'emploie qu'une part infime de la population active). De nombreux ménages dépendent du secteur informel et de l'exercice d'activités économiques indépendantes. Or, près de 90% de la population malgache n'est toujours pas bancarisée. Pour ces micro entrepreneurs, la saisonnalité des revenus, le manque de formations et de compétences, et la précarité des conditions de travail rendent nécessaire l'accès au crédit, à l'épargne et à une protection sociale. Le projet revendique aujourd'hui soixante quatorze mille microcrédits accordés à trente huit mille micro-entrepreneurs.

Du côté de l'Association des professionnels de la microfinance (APM), on soutient que si les partenaires sont bien présents pour apporter leurs soutiens, il s'avère que nombre d'IMF demeurent vulnérables. Et cette association civile reconnue d'utilité publique de rappeler que lors de la crise pandémique, le portefeuille à risque des IMF a rapidement atteint près du quart de l'encours de crédits, soit une valeur d'environ 110 milliards ariary. Ce qui a conduit la Banque Centrale, en septembre 2020, à prendre une décision relative à la mise en place d'un instrument de refinancement exceptionnel pour soutenir les activités des institutions de microfinance.

Selon les observateurs, il est important que la Grande ile soit mieux soutenue afin d'inciter davantage les IMF à poursuivre leur vocation première qui est de fournir des services financiers aux exclus du système bancaire, de promouvoir l'inclusion financière, de renforcer la supervision des IMF pour bien délimiter la frontière qui les séparent des banques et de construire des indicateurs permettant de détecter, de manière précoce, des déviations des IMF.

Il serait, en outre, équitable pour le système financier de faire participer ces IMF au marché monétaire et les assujettir au système de réserves obligatoires. L'efficacité de la politique monétaire s'améliorerait, car l'autorité monétaire, c'est-à-dire la Banque Centrale, pourrait contrôler toute forme de création monétaire dans l'économie. Mais certains estiment que les acteurs du secteur étant des compléments aux banques, ils ne versent pas dans la création monétaire. En tout cas, on remarque une concurrence entre les banques et les IMF, du fait que ces deux types d'institution créent de la monnaie. À constater également que nombre de banques sont aujourd'hui présentes dans le capital des IMF.

Des taux d'intérêt critiqués

S'il y a une critique récurrente dont fait l'objet le secteur de la microfinance, elle se situe au niveau des taux d'intérêt pratiqués. Ces derniers qui peuvent varier entre 21% et plus de 100% par an, selon les analystes qui notent qu'en moyenne, les IMF imposent un taux se situant entre 1,5 % à 2,5% par mois. Mais les taux d'intérêt élevés dans la microfinance ne sont pas propres à Madagascar. Au niveau mondial, ils se situent entre 20% et 60%. Ce qui est jugé anti-productif par nombre d'observateurs. Du côté des IMF, on soutient souvent que les taux appliqués sont " largement inférieur à ceux pratiqués dans le secteur informel, c'est-à-dire par les usuriers ". Et les IMF d'expliquer que, techniquement, le taux d'intérêt appliqué est calculé en fonction des frais généraux, des coûts de ressources incluant l'inflation, les pertes sur créances ainsi que de la capitalisation visée. Ces divers frais de fonctionnement sont qualifiés d'incompressibles. Les crédits accordés sont de petits montants. Or, les frais et les services restent les mêmes, quel que soit le montant du crédit, d'où un coût de fonctionnement élevé. On indique, en outre, que les IMF ont comme priorité la pérennité de leur activité et que nombre d'entre elles ne parviennent pas encore à l'autosuffisance financière. Certaines doivent recourir aux emprunts auprès des autres institutions financières comme les banques primaires. Comme elles doivent payer les intérêts, elles doivent surenchérir ses taux d'intérêt pour au moins couvrir leurs frais...

Mais il y a aussi les IMF qui encaissent des subventions des différents bailleurs de fonds. Cependant, ces soutiens ne se reflètent pas dans les taux d'intérêt. " Les subventions servent généralement à alléger les charges de fonctionnement (frais généraux), à charge pour les IMF de les maîtriser progressivement plutôt qu'à bonifier directement les taux d'intérêt ", rétorque un

acteur du secteur qui ajoute qu'il faut également que les octrois de crédits augmentent sensiblement. " D'autant qu'une bonification du taux d'intérêt ne peut qu'être ponctuelle... "

INCLUSION FINANCIÈRE

Les IMF au centre du jeu

La Grande ile a évalué les progrès effectués dans le cadre de la mise en oeuvre de la Stratégie nationale d'inclusion financière de Madagascar (SNIM). Selon les responsables, si des avancées notables ont été enregistrées, le pays a encore du chemin à faire, notamment pour développer le secteur de la microfinance et accélérer la dématérialisation des services financiers. À Madagascar, depuis que les opérateurs de téléphonie sont habilités à fournir des services d'argent mobile, plus de dix millions de personnes ont ouvert des comptes. On constate aussi que les clients des institutions de microfinance peuvent plus facilement solliciter des prêts et constituer des dossiers de crédit pour améliorer leur solvabilité. Les institutions de microfinance ont accordé plus de cinq cent mille microcrédits à de petites ou très petites entreprises. Par ailleurs, avec l'aide du projet pour l'inclusion financière, appuyé par la Banque Mondiale, le pays a mis sur pied un système permettant aux petites et moyennes entreprises d'effectuer des paiements par voie électronique dans plusieurs régions. Les montants collectés grâce à ce système, ont été estimés à environ 18 millions de dollars à la fin de 2021. Lors de la réunion du comité de pilotage de la SNIM, au mois de décembre, il a été noté que des avancées importantes ont été constatées comme la validation du Programme national d'éducation financière, l'élaboration des textes relatifs à la protection des con­sommateurs, la réglementation régissant les activités des groupes d'épargne et, surtout, la mise en place de solutions de banque à distance permettant l'extension des activités des institutions de microfinance, et l'expansion des points de service vers les zones mal desservies. Il a aussi été souligné, à cette occasion, que les institutions de microfinance continuent de jouer un rôle central dans le dispositif visant à développer l'inclusion financière dans le pays. Elles sont aussi appelées à s'impliquer davantage dans la digitalisation de l'écosystème financier du pays.

VERBATIM

Rivo Rakotondrasanjy,

Président de la Chambre de commerce et d'industrie d'Antananarivo et du Fivampama.

" Il subsiste un important écart entre les besoins des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) et l'offre des banques. La microfinance est plus réactive, mais elle pratique des taux d'intérêt hors de portée. Donc, on travaille à l'inclusion financière par la digitalisation. Le taux de bancarisation, pour l'instant, est de 10 à 18%, soit une clientèle de seulement 2,7 millions de comptes. Et certains entrepreneurs malgaches ont le 'fady' des prêts. Il y a encore des étapes à réaliser pour avancer dans l'inclusion financière. "

Harizaka Rakoto,

Directeur général de la Nouvelle institution de microfinance (NIM)

" Le taux de bancarisation est encore très faible à Madagascar. Ce qui ne facilite pas l'accès aux services financiers pour la population, surtout en milieu rural. Face à cette situation, la Nouvelle institution de microfinance (NIM) a mis en place une offre de services financiers innovants en vue d'accélérer l'inclusion financière dans le pays. La NIM vise plutôt l'informel en opérant dans les secteurs à risque. Nous finançons également les chaînes de valeur en agriculture contractuelle dans les filières riz hybride, maïs et haricot blanc. Il s'agit notamment du financement de la campagne agricole permettant aux paysans de se procurer des intrants et des équipements agricoles tout en payant le coût de la main-d'oeuvre. "

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.