Le match de ping-pong se poursuit chez les Rouges. D'un côté, ceux qui estiment que le parti fonce dans un mur ; et de l'autre, ceux qui affirment que les voix discordantes sont simplement à la recherche de "tickets". Cader Sayed Hossen réplique volontiers aux arguments de Ramgoolam et d'Assirvaden pour expliquer ce qui, selon lui, ne va pas au sein du parti.
Depuis quelque temps, votre nom circule comme étant potentiellement dans le camp de Satish Faugoo face à celui du PTr. Pouvez-vous nous confirmer que vous pensez comme lui ?
Oui, je peux l'affirmer. Mais il n'y a pas de camp Faugoo ou de camp travailliste. Il n'y a qu'un camp, celui du PTr. Satish Faugoo a exprimé son désaccord sur la gestion actuelle du parti. Je partage son opinion et je rejoins d'autres camarades qui ont pris des positions publiques sur des problèmes au sein du PTr. Et il n'y a pas qu'eux. Il y a plusieurs autres membres importants qui sont là depuis 25, 30 ans, y compris des députés, qui ont exprimé de sérieuses réserves en termes de management du PTr. Mais évidemment, ils l'ont fait discrètement et n'ont pas voulu prendre publiquement position. Je respecte cela.
C'est justement là l'incompréhension et ce qui ajoute de l'eau au moulin de Ramgoolam et du directeur de communication du parti. Ce dernier a répliqué à Faugoo en demandant pourquoi il - et par extension vous aussi - ne se fait pas entendre dans les instances du parti. Ces voix discordantes adulent Navin Ramgoolam quand il est là.
C'est difficile de parler dans les instances. Nous sommes en train de parler du fonctionnement institutionnel du PTr. On peut se demander, par exemple, ce qu'on a fait de Kalyanee Juggoo ? Elle était secrétaire générale pendant pratiquement 10 ans et elle était tenue à l'écart. Autre observation : notre camarade Patrick Assirvaden a été président du parti pendant plus de 10 ans sans qu'il n'ait été élu à ce poste alors que la constitution prévoit une élection du président, tous les ans...
(On l'interrompt). Pourquoi c'est difficile de parler dans les instances ? Pourquoi n'appelez-vous pas Ramgoolam et Assirvaden pour leur dire ça ?
J'ai dit à Patrick Assirvaden, il y a deux ans, que je peux me passer d'une investiture...
(On l'interrompt encore). Permettez. Le sujet des investitures, nous allons y venir. Ma question est celle-ci : pourquoi ne vociférez-vous pas votre opinion dans les instances du parti ?
Vous savez, en 2015, Arvin Boolell avait mené une révolte ouverte contre le leadership du parti. Il avait pris des positions extrêmes et s'était proposé comme leader du parti. Il n'y a pas eu de réactions. Personne n'a dit à l'époque : "kifer li pann koz andan dan bann instans". Il n'y a pas eu de comité disciplinaire. C'était vu comme tout à fait normal. Quelqu'un avait dit dans les colonnes de l'express, je cite, "Navin Ramgoolam est un boulet aux pieds du PTr". Idem, pas de réactions, pas de sanctions, pas de comité disciplinaire. C'était aussi le cas d'Ezra Juboo. Abé kifer nou nou pa gayn drwa koz andeor ou dan lapres. Beechook a parlé dans la presse (NdlR : le porte-parole du parti avait accordé un entretien à l'express), il n'as pas parlé à l'intérieur. C'est ce qu'a fait Ehsan Juman. Tout comme Patrick Assirvaden. Je ne vois pas la pertinence de l'argument que nous devrions parler à l'intérieur du parti et non dans la presse.
Beechook dit que Satish Faugoo a l'oreille de Navin Ramgoolam. Tous les reproches que vous faites au PTr, vous auriez pu appeler Navin Ramgoolam pour les lui faire.
Je ne sais pas si Satish Faugoo en a parlé à Ramgoolam. Moi, j'en ai parlé à Patrick Assirvaden il y a 3-4 mois. Il n'est pas le leader, mais il est quand même le président du parti.
Qu'a-t-il répondu ?
Que voulez-vous que je vous dise ? "Oui, oui, oui, mo pran not."
Fondamentalement, c'est quoi le problème au PTr ?
Il y en a une série. Ceux qui gèrent le parti, à commencer par Navin Ramgoolam lui-même, se voilent la face. Ils ignorent délibérément les problèmes de fond qui minent le parti et ce faisant, ils mènent le PTr vers une troisième défaite électorale consécutive. Navin Ramgoolam dit toujours qu'il n'y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Pour vous répondre, il faudrait peut-être que je reprenne les arguments de Satish Faugoo, notamment le non-fonctionnement des instances du parti. Vous vous souviendrez qu'on a tenu notre congrès annuel au mois d'août de l'année dernière. Le comité exécutif a été élu ce jour-là ; le Bureau Politique a été élu une semaine plus tard. Vous vous rendez compte que ces deux instances ont tenu leur première réunion respective cinq mois plus tard ? Cinq mois après ? Ils peuvent arguer que c'est conforme à la constitution du parti parce que le jour du congrès annuel, un amendement à la constitution a été glissé pour enlever l'obligation de l'exécutif de se rencontrer tous les mois et le BP, toutes les deux semaines. Mais qu'importe, face aux circonstances actuelles, face à la conjoncture politique actuelle, et surtout dans la situation politique-politicienne du PTR, pandan sink moi nou pa fer narien apar laniverser ek bann ti zafer par si par la ? Aucune concertation ? Aucun travail sur le terrain ? Aucun contact avec la population pour prendre le soin et le temps de l'écouter ? On ne sait pas qui sera candidat dans les circonscriptions. On ne peut certes pas présenter les 60 candidats, mais au moins on devrait connaître l'identité d'un candidat qui sera la locomotive pour qu'on organise et fédère le terrain autour de lui en attendant les deux autres. Au contraire, il y a une absence presque totale du terrain. C'est vrai que les élections ne sont pas pour demain, mais là si les gens nous demandent ce que nous allons faire pour la population, qu'allons-nous répondre ? Il n'y a pas de consultations à l'intérieur du parti sur les grands enjeux, les grandes politiques que nous allons mener. Rien n'a été fait pour l'élaboration du programme. En 2005, notre programme gouvernemental était prêt 18 mois avant les élections ! C'était sous le leadership du même Dr Ramgoolam et c'est ce qui avait provoqué l'adhésion et la grande victoire de 2005. Aujourd'hui il n'y a plus aucune réflexion collective. Il y a de grands défis à relever. Par exemple, l'économie nationale, le changement climatique et bien d'autres.
Donc pour vous, si les élections ont lieu demain, le PTr ne va pas les gagner ?
C'est ce que j'ai dit ?
Je vous pose la question.
Oui, c'est ce que je dis. Car nous ne faisons rien pour nous préparer aux prochaines élections.
La réalité politique veut que l'électeur se choisisse d'abord un Premier ministre. Présenter Ramgoolam est un des problèmes ?
Je discute tous les jours avec beaucoup de personnes. Beaucoup disent "PTr oui, Dr Ramgoolam non". Vous savez, Navin Ramgoolam a été un grand leader. Il a mené le PTr à de grandes victoires électorales. Mais quand le vent tourne, il faut savoir l'admettre. D'après mon assessment, une bonne partie de la population ne veut pas de Navin Ramgoolam comme Premier ministre.
Et vous, que voulez-vous ?
Qu'on en discute. Qu'on ne prenne pas mon opinion for granted. Mais qu'on s'asseye pour take stock et qu'on décide d'une direction.
Mais au congrès annuel, quand Navin Ramgoolam a été reconduit au leadership, ça coulait de source qu'il allait se présenter comme PM. Personne ne s'est mis debout, personne n'a contesté.
Écoutez, il faut être réaliste. Au congrès annuel, il y avait environ 4 000 personnes, dont la plupart acquis au Dr Ramgoolam. Ce n'est malheureusement pas la plateforme ou le forum pour initier une discussion politique franche sur une question de fond.
Si la gouvernance actuelle du PTr le conduit vers une autre défaite électorale, le fin tacticien qu'est Ramgoolam ne le sait pas ? Il a perdu la main et la lucidité ?
On dirait qu'il ne sait pas. À moins qu'il ait un autre raisonnement qu'on ignore. Mais le BP ne fonctionne pas. Comment voulez-vous qu'on sache ce qui se passe dans sa tête.
Vous pensez que Ramgoolam est obnubilé par sa soif de vengeance contre les Jugnauth au point d'avoir perdu toute lucidité politique ?
Je n'ai pas de jugement personnel sur la personne de Navin Ramgoolam. Je ne pourrai donc pas répondre à cette question. Je le vois simplement comme le leader du PTr. J'évalue simplement l'impact de ses actions et de ses inactions sur le parti. Je ne présume pas et je ne juge pas ses motivations.
Le qualificatif "Judas" brandi par Ramgoolam, vous le prenez pour vous ?
Absolument pas. Vous savez, j'ai consacré plus de la moitié de ma vie active au PTr et à mon pays. Depuis 2001 je suis au PTr. Je me suis consacré corps et âme à son développement et par extension au développement du pays. Je peux vous dire que mon allégeance au parti est la même qu'aux premiers jours. Simplement pour moi, la loyauté ne veut pas dire res trankil pa poz kestion. Qui dit Judas, dit traître. J'ai trahi qui ? Je suis encore fidèle au PTr. J'aime mon parti. Je serai l'homme le plus heureux si le PTr remporte les élections. Mais malheureusement, tel ki nou pé alé, mo pa trouv sa.
Le MSM va vous citer. Le PTr vous accusera bientôt de faire le jeu du MSM.
C'est cela le problème. Quand Satish Faugoo, d'autres camarades et moi-même parlons et pointons du doigt des problèmes au sein du parti, la sagesse veut que l'on se demande s'il y a effectivement un problème et essayer de le résoudre, s'il existe. Pa pé ariv sa la. Isi ou pé met ledwa lor enn problem, pé bez enn kout baton lor ledwa la ou swa pé oulé koup ledwa lamem. On appelle des comités disciplinaires, on réfléchit à des sanctions contre ceux qui pensent et s'expriment autrement.
Ils ont dit de Faugoo et diront à votre sujet que vous êtes orchestrés par le MSM.
C'est un prétexte. Je vois les propos de Ramgoolam et de Patrick Assirvaden lamentables et grotesques. Quand des hommes politiques aguerris et expérimentés utilisent de tels prétextes pour essayer de nous diminuer.
C'est vrai que si on vous garantit une investiture vous allez vous taire ?
Satish Faugoo est au PTr depuis 1998. Il a été candidat dans toutes les élections du PTr. Il a été député et ministre. C'est quelqu'un de valable et je ne crois pas que ce soit quelqu'un de dépassé. Moi, j'ai été candidat en 2005 et 2010. En 2014, je n'ai pas eu d'investiture, je n'ai pas quitté le parti. Au contraire, je suis resté et j'ai travaillé d'arrache-pied. J'ai travaillé assidûment mais malheureusement nous avons perdu. Donc c'est un faux-fuyant de dire que c'est la raison de notre colère. On veut faire croire que nous sommes en colère parce que des jeunes sont en train de grimper au sein du parti. Jamais ! Il n'y a jamais eu de conflits entre jeunes et anciens. Je suis le premier à le dire et je l'ai dit à Patrick Assirvaden. Je suis le premier disposé à céder ma place - ou plutôt la place que représente une investiture - à un jeune de la circonscription car je n'ai qu'une seule préoccupation. C'est que le PTr revienne au pouvoir. Ils ont dit "si donn zot enn tiket zot pou res trankil". "Zot pé zalou zenn pé rantré". C'est grotesque. C'est petit. C'est mesquin que des hommes politiques de la trempe, l'expérience et la maturité de Ramgoolam et Assirvaden disent cela. Les sa pou Beechook. Li enn novice. Mé pa Dr Ramgoolam ki vinn dir enn zafer kumsa. Ramgoolam est allé jusqu'à dire que je vais retirer ma pétition électorale. Depuis qu'il a dit ça, je suis allé en cour trois ou quatre fois.
Vous allez la retirer ?
Absolument pas. Je suis engagé dans une bataille pour évincer un député du MSM et ils disent que je suis orchestré par le MSM. Kot lozik la été la?
C'est vrai qu'il y a eu une rencontre entre vous, Faugoo, bref le groupe de voix discordantes du PTr avec certains dirigeants du MSM ?
Complètement faux.
Cette interview ne va pas arranger les choses. Le fossé va encore plus se creuser entre vous, Satish Faugoo d'un côté, et l'autre camp. C'est irrécupérable, un divorce s'annonce, les dés sont jetés !
Que voulez-vous qu'on fasse à part dire sans détour les problèmes du PTr. Je ne dis pas que c'est irréconciliable mais ceux à la tête doivent ouvrir leurs yeux et leurs oreilles. Ils croient qu'ils gagneront les élections "par défaut". Ils voient le gouvernement actuel kouma enn mang kinn tro mir zot pé atann li tonbé ek zot pou pran so plas lor pié. Mé li pa koumsa.
Vous avez mentionné l'existence d'un groupe assez élargi - dont des députés - qui pensent comme vous. On parle de combien de députés ?
Il serait inélégant pour moi de vous le dire. Ce que je peux vous dire, c'est qu'au sein du parti, nous ne sommes pas que 4 à 5. Peut-être que ces 4-5 personnes ont le courage de parler. Mais elles sont en train de dire tout haut ce qu'un très grand nombre pense tout bas.
Jusqu'où peut aller ce groupe élargi pour contester la gouvernance du parti et empêcher que le PTr ne perde les élections?
Je ne sais pas. Honnêtement, je ne sais pas.
Et vous ? "How far can you go"?
(Long silence). Ce que je peux dire, c'est que mo dé lipié dan PTr. Les camarades qui pensent comme moi ont les deux pieds au PTr. Nous n'avons aucune intention de quitter le parti ou de démissionner. Nos prises de position résultent de notre devoir de loyauté envers le parti. L'objectif, c'est que le parti soit capable de remporter les prochaines élections sur la base de sa structure, son organisation interne et son programme qui serait le fruit d'intenses discussions et concertations.