Sénégal: Sénégal - RSF s'inquiète de la montée des menaces contre les journalistes

Le journaliste de la chaîne sénégalaise Walf TV Pape Ndiaye est incarcéré pour avoir diffusé une information erronée sur le jugement d'une affaire de moeurs impliquant Ousmane Sonko, figure politique de l'opposition. Dans un contexte inquiétant de menaces envers les journalistes et les médias, Reporters sans frontières (RSF) dénonce une mesure disproportionnée, appelle les autorités à le libérer immédiatement et à dépénaliser le délit de presse.

Incarcéré depuis le 7 mars, après une garde à vue de quatre jours, le chroniqueur judiciaire de la chaîne privée Walf TV, Pape Ndiaye - en attente de son audition par un juge d'instruction - risque jusqu'à trois ans de prison pour "diffusion de fausses nouvelles", selon son avocat Maître Moussa Sarr, contacté par RSF. Un chef d'inculpation parmi les six retenus contre lui : "provocation d'un attroupement", "outrage à magistrat", "intimidation et représailles contre un membre de la justice", "discours portant discrédit sur un acte juridictionnel" et "mise en danger de la vie d'autrui".

Lors de l'émission "Petit-déj", diffusée le 1er mars 2023, Pape Ndiaye a déclaré que des adjoints du procureur de la République se seraient opposés au renvoi devant la chambre criminelle du tribunal du procès de l'opposant politique Ousmane Sonko poursuivi pour viols présumés par une jeune femme. Le parquet de Dakar, affirmant que cette information était fausse, a ordonné le placement du journaliste sous mandat de dépôt. Contacté par RSF, Pierre Edouard Faye, le rédacteur en chef de Walf TV, l'un des groupes de presse privée les plus importants du pays, a affirmé que Pape Ndiaye pourrait s'être trompé en toute bonne foi, remettant en cause la fiabilité de sa source, plutôt que son professionnalisme.

Alors qu'il existe des mécanismes pour rectifier une information erronée diffusée en toute bonne foi, l'incarcération de Pape Ndiaye est totalement disproportionnée. Nous assistons, à moins d'un an des élections présidentielles, à une escalade des atteintes à la liberté des médias au Sénégal, pourtant considéré pendant longtemps comme une démocratie dotée d'une presse foisonnante. Nous demandons aux autorités de libérer immédiatement Pape Ndiaye et de dépénaliser les délits de presse.

Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF

Journaliste et chroniqueur judiciaire, ancien président de l'association des jeunes reporters du Sénégal, Pape Ndiaye anime en langue nationale wolof une émission hebdomadaire très suivie. Il y a plusieurs fois abordé ce dossier relatif à la plainte pour viols visant Ousmane Sonko. Cela lui a valu de nombreuses menaces de mort que RSF a dénoncées.

Walf TV et les médias dans le viseur des autorités

À l'approche des élections présidentielles de 2024, l'étau se resserre autour des médias. Pape Ndiaye est le deuxième journaliste incarcéré au Sénégal en moins de quatre mois et figure parmi les professionnels de l'information sous pression depuis plusieurs semaines, illustrant un durcissement des conditions d'exercice du métier.

Le 16 février 2023, Sidya Badji, photo-reporter du journal Sud Quotidien qui couvrait des manifestations dans le quartier de l'opposant Ousmane Sonko, a été interpellé, contrôlé et son matériel confisqué par les forces de l'ordre qui lui ont reproché d'avoir pris "des images compromettantes" qu'il sera contraint de supprimer.

Une semaine avant cet incident, Walf TV a été suspendue - pour la deuxième fois en deux ans - pour une semaine par le Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA). Le régulateur de l'audiovisuel a estimé que la chaîne avait effectué une "couverture irresponsable" des heurts ayant éclaté entre les forces de sécurité et des partisans d'Ousmane Sonko dont le meeting dans la ville de Mbacké, à environ 200 km de Dakar, était interdit. Selon le CNRA, Walf TV a "diffusé en boucle des images de violences exposant des adolescents, accompagnées de propos dangereux, y compris de la part des reporters". Une décision de suspension disproportionnée dénoncée par RSF.

Le 5 novembre 2022, la journaliste reporter d'images Fatou Dione du site d'information Buur News avait été agressée par des forces de l'ordre alors qu'elle couvrait une manifestation interdite. Le lendemain, le journaliste Pape Alé Niang, directeur du site d'information Dakar Matin, a été arrêté, gardé à vue, inculpé puis placé sous mandat de dépôt pour avoir divulgué des informations "de nature à nuire à la défense nationale", pour "recel de documents administratifs et militaires", et pour avoir diffusé de "fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques". Après une courte remise en liberté, un renvoi en prison, une grève de la faim et une mobilisation générale, dont un appel de 78 journalistes africains et organisations de défense de la liberté de la presse rassemblés par RSF, il a été libéré le 10 janvier 2023.

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