Ile Maurice: Un agenda économique qui s'impose avant le feuilleton électoral

Il est étonnamment paradoxal qu'au moment où le pays célèbre ses 55 ans d'Indépendance, des questions se posent sérieusement sur l'indépendance de ses institutions phares, celles qui consolident la vie démocratique du pays, agissant souvent comme un rempart contre les dérives pouvoiristes.

Ces derniers jours, on a assisté à une escalade verbale contre le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) et la magistrature. Certains parleront carrément d'attaques frontales où l'effet déclencheur reste la libération conditionnelle de Bruneau Laurette soupçonné de trafic de drogue. Indépendamment des raisons avancées par les uns et les autres pour justifier l'artillerie lourde contre l'activiste social, il est difficile de ne pas admettre que la finalité de tout ce remue-ménage relève d'un postulat que certains observateurs ont déjà compris. Soit le positionnement de Bruneau Laurette comme adversaire de taille face à l'alliance gouvernementale, celui qui a pu cristalliser la colère d'une population médusée par le drame écologique du Wakashio en une marée humaine, un 29 août 2020.

Certes, Bruneau Laurette est loin de bénéficier du même courant de sympathie mais il reste quand même une forte valeur de nuisance pour le pouvoir, voire un caillou dans les chaussures de la majorité. À trop vouloir braquer les projecteurs sur sa personne, en interrogeant les conditions de sa libération sous caution, une démarche qui remet subtilement en cause l'indépendance du judiciaire, le pouvoir tente maladroitement de le présenter comme un véritable adversaire politique, plus redoutable que les dirigeants politiques mainstream. Si personne n'a compris ces manoeuvres politiciennes avec des attaques à peine voilées contre sa personne, c'est qu'on n'a rien compris.

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Pour autant, au même moment, la publication du septième rapport annuel de V-Dem (Varieties of Democracy) est pour le moins accablant pour la démocratie de Maurice. Car contrairement à Madagascar et aux Seychelles, notés positivement dans ce rapport, Maurice est loin d'être dans le même cas, ayant quitté dangereusement sa posture de pays démocratique pour se retrouver parmi les "top autocratizers", aux côtés du Salvador et de la Tunisie. Il ne faut pas balayer d'un revers de main ce classement de V-Dem 2023, qui qualifie la démocratie "to be hanging by a thread in Mauritius" car ses implications sont multiples, notamment sur le front de l'économie et l'investissement. Or, alors qu'on s'attendait à ce que nos dirigeants rectifient leur tir et fassent amende honorable, il est pour le moins surprenant de noter le silence assourdissant de nos gouvernants et encore plus de la télévision nationale, qui se noie aujourd'hui dans la propagande gouvernementale la plus grossière qu'on ait jamais connue.

Enter Padayachy

Face à cet environnement peu serein, loin du feel-good factor que le Premier ministre disait ressentir au début de l'année, le ministre des Finances vient imposer son agenda économique à la faveur de consultations pré-budgétaires qui démarrent étrangement plus tôt cette année, alors même qu'il vient tout juste d'envoyer des circulaires pour solliciter des propositions à cet effet.

En rencontrant les principaux stakeholders et autres partenaires sociaux déjà au mois de mars, doit-on prêter foi aux rumeurs de certains dirigeants politiques qui annoncent des élections générales anticipées après le prochain Budget ? L'annonce du Premier ministre d'une aide financière aux écoles pré-primaires dimanche est déjà diversement interprétée et perçue comme un cadeau électoral, accréditant la thèse de l'imminence de l'échéance électorale. D'autres s'interrogent sur le timing de cette annonce de Pravind Jugnauth, alors qu'elle aurait pu être une mesure phare du prochain exercice budgétaire de Renganaden Padayachy. D'autant plus que sa mise en exécution est prévue pour janvier 2024. S'il n'y a pas un parfum électoral dans l'air, ça y ressemble étrangement.

N'empêche que l'agenda budgétaire du ministre des Finances intervient dans une période pour le moins agitée. Si les élections sont éminemment proches, comme certains signes peuvent le faire penser, soit la posture pour le moins défensive de Pravind Jugnauth ces joursci, l'annonce de la gratuité pour les écoles maternelles l'année prochaine ou encore le sort de la pétition électorale de Suren Dayal qui sera entendue devant les Law Lords du Privy Council le 10 juillet 2023, le ministre des Finances se retrouvera dans une situation peu confortable, marchant visiblement sur des oeufs.

S'il se lance dans une opération pour amadouer la population à travers des mesures fortement électoralistes, il doit savoir en même temps que le pays se trouve dans le viseur des agences de notation comme Moody's et des institutions financières comme la Banque mondiale et le FMI. Ce qui du coup implique une certaine discipline budgétaire à respecter à moins qu'il dise, pour paraphraser le roi Louis XV, "après moi, le déluge".

Sans doute, les attentes budgétaires seront grandes cette année, tant au niveau des opérateurs que de la population, les premiers cherchant encore le soutien de l'État pour faciliter les affaires et la seconde en tant que victime de la cherté de la vie face au choc inflationniste. Renganaden Padayachy ne peut rester insensible à la colère de ce segment de la population qu'il a tenté d'atténuer à coups de subventions et de mesures fiscales l'année dernière.

Après une année, les mêmes préoccupations animent aujourd'hui les économiquement faibles ainsi qu'une partie des familles de classe moyenne de la société alors que les prix dansent au son d'une inflation qui demeure élevée. Cela, malgré la politique de normalisation monétaire entraînant des hausses successives du taux directeur, 143 % depuis le début de 2022. Encore que la dépréciation de la roupie, 6,6 % depuis janvier face au billet vert, vienne compliquer la donne avec plus de 75 % des produits consommés qui sont importés.

Il va sans dire que face à ce tableau peu reluisant où les indicateurs macroéconomiques restent fragiles, accentués par les effets d'une guerre en Ukraine qui risque de perdurer, il y a aussi ces jeunes professionnels qui demandent à être rassurés. Plus particulièrement face à l'indépendance des institutions, aux valeurs républicaines et à la méritocratie en termes de compétences, qu'elles soient dans le privé ou le public. Pourquoi ne pas ici s'interroger sur les 600 postes vacants dans le Global Business, causés par un exode de jeunes professionnels partis, dit-on, pour la Belgique et le Luxembourg où l'avenir serait plus brillant. Sans compter les demandes qui affluent dans certaines agences pour émigrer au Canada. À méditer ! En attendant le feuilleton électoral, c'est l'agenda économique qui reprend la main ces jours-ci...

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