Burkina Faso: Extraction de sable dans le Ganzourgou - Une tueuse silencieuse de l'environnement

Des tonnes de sable extraites des villages du Ganzourgou prennent la direction de Ouagadougou pour tenter de combler la forte demande d'une capitale en plein boom immobilier. Si ce business apporte quelques devises aux populations locales en majorité pauvres, le désastre environnemental s'épaissit d'année en année et commande urgemment des actions. Constat.

Fosses béantes, galeries et troncs d'arbres dénudés. Tel est le visage hideux que présentent les sites d'extraction de sable dans la commune de Zorgho, située dans la région du Plateau central, à 110 km à l'Est de Ouagadougou. L'extraction manuelle du sable se fait aussi bien sur les berges sableuses que dans le lit des cours d'eau. Dans la matinée du jeudi 22 décembre 2022, à 10 heures, sur le site de Kolgkomin du village de Bangbili, situé à 6 km de la ville de Zorgho, une dizaine de femmes, d'enfants et de jeunes, munis de balais, de pelles ou de dabas s'activent pour extraire le sable. Une denrée qui se raréfie de jour en jour.

Cette rareté les pousse à creuser des galeries sur les flancs du cours d'eau. La soixantaine bien sonnée, Christine Kaboré fait du ramassage du sable son activité principale depuis plus d'un an. Cette activité lui permet d'améliorer son quotidien et de s'occuper de ses petits-enfants. " Il faut ramasser le sable pendant plusieurs jours pour espérer avoir la quantité d'une benne ou d'un tricycle ", a-t-elle laissé entendre. A l'écouter, après le ramassage, elle peut attendre quatre mois avant d'avoir un acheteur.

Le ramassage du sable est une activité qui nécessite de la force physique. La sexagénaire reconnaît ne plus en avoir assez pour exercer ce genre d'activité mais dit n'avoir pas le choix. Non loin de Mme Kaboré, une jeune femme de 35 ans, Zénabo Tapsoba, un seau sur la tête, verse du sable sur un tas qu'elle a pu constituer la veille. " Je peux faire un mois sans vendre le moindre chargement de tricycle.

Des fois, c'est un seul chargement de tricycle que je parviens à vendre. Depuis que j'ai commencé, il y a de cela quatre mois, c'est seulement quatre chargements de tricycle que j'ai pu écouler ", raconte-t-elle. L'argent de son dur labeur lui permet de subvenir aux besoins de la famille. " J'utilise cet argent pour payer les condiments pour la cuisine et aider ma famille.

Je paye également la scolarité de mes enfants ", précise-t-elle. Nuit et jour, les cours d'eau sont scrutés et raclés par les habitants pour satisfaire la demande des acheteurs. En saison sèche comme en saison pluvieuse, les gens continuent de ramasser le sable, malgré la fermeture de certains sites. Pour le Directeur provincial (DP) en charge de l'environnement du Ganzourgou, le capitaine des Eaux et Forêts, Pascal Balima, il y a des gens qui descendent dans les bas-fonds pour ramasser le sable avec des plats et des pelles pour le stocker aux abords, sans oublier ceux qui extraient avec des machines.

Il y a les propriétaires de tricycles qui en achètent et stockent aux abords des voies en attendant la saison des pluies pour spéculer. Au regard de ces désagréments, dans certains villages de la commune de Zorgho, des chefs coutumiers ont interdit le ramassage de sable en saison des pluies afin de préserver les routes et les activités de maraîchage pratiquées aux alentours des berges. C'est le cas dans le village de Wayalgui V2, dans la commune de Boudry, à 35 km de Zorgho.

Le chef du village, Wayalgui Naaba, affirme que cela fait cinq ans que les bennes et les tricycles ont commencé à ramasser le sable dans son village. En plus des autochtones, des entreprises privées viennent de Ouagadougou pour extraire le sable. " Il y a des privés qui viennent avec des machines pour extraire le sable et revendre aux grossistes ", explique le chef du village. Dans toutes les communes de la province du Ganzourgou, l'activité est pratiquée.

Impacts négatifs sur l'environnement et l'homme

Le ramassage de sable accélère l'ensablement des cours d'eau. Il détruit des espèces végétales et provoque l'érosion mécanique des sols. Les excavations ainsi créées accentuent les processus de l'érosion et la dégradation des terres. " En effet, les éboulements et les glissements de terrain sont assez fréquents sur les sites d'exploitation. Le ramassage de sable perturbe les fonctions écologiques des écosystèmes naturels. Il entraîne la destruction du couvert végétal et l'intensification de l'érosion.

Les galeries mettent à nue les racines des arbres qui finissent par tomber au gré des vents et de la pluie ", assure le DP de l'environnement du Ganzourgou, Pascal Balima. Comme impact négatif, il précise que l'ensablement des cours d'eau diminue la quantité de l'or bleu nécessaire au maraichage et aux animaux qui s'y abreuvent. " Quand les ramasseurs de sable creusent des galeries sur les bords des basfonds, ils détruisent en même temps les arbres qui finissent par tomber.

La végétation est aussi impactée par cette activité ", souligne-t-il. Selon le technicien supérieur de l'environnement et plani-ficateur à la direction provinciale en charge de l'environnement, Kiswendsida David Kiendrébéogo, avec l'effet de ruissellement, la terre se dégrade et comme Zorgho est une zone sablonneuse, les bords des ravins deviennent larges. Cela entraîne la chute des arbres aux alentours. " Il y a des ravins où en deux ans de ramassage, la largeur atteint 50 mètres.

C'est trop ! Depuis 2017 que je suis là, j'ai constaté que chaque année, il y a des ravins qui s'élargissent d'environ 10 m. Sur le terrain, l'impact est visible. Les voies d'accès au site sont dégradées ", explique M. Kiendrébéogo. Ces propos du technicien en environnement se confirment avec le constat amer qui se dégage au niveau du canal de Nakombgo, au secteur 2 de Zorgho qui abrite des crocodiles sacrés.

A cause du ramassage de sable, les refuges de ces animaux sont menacés, les obligeant à creuser encore plus sous les troncs d'arbres pour s'abriter. Ils n'hésitent pas à se déplacer dans la journée pour chercher de l'ombre, mettant du coup la vie des riverains en danger. Ce cours d'eau était entouré de plus d'une centaine de goyaviers, plantés en son temps par un agent des Eaux et Forêts qui habitait juste à côté.

Selon son fils, Elysée Kaboré, à force de creuser les galeries pour extraire le sable, tous les arbres que son père avait plantés ont disparu. En plus de cela, s'ajoutent la dégradation des sols et l'érosion. Le chargé de l'aménagement territorial de la mairie de Zorgho, Clément Kaboré, évoque avec regret une autre conséquence liée à cette activité : " Pendant la saison des pluies, les galeries se remplissent d'eau et peuvent provoquer des noyades ". Il se souvient d'un cas malheureux en 2021.

A l'en croire, des élèves, de retour de l'école, ont perdu la vie en voulant traverser un cours d'eau pour rejoindre leur concession. D'autres familles ont aussi été endeuillées par des cas de noyade. C'est le cas du décès de deux femmes englouties par le sable dans l'éboulement d'une galerie qu'elles ont creusée. Pour M. Kaboré, le ramassage de sable de manière anarchique dégrade les routes et les voies d'accès, rendant ainsi des villages inaccessibles en saison pluvieuse.

Pour réduire les effets néfastes de cette activité sur l'environnement, des actions de sensibilisation et d'information sont menées à Zorgho au profit de la population. La direction provinciale en charge de l'environnement du Ganzourgou multiplie des émissions radios de sensibilisation pour la préservation des sols. Kiswendsida David Kiendré-béogo demande à la mairie d'adopter des textes pour encadrer le ramassage de sable dans le Ganzourgou et même d'appliquer des peines d'emprisonnement.

Les taxes agrégats prélevées

Deux agents de collecte de la taxe sur les agrégats pour le compte de la commune de Zorgho appuient ceux de l'environnement. L'adjudant des Eaux et Forêts, Saïdou Kaboré, précise que les taxes sont perçues sur les chargements de sable selon les gabarits des bennes : " Les semi-remorques, c'est 10 000 F CFA par voyage et les autres 5 000 F CFA ". Le même prix est appliqué dans les villes et les communes de Zorgho. Le chargé de l'aménagement territorial de la délégation spéciale communale de Zorgho, Badnogo Naaba, travaille avec le commissariat de police et la gendarmerie qui l'appuient lors de ses tournées de sensibilisation.

" Nous avons pris une délibération qui n'est pas encore effective où la taxe sera majorée à 15 000 F CFA si on enlève le sable dans les zones interdites. S'il se trouve que l'intéressé n'est pas à jour avec les papiers de son véhicule, il payera 10 000 F en plus des 15 000 F CFA. Les villages comme Bogoré, Sapaga interdisent le ramassage en début de saison pluvieuse jusqu'au mois de décembre ", explique-t-il.

Dans le village de Wayalgui V2, le chef confie que les taxes sont payées à la commune de Boudry : " Les taxes dépendent de la capacité des véhicules. Si c'est une grande quantité, c'est 10 000 F CFA, les petites c'est 5000 F CFA. Les tricycles appartiennent aux autochtones qui ramassent le sable et le vendent entre nous ici ou aux alentours à ceux qui veulent construire. Donc, ils ne payent pas les taxes ".

Alternative de récupération des sols

Le président de la délégation spéciale de Zorgho, Valentin Badolo, indique que malgré le paiement de la taxe, le ramassage de sable dans le Ganzourgou n'est pas organisé. Cette pratique est l'une des principales causes de la dégradation des sols . " Vu la proximité avec la ville de Ouagadougou qui connaît un boom dans la promotion immobilière, la demande en agrégats est très élevée. Une alternative comme les carrières de sable doit être trouvée pour éviter la dégradation du paysage ", préconise-t-il. Pour lui, des initiatives de récupération des sols doivent être mises en place. Dans ce sens, M. Kiendrébéogo propose le reboisement : " Certaines espèces détruites au niveau des berges ne sont pas remplacées.

Nous n'avons pas de budget alloué à l'activité de reboisement, mais chaque année, les deux mines d'or, hors zone, basée dans la commune de Mogtédo et la Société minière de Sanbrado (SOMISA-SA) à Boudry, nous accompagnent avec des plants ". En plus du reboisement, une étude d'impact environnemental ou une évaluation environnementale pour mesurer les effets de cette activité sur l'environnement dans chaque commune est souhaitée par les techniciens du domaine.

" Nous menons des sensibilisations et des reboisements pour protéger les berges et c'est aux communes d'entreprendre des actions dans ce sens. C'est la commune qui doit prévoir dans son Plan communal de développe-ment (PCD). Avec les activités du 11-Décembre, il y a eu des signatures de protocoles où il est précisé le nombre d'arbres à abattre ou qui doit être mis en terre. Nous avons eu à faire des bosquets ", affirme le directeur provincial en charge de l'environnement.

Pistes de solutions

L'extraction de sable, si elle n'est pas gérée correctement dans les zones où les écosystèmes sont fragiles, peut avoir des effets négatifs sur l'environnement. Des solutions novatrices doivent être trouvées pour remplacer le sable dans la construction de routes et de bâtiments et lutter contre cette catastrophe environnementale.

Interdire à court terme le ramassage de sable, accompagner la mairie avec des plantations d'arbres, trouver des activités pour les autochtones afin qu'ils arrêtent l'extraction du sable, faire des évaluations environnementales sont des propositions de M. Kiendrébéogo. Quant au directeur provincial de l'environnement, il propose aux mairies d'utiliser le Fonds minier de développement pour mener des activités de reboisement. Déjà, l'adjudant des Eaux et Forêts au service départemental de l'environnemental de Zoungou, Napé Ibrahima Traoré, indique que pour préserver certaines espèces d'arbres, lui et ses collaborateurs rebouchent les galeries pour les maintenir sur place.

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