Combattre les mythes, déconstruire les stéréotypes sur les migrations.
Voilà à quoi invite l'Organisation internationale pour les migrations (Oim) dans le traitement de l'information sur un phénomène propre à notre siècle. Des responsables de l'organisme onusien présents à Rome (Italie), sont certains que le rôle des journalistes européens comme africains, réunis autour d'une conférence de deux jours, est essentiel pour amener les populations à cerner les causes et enjeux des migrations internationales.
Un clandestin ou un sans-papier. Un réfugié politique ou un exilé économique. Un débarquement massif ou une vague de migrants... Tels sont les soucis des responsables de l'Organisation internationale pour les migrations (Oim) particulièrement en Europe où les pays autour de la Méditerranée accueillent des milliers de populations venues d'Afrique, d'Asie, entre autres.
En conviant à Rome, la capitale italienne, plusieurs journalistes européens et africains, l'Oim cherche à soigner le lexique de la narration sur les migrations. Un des volets du projets "Aware Migrants" du ministère italien de l'Intérieur lancé en 2017. Sept années après, ce projet arrive à terme, selon sa coordonnatrice Enrica Bianco, satisfaite de son intérêt et d'un début de dialogue entre les différentes parties. Selon elle, "il faut faire respecter l'éthique dans la manière de traiter du sujet, mais également comprendre les défis majeurs de la migration".
Sa collègue Carla Di Quattro du ministère italien des Affaires étrangères, admet que son pays "subit une pression migratoire très forte et a besoin de mettre en place des projets et mesures très forts". D'après Mme Di Quattro, il faut mettre les personnes dans de bonnes conditions dans leur pays d'origine afin qu'elles puissent y trouver ce qu'elles cherchent une fois en Italie. Elle cite comme exemple des pays comme la Côte d'Ivoire où l'Italie a soutenu un projet dans ce sens. Le projet "Aware Migrants", estime Carla Di Quattro, a permis d'améliorer la narration des journalistes sur les migrations.
Un satisfecit également décerné au projet "Aware Migrants" par Laurence Hart, Directeur de l'Oim en Italie et de la Coordination du Bureau pour la Méditerranée. Il reconnaît l'urgence d'améliorer la connaissance des journalistes sur les pays d'origine des migrants.
Le rôle du journaliste surtout européen, estime M. Hart, peut influencer la perception négative ou positive des peuples sur les migrations. Il donne l'exemple du terme "débarquement" de migrants, une expression militaire, un mythe à combattre ; car en réalité, les migrants viennent en petits nombres et ne constituent pas une "invasion".
Contexte géopolitique selon les pays
Pour comparaison, les responsables de Oim Italie citent l'exemple des millions d'Ukrainiens réfugiés en Europe depuis un an après le début du conflit entre Kiev et Moscou. Selon la présentation de l'Oim Italie, au moment où près de quatre millions de réfugiés ukrainiens sont accueillis en un mois en Europe, quelques milliers de migrants africains peinent à être absorbés par l'Italie, l'Espagne, la Grèce, Chypre, Malte, etc. "Il faut déconstruire la désinformation", affirme le Directeur de Oim Italie, et les journalistes doivent aider à combattre le racisme sur la perception des migrations à travers leur narration du sujet.
"Il faut construire des ponts entre les pays d'origine, de transit, et d'arrivée des migrants", plaide Laurence Hart. Son collègue Flavio Di Giacomo, Porte-parole Oim Italie, rappelle aux journalistes venus du Sénégal, de la Mauritanie, du Niger, de la Tunisie, du Nigeria, de l'Egypte, de l'Algérie, ainsi que d'Europe, que les chiffres sur les flux migratoires sont souvent exagérés.
En Italie, par exemple, on dénombre près de 500.000 migrants irréguliers, alors que près de 5 millions d'immigrés réguliers participent au relèvement du Pib italien. Flavio Di Giacomo regrette qu'il y a de moins en moins de possibilités d'entrer en Europe. Ainsi, certains le font d'une manière clandestine. Il parle d'un phénomène de ce siècle...
L'agence italienne Ansa donne le ton
Le journaliste Patrizio Nissirio de l'Agence italienne Ansa souligne qu'il faut réunir les efforts pour une diversité et une complémentarité afin de faire face au phénomène de migration. A la remarque de "Nous sommes tous migrants quelque part" de la modératrice des débats, Sandra Ruiz Moriana de Oim Suisse, le panéliste Patrizio Nissirio, se demande s'il ne se pose pas "un problème de racisme pour ouvrir les portes à certains quand ils ont les yeux bleus et la peau blanche et les fermer à d'autres ? " Le journaliste italien affirme qu'il faut comprendre le contexte d'origine des migrants, les raisons politiques, économiques, de sécurité, de guerre, etc., qui pousse les gens à quitter leur pays. Expliquer pourquoi ils arrivent par bateau clandestinement, au lieu de leur ouvrir les canaux réguliers pour arriver en Europe.
M. Nissirio, s'adressant à l'auditoire dont des journalistes européens, africains, officiels italiens et responsables de bureaux Oim, trouve qu'il faut écouter les migrants afin de connaître les abus dont ils ont été victimes. "Et tout le monde doit être concerné car ce sont des humains qui ont des droits à respecter", martèle-t-il. " L'Union européenne doit agir ensemble, partager le poids de la migration, partager les ressources caractéristiques des migrants. Il faut tout savoir, raconter la vérité pour faire intervenir les autorités ", plaide encore Patrizio Nissirio de l'Agence Ansa.
A sa suite, les journalistes Khaoula Sliti de Radio " Shems Fm " de la Tunisie et Mohamed Diop de "Alakhbar.info" ont partagé les bonnes pratiques des médias de leur pays dans le traitement de l'information sur les migrations. Deux pays également touchés par le phénomène, d'où les formations organisées par le projet "Aware Migrants" pour la presse locale.
Du cas des migrants en transit en Libye
Demande d'asile, réfugié politique, migrant économique... Les motifs des flux migratoires sont divers selon les ressortissants de pays ouest-africains qui traversent la Méditerranée et l'Atlantique pour rallier l'Europe. Les chiffres de l'Oim répertorient principalement des ressortissants de Côte d'Ivoire, Guinée, Tunisie, en transit en Libye. Et dans ce pays, l'Organisation internationale pour les migrations (Oim) note un besoin d'assistance médicale pour des migrants détenus, parfois torturés par des trafiquants ou des garde-côtes. Ce sont près de 3.000 à 5.000 personnes détenues dans des centres officieux où les conditions des droits humains ne sont pas respectées. Selon Flavio Di Giacomo, Porte-parole Oim Italie, ils n'ont pas accès à certains de ces centres en Libye, donc pas de contrôles possibles dans ces endroits où sont détenus de milliers de migrants africains. O.DIOUF