De 400 tonnes livrées en moyenne par jour, la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) livre 1000 tonnes depuis quelque temps. Paradoxalement, le produit reste introuvable dans plusieurs marchés de la capitale. Quand les commerçants parlent de pénurie, autorités et producteurs évoquent des raisons plus profondes.
"Il y a des inquiétudes sur le sucre. La pénurie commence à s'installer sérieusement", a alerté, mercredi dernier, Ousmane Sy Ndiaye, le secrétaire permanent de l'Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois Jappo). À moins de dix jours du Ramadan, l'inquiétude grandit du côté des consommateurs. Mais aussi bien du côté du Ministère du Commerce que de la Compagnie sucrière sénégalaise (Css), on réfute toute idée de pénurie. "Ce qu'il y a, c'est un dysfonctionnement dans la distribution. Mais il y a suffisamment de sucre dans le pays", a tempéré Cheikh Bamba Ndaw, Directeur du commerce intérieur.
De son côté, Louis Lamotte, conseiller spécial du Directeur général de la Css, a renseigné que la production de sucre a même augmenté de 70% par rapport à la même période de l'année. C'est pourquoi, a-t-il dit, si le produit n'arrive pas dans les boutiques, la raison est ailleurs. "Nous avons la liste de tous les commerçants à qui nous vendons le sucre. La vérité, c'est que la plupart d'entre eux n'amènent pas le produit dans les marchés", a-t-il révélé.
Alors, pourquoi les commerçants ne mettent pas le sucre sur le marché ? M. Lamotte croit en connaître les raisons. "Les commerçants préfèrent, désormais, vendre aux industriels. C'est un produit subventionné à la Css avec une Tva de 1 %. Donc, ils l'achètent là-bas et au lieu de le mettre dans le marché pour lequel le produit a été subventionné, ils vendent aux industriels, avec une Tva de 18%". Pire, a-t-il dit, certains même vendent l'écrasante majorité dans les pays limitrophes. "Chaque jour, nous avons la liste des clients et les quantités vendues. Donc, si les boutiques n'en reçoivent plus, la faute aux commerçants. Aujourd'hui, nous livrons en moyenne 1000 tonnes par jour", a précisé Louis Lamotte.
Des investigations en cours
Du côté de la Direction du commerce intérieur, même si l'heure n'est pas à la panique, eu égard aux grandes quantités produites par la Css, beaucoup de questions se posent sur la distribution. "La Css produit en quantité, plus qu'elle ne produisait d'ailleurs. Si aujourd'hui le sucre est devenu introuvable dans plusieurs endroits, il y a problème", a admis Cheikh Bamba Ndaw.
Quid d'une probable exportation du produit dans les pays limitrophes ou dans les industries ? Le Directeur du commerce intérieur révèle que des investigations sont en train d'être menées pour disposer de bonnes informations. "Nous allons regrouper le maximum d'informations pour voir ensuite la conduite à tenir. Mais la situation est loin d'être alarmante. Les dysfonctionnements seront corrigés incessamment", a-t-il assuré.
Pour le secrétaire permanent de l'Unacois, "la Css veut créer une pénurie artificielle planifiée". Selon lui, la vérité, c'est que l'usine de Richard-Toll n'a pas la capacité d'approvisionner le marché. Le Sénégal est obligé de recourir à l'importation de sucre pour compléter les besoins du marché". C'est pourquoi il estime qu'il faut s'aménager un stock de sécurité et ne plus dépendre de la seule Css.
RARETÉ DU SUCRE SUR LE MARCHÉ
Demi-grossistes et détaillants croisent les doigts
Au marché Dalifort, l'ambiance est relativement calme. L'endroit s'est trop tôt vidé de ses occupants. Devant le magasin de Khadim, les charretiers se tapent une tasse de café. À l'intérieur, plusieurs sacs de riz, de maïs... sont superposés. Mais pas un seul morceau de sucre. Cela dure depuis plus d'une semaine, a dit le patron, l'air dépité. "J'ai exceptionnellement obtenu deux sacs de sucre en poudre de mon fournisseur, mais depuis lors, le sucre est introuvable. Cette situation risque de causer énormément de préjudices. Le sucre est l'un des produits les plus consommés pendant le Ramadan. Les commerçants font beaucoup de bénéfices. Cela risque d'être un gros manque à gagner", peste-t-il.
Mais si Khadim est habitué aux pénuries de certaines denrées, il dit ne pas comprendre celle qu'il vit présentement. Selon lui, les quelques rares commerçants qui ont du sucre sont des grossistes qui traitent directement avec la Css. "Ils ne ravitaillent que leurs propres magasins. Ça veut dire que si tu n'es pas dans leur cercle, il faut un miracle pour avoir ne serait-ce que deux sacs", déplore-t-il.
Le même constat est valable à Hann Maristes. Alpha n'a plus vendu de sucre en poudre depuis deux semaines. Le commerçant, qui a l'habitude de travailler avec trois fournisseurs, note des non-dits dans le circuit de distribution. "Il y a un groupe de privilégiés qui a le produit. Si tu insistes pour en avoir, ils appliquent des prix hors de portée", dénonce-t-il. Quoi qu'il en soit, du côté des consommateurs, l'inquiétude grandit. La plupart d'entre eux n'osent pas imaginer un mois de Ramadan sans sucre. Certains se disent même prêts à payer plus cher.