Maroc: Forum Mondial des droits de l'Homme - Quatre questions à Amina Bouayach, présidente du CNDH

interview

Buenos Aires — Le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) participe en force à la 3ème édition du Forum mondial des droits de l'Homme, organisée du 20 au 24 mars à Buenos Aires.

Sa présidente, Amina Bouayach, conduit une forte délégation du Conseil à ce forum, qui a été précédé en février par un Pré-Forum à Rabat.

Dans ses réponses à ces quatre questions, Amina Bouayach explique l'apport du Pré-Forum, détaille la contribution du CNDH et expose les grands défis du moment pour les défenseurs des droits de l'Homme.

Le Maroc vient d'abriter un Pré-Forum sur les droits de l'Homme à la veille du Forum de Buenos Aires dont les travaux s'ouvrent ce lundi. Quelles sont les recommandations les plus pertinentes du Pré-Forum de Rabat et qui seront intégrées aux débats prévus en Argentine?

Le Pré-Forum de Rabat nous a permis d'explorer en profondeur trois thèmes interconnectés qui présentent des défis majeurs, et d'examiner plusieurs enjeux émergents qui sont observés de nos jours. Dans un cadre plus large, nous avons pu partager nos expériences, discuter des défis, formuler des recommandations, tout en mettant l'accent sur l'impératif de la mobilisation afin de renforcer l'efficacité et la durabilité des acquis. Le Pré-Forum a notamment permis d'identifier des initiatives efficientes orientées vers l'action et de formuler des recommandations qui ne manqueront pas d'enrichir les travaux du Forum Mondial en Argentine.

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Dans ce sens, les recommandations et le document final du Pré-Forum seront présentés, en détail, lors d'un panel prévu dans le cadre du Forum mondial. J'aimerais, dans ce cadre, mentionner que les participants au Pré-Forum ont souligné l'importance d'élever le regard au-delà des actions individuelles, pour renforcer la centralité des droits de l'Homme comme une condition préalable à la réalisation d'un monde meilleur fondé sur une logique à double entrée, sans distinction de pays d'origine ou de nationalité.

Tant en Afrique qu'en Amérique Latine, la question de la migration a resurgi récemment comme un droit fondamental. Quels arguments le CNDH a-t-il mis au point pour défendre ce droit devant le Forum en Argentine ?

La question de la migration ne cesse de soulever des complications et des défis transfrontaliers. J'aimerais préciser dans ce sens qu'en dépit du fait qu'elle soit devenue une thématique centrale dans les débats et les politiques internationales, elle demeure marquée par une faiblesse considérable sur le plan de l'analyse théorique et recherche pluridisciplinaire. Et on estime que l'Observatoire africain sur les migrations est une institution à même d'apporter un soutien notable en matière de données probantes sur la migration africaine et de satisfaire le besoin affiché par les différentes architectures institutionnelles dans le continent.

De manière générale, le CNDH a constamment mis en exergue la nécessité d'élever la logique humaniste de responsabilité partagée pour la placer en tant que priorité ultime, surtout que les profondes mutations internationales imposent l'identification de nouveaux modes opératoires à même d'ouvrir des perspectives prometteuses, notamment dans la mise en oeuvre du Pacte Mondial sur la Migration. La convergence entre ce Pacte et la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille demeure une question centrale pour le CNDH, sachant que cette dernière n'a pas encore été ratifiée par la quasi-totalité des pays occidentaux.

Certaines voix discordantes ont indiqué récemment que le Maroc met à profit ces forums sur les droits de l'homme pour justifier une certaine situation au Sahara marocain. Qu'est-ce que vous leur répondez à partir de votre position de militante des droits de l'Homme et responsable du CNDH ?

Le Pré-Forum a accueilli un grand nombre de personnalités venues de différents pays et de différents horizons, dans ce rassemblement -des coeurs et des esprits- comme je l'avais souligné lors de l'ouverture, une sorte de retraite des défenseurs des droits de l'Homme, qui demeure nécessaire au renouvellement permanent des débats autour des droits humains. Ce renouvellement est dicté par l'actualité et les métamorphoses que vit notre monde.

Nous nous sommes rassemblés à Rabat en dépit de contraintes liés à la distance, la différence de langue et de culture, car nous avons une histoire commune et partagée. D'abord les participants partagent le statut d'anciennes colonies, avec toutes les répercussions économiques, politiques et sociales de cette période douloureuse, et qui se traduit de manière différente et spécifique dans chaque pays. Aussi, les trajectoires des participants en matière de consolidation de l'Etat de droit se recoupent. Les " démocraties émergentes ", comme désignées par certains, partagent pour beaucoup d'entre elles; une dynamique de construction similaire : un passé de violations des droits de l'homme, une expérience unique de justice transitionnelle, une contribution remarquée à la Jurisprudence internationale en matière de réparation et de garantie de non répétition, et une dynamique inégalée de leurs sociétés civiles.

Il est difficile de dire; combien chacune d'elles a réussi et combien il reste à faire. Au Maroc, comme dans beaucoup d'autres Pays, nous en sommes à l'implémentation d'une horizontal accountability / responsabilidad horizontal, pour user des termes du grand penseur Argentin Guillermo O'Donnell. C'est-à-dire, qu'après une première étape de construction des procédures et cadres généraux - des élections libres et transparentes, une constitution démocratique, une Justice indépendante-, nous en sommes à l'étape de construction institutionnelle, en un réseau efficient qui puisse évaluer, avertir et intervenir lorsqu'une violation des droits fondamentaux des citoyens advient ou est susceptible d'advenir ; inaugurant une nouvelle ère de réformes visant à faire de l'Etat un meilleur défenseur des droits, des libertés et des intérêts des citoyens, notamment les plus vulnérables : les couches socio-économiques défavorisées, les femmes, les enfants, les migrants et les réfugiés.

Le pré-Forum de Rabat a présente l'opportunité pour les défenseurs des droits de l'Homme des pays du Sud pour partager leurs réflexions afin de faire face aux défis les plus ardus, aux épreuves les plus rudes et aux obstacles les plus difficiles, et c'est le moyen de changer le statu quo. Le pré-forum a réitéré l'attachement des défenseurs des droits de l'Homme à la non-politisation des droits humains à des fins de polarisation des questions sociétales.

En Argentine, il est prévu que les débats portent sur les questions de l'égalité et la justice dans le monde, les défis de l'environnement, de la migration, du genre, de l'accès à la justice et de la traite des êtres humains. Autant de questions sur lesquelles se penche le CNDH depuis des années. Brièvement, Quelle sera la contribution du CNDH sur chacune de ces thématiques ?

Le CNDH continue de plaider en faveur du renforcement des mécanismes participatifs, et de lancer des réflexions sur les moyens à même de promouvoir des réponses collectives aux défis auxquels le monde fait face.

Au-delà de nos contributions portant sur des thématiques bien précises, on veillera à mettre en lumière la nécessité de renforcer la coordination, car on est conscients que les défis auxquels les acteurs des droits de l'Homme sont confrontés s'inscrivent dans la même temporalité, et que le partage et la solidarité, mais surtout l'écoute, demeurent la seule voie susceptible de protéger l'idéal démocratique dans le monde.

On portera aussi un message qu'on a exprimé lors du Pré-forum de Rabat : les pays du Sud constituent un terrain dynamique d'innovation en matière des droits de l'homme et leurs contributions dans la conception et l'élaboration des normes et valeurs universelles n'est pas, et n'a jamais été, un incident d'étape.

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