L'inlassable campagne de dénigrement en cours actuellement visant Nandini Singla, la haute-commissaire de l'Inde à Maurice, ne relève pas du premier cas dans l'histoire politique de notre pays où le représentant d'un pays étranger se retrouve mêlé à des controverses politiques.
Il faudrait remonter à 1969, soit un an après l'accession de Maurice à l'indépendance, pour voir comment un ambassadeur étranger s'impliquait directement dans les affaires politiques locales afin de promouvoir les intérêts de son pays et de son allié local. Il s'agit ici de Raphaël Leonard Touze, ambassadeur de France à Maurice, qui allait tout mettre en oeuvre pour s'assurer que Gaëtan Duval, leader du PMSD et battu aux élections de 1967, se retrouve dans le gouvernement comme le n° 2 de sir Seewoosagur Ramgoolam.
Raphaël Touze agissait en tandem avec le dirigeant politique français Michel Debré, député de la Réunion et ministre à Paris. Les deux réussirent dans leur besogne et Duval devint effectivement le n° 2 dans les faits. Pour certains, dans la foulée des interventions du tandem Touze-Debré à Maurice, Duval était même vu comme le véritable n° 1.
Dans la foulée des ingérences diplomatiques françaises initiées par l'ambassadeur Touze, Duval bénéficia d'un traitement de faveur de la part des Français. Il obtint même des dons de voitures Citroën-Maserati. Lors d'un déplacement d'une délégation mauricienne à Paris, les Français offrirent à Duval une suite dans un palace alors que sir Seewoosagur dut se contenter d'une modeste chambre.
Evidemment, la France étant chouchoutée par la grande majorité des Mauriciens, les ingérences de Touze et de Debré ne suscitèrent aucune réaction hystérique de bashing comme on le voit normalement avec des Indiens. La seule voix condamnant fermement les agissements de Touze à Maurice était celle d'un jeune Mauricien qui allait plus tard marquer l'histoire du pays. Il s'agissait de Paul Bérenger, très actif au niveau d'un groupe peu connu, le Club des Étudiants Militants, qui deviendra plus tard le féroce Mouvement Militant Mauricien (MMM).
Duval fut botté hors du pouvoir en décembre 1973 et l'ambassadeur français cessa de jouer à l'"acteur principal" dans la comédie politique mauricienne. Il fut muté ailleurs en 1974.
Un nouvel acteur ne tarda pas à entrer en scène vers 1976. Il s'appelait Ibrahim Al Jaddy, ambassadeur du géant pétrolier appelé la Libye. Il se mit alors à conquérir toute l'île Maurice. Il disposait de moyens astronomiques. En termes de pétrodollars à être distribués, l'ambassadeur libyen était un fervent adepte du dicton the sky is the limit. Bien que soutenant ouvertement le MMM, Al Jaddy soignait aussi des liens avec d'autres partis. Presque tous les membres de la classe politique eurent l'occasion, à un moment ou un autre, de visiter la Libye et de s'offrir des séjours à Londres, Paris et Rome, en faisant la connexion aérienne avec Tripoli.
Al Jaddy resta le principal acteur et bailleur de fonds jusqu'à la fin de 1983. Son amour local perdit les élections de 1983. Cachant mal son soutien au MMM et son antagonisme envers le MSM nouvellement né, Al Jaddy, présent au Parlement, fut crédité du rire le plus moqueur et bruyant quand Vishnu Lutchmeenaraidoo fit son entrée comme nouveau ministre des Finances. Les dirigeants du MSM digéraient mal la présence des Libyens à Maurice et l'affable Al Jaddy finit par se faire expulser.
Mais avant même le départ d'Al Jaddy, un diplomate indien avait fait une fracassante entrée en scène. Dans les dernières années du Prime-ministership de sir Seewoosagur, ce hautcommissaire portant le nom de Prem Singh, avait activement participé à une stratégie pour mettre fin au règne des Travaillistes et d'installer le MMM au gouvernement. L'impératrice de l'Inde, Indira Gandhi, avait décidé de write-off sir Seewoosagur pour des raisons de géopolitique. SSR était jugé trop proche des Occidentaux alors que l'Inde était prosoviétique.
La présence de Harish Boodhoo dans les rangs de l'Opposition joua aussi un rôle dans la nouvelle politique de l'Inde. Comme pour "donner le signal" aux Mauriciens, Prem Singh organisa des rencontres à tour de rôle entre Indira Gandhi et des éléments de l'Opposition MMM dont Anerood Jugnauth, Paul Bérenger, Kader Bhayat et Jean-Claude de L'Estrac. Inutile de dire que le MMM vendit d'une façon très efficace, surtout au niveau de son journal Le Nouveau Militant, ces rencontres du n° 1 indien avec des dirigeants mauves. Un 60-0 était en gestation.
Toutefois, Prem Singh n'eut pas la chance de goûter à la victoire du MMM en juin 1982. Diplomate de carrière, il avait été muté dans un pays arabe. Lors de la visite d'Indira Gandhi à Maurice en août 1982 - la toute première d'un dirigeant étranger après le 60-0 de juin 1982 -, une demande que lui firent les nouveaux dirigeants gouvernementaux porta sur une nouvelle nomination de Prem Singh comme le représentant de l'Inde à Maurice.
Indira Gandhi accéda à la requête. Mais suivant une initiative diplomatique jugée antiindienne de Maurice aux Nations unies, Indira Gandhi prit la décision soudaine et brutale de faire renverser le gouvernement MMM à Port-Louis. La première dame indienne envisagea même l'intervention militaire de l'lnde si le MMM allait remporter les élections de 1983. Prem Singh devint l'un des principaux pourfendeurs du MMM lors des élections de 1983. Il mobilisa d'énormes moyens pour assurer la victoire du MSM et de ses alliés à ces élections.
Tout compte fait, Nandini Singla a l'air d'un poupon comparée aux terribles Raphaël Touze, Ibrahim Al Jaddy et Prem Singh. En face du rustre Prem Singh, elle impressionne par son élégance et sa maîtrise du français. Elle a même exprimé ses souhaits du 12 mars en créole. Mais même si elle s'habillait et se coiffait comme Marie-Antoinette et parlait créole comme une "matante" sur la plage de Mont-Choisy, elle n'aurait pas échappé au rouleau-compresseur de l'India-bashing, une machine infernale dont le moteur n'a cessé de rouler depuis des décennies.