Ses dessins coloriés et son alphabet illustré de la langue bété furent une véritable révélation à la fin des années 1980. L'oeuvre de l'artiste ivoirien Frédéric Bruly Bouabré, décédé en 2014, figure aujourd'hui dans les plus grandes collections d'art contemporain. Une cote qui attire de plus en plus les faussaires. La Biennale de Venise s'y est même trompée en avril dernier. Explications.
Les premières contrefaçons de Frédéric Bruly Bouabré sont apparues avant sa mort, mais que des faux se retrouvent dans le saint des saints, la Biennale de Venise, le galeriste français André Magnin, qui a découvert l'artiste ivoirien, n'en revient toujours pas. " Il y avait un pavillon ivoirien, dans un endroit tout à fait respectable, se souvient-il au micro de Claire Fages. Il y avait quatre artistes, je crois. Et je découvre un grand nombre de Bouabré que je n'avais jamais vus. Comme j'en ai vu passer depuis des années dans les maisons de vente, ou des collectionneurs qui viennent à moi pour que je les authentifie, pour moi, tous ces dessins, ce sont pour moi des faux ".
Nous n'avons pas pu joindre le commissaire du dernier pavillon ivoirien, Henri N'Koumo, mais celui des premières éditions à Venise, Yacouba Konaté. Pour cet autre grand connaisseur de Bouabré, l'erreur était évitable. " C'est un problème de rigueur et de pôle de décision, de responsabilité, estime-t-il. Parce que même si on n'a pas la formation, il y en a qui l'ont. Si on demande à ceux qui savent, ils vous diront. Moi, j'ai fait les deux premières éditions des pavillons de la Côte d'Ivoire. Mais quand j'ai vu que certaines autorités, notamment à l'ambassade d'Italie, essayaient de me mettre des partenariats qui ne m'arrangeaient pas, j'ai rendu le tablier ".
Y a-t-il eu tromperie délibérée de ces partenaires italiens ? L'un d'eux, galeriste à Pietrasanta, se retranche derrière le droit international : les descendants sont les seuls habilités à authentifier les oeuvres et ce sont eux qui lui ont vendu ces pièces. Or c'est bien le problème, l'un des fils Bouabré fut l'un de ses premiers faussaires.
Cette contrefaçon florissante des oeuvres de Bouabré peut-elle par ailleurs atteindre la cote de l'artiste ivoirien ? Selon Yacouba Konaté, qui dirige la Rotonde des arts à Abidjan, ce sont plutôt les collectionneurs en possession de faux qui doivent s'inquiéter.
" Je pense qu'il va y avoir une petite surenchère pour les vrais "
" Le paradoxe, c'est que le faux certifie a contrario le vrai, assure-t-il. Si on te falsifie, c'est comme les humoristes, si vous êtes un personnage du "Bébête Show" [une émission de télévision française satirique de marionnettes, d'imitation et de parodie de l'actualité politique durant les années 1980 et 1990, Ndlr], ça veut dire que vous commencez à compter. Donc, je pense qu'il va y avoir une petite surenchère pour les vrais, d'autant plus que Bruly c'est quand même un fabuleux artiste, donc je ne pense pas que ça va atteindre la valeur des vrais, mais je pense que ça va être une descente aux enfers pour beaucoup de faux ".
Yacouba Konaté conclut : " Il y aura certainement une suite à cette histoire, sur ce registre ou sur d'autres, parce que là où je suis, je peux vous dire que dans le domaine de la photographie, il y a beaucoup d'oeuvres qui circulent aussi, de grands photographes africains, qui ne sont pas toutes des oeuvres dûment signées par des artistes qui, souvent d'ailleurs, sont morts depuis longtemps. "