Congo-Kinshasa: 150 000 personnes déplacées dans le Lubero ont besoin d'une aide humanitaire d'urgence

communiqué de presse

Depuis un an, dans une partie de la province du Nord-Kivu, la population fait face à une résurgence des combats liés à la reprise du conflit avec le M23. Caroline Seguin, coordinatrice des opérations d'urgence pour MSF, se trouve actuellement dans le territoire de Lubero, situé au centre de la province, où MSF s'apprête à répondre aux besoins sanitaires des habitants déplacés par les combats. Elle nous explique les conditions dans lesquelles vivent actuellement ces personnes et les besoins urgents auxquels elles font face.

Quels mouvements de population avez-vous pu constater ?

Ces personnes viennent de différentes localités du Nord Kivu, notamment celles dans le sud de Kayna où je suis actuellement. Avant ces mouvements de populations, 87 000 personnes avaient déjà été déplacées à Kibirizi, où MSF mène un projet pour faciliter l'accès aux soins des populations depuis 2018. Début mars, il y a eu des affrontements dans cette zone et les gens qui étaient venus trouver refuge ici ont été obligés de se déplacer à nouveau pour remonter vers le nord. Sur un autre axe, à l'ouest de Kayna, on parle aussi de dizaines de milliers de personnes de plus affectées par ces affrontements. Aujourd'hui, on estime qu'il y a eu 150 000 personnes déplacées à la suite de ce conflit aux alentours de Kayna et dans le territoire de Lubero au cours des dernières semaines.

De nombreuses familles ont fui la violence du jour au lendemain et n'ont pas eu le temps de prendre leurs affaires. Le départ s'est généralement passé de façon très soudaine ou précipitée et certains ont été témoins de violences. J'ai vu des gens qui ont été déplacés plusieurs fois, n'ayant reçu aucune assistance humanitaire, dormant par terre sans couverture.

Quelle est la situation sanitaire dans le territoire de Lubero ?

Nous avons fait des évaluations dans 10 centres de santé et nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait quasiment plus de médicaments. Parfois, il n'y a même pas un sachet d'aliment thérapeutique pour prendre en charge les cas de malnutrition, ni de lait thérapeutique pour traiter la malnutrition sévère en hospitalisation.

Dans la zone de santé de Kayna, il y a eu des alertes de cas de rougeole. Les personnes déplacées étaient auparavant dans une zone épidémique, notamment à Kibirizi, où MSF avait ouvert un centre de traitement de la rougeole et où les cas arrivaient quotidiennement. Avec les déplacements de population et sans possibilité de vaccination, il y a un risque que l'épidémie s'étende.

L'accès à l'eau est également un réel problème. Les files d'attente sont tellement longues que les gens sont obligés de se lever au milieu de la nuit pour aller aux bornes. Ils se partagent de vieux bidons sales. Et évidemment, avec cet afflux massif de population, il y a une insuffisance de latrines.

Les personnes ont trouvé refuge soit dans des familles d'accueil, soit dans des églises ou des écoles. Dans quasiment tous les lieux d'accueil que nous avons visités, nous avons constaté des épidémies de gale. Dans le sud-est, à Kirima, la situation est telle que des femmes accouchent par terre dans la boue.

La situation est également difficile pour les populations hôtes qui accueillent ces déplacés. Depuis la résurgence des affrontements il y a un an, il y a une grave crise économique dans ces régions agricoles qui avaient l'habitude d'exporter leurs récoltes soit dans les pays étrangers limitrophes, soit sur Goma qui est la capitale de la province. Maintenant, comme la plupart des routes sont coupées, les habitants n'arrivent plus à exporter leurs récoltes. Toute la population souffre et subit les conséquences du conflit sur le plan économique. Certains foyers accueillent deux ou trois familles en plus ; les maisons sont bondées. Le peu qu'ils ont, ils le partagent avec les déplacés qui arrivent. C'est difficile pour tout le monde, on ne fait plus de différence en termes de besoins entre les familles d'accueil et les déplacés finalement.

Constatez-vous de la malnutrition à grande échelle ?

En ce qui concerne la nourriture, c'est aussi catastrophique. A chaque fois qu'on se déplace dans un centre d'hébergement, on voit à peu près 1 000 personnes, environ 200 familles, et il y a toujours des cas de malnutrition sévère, avec des complications associées. Les gens ne font qu'un repas par jour.

La malnutrition est visible d'un simple regard. Je n'ai même pas besoin de faire de tests et c'est un très mauvais signe. Si on commence à remarquer des enfants malnutris dans la rue, c'est qu'il y en a beaucoup. Quand nous commencerons à dépister à une large échelle la population, nous ferons sans aucun doute face à de multiples cas de malnutrition.

J'ai rencontré une femme qui venait de Kisheshe et son mari était atteint d'une maladie chronique. Ils ont été obligés de fuir et malgré son état de malnutrition avancée, elle a réussi à le porter sur son dos. Il est malheureusement mort à leur arrivée, faute d'accès à un hôpital.

Que met en place MSF pour répondre aux besoins de la population au Nord-Kivu ?

Il faut que les équipes soient mobilisées, flexibles et réactives. En fonction des zones de conflit, les populations peuvent se déplacer très rapidement. Il faut pouvoir les suivre pour répondre rapidement à leurs besoins essentiels. C'est le premier objectif opérationnel.

Ensuite, au niveau des activités, nous menons plusieurs projets, des deux côtés de la ligne de front, et dans des territoires où MSF est souvent le seul acteur médical présent. Notre objectif est de rendre accessibles les soins de santé aux populations à travers des consultations médicales gratuites. Dans le territoire de Rutshuru par exemple, nous soutenons treize centres de santé qui accueillent en ambulatoire des enfants souffrant de malnutrition, mais aussi des victimes de violences sexuelles. Nous appuyons également ces centres de santé pour renforcer leur capacité en médicaments et pour financer les consultations pédiatriques. Dans l'hôpital de Rutshuru, les équipes MSF soutiennent plusieurs services, dont celui des urgences.

A Kayna, on est en train de préparer une campagne de vaccination de masse contre la rougeole, avec un objectif de 100 000 personnes vaccinées. On va également distribuer des kits non alimentaires, avec des couvertures, des nattes, des bidons pour récupérer l'eau, des moustiquaires et du savon.

Comment s'organise la réponse humanitaire à Lubero ?

La plupart des acteurs humanitaires aujourd'hui sont concentrés sur Goma. Il est vrai que la situation y est très difficile. Dans les camps de déplacés de Bulengo et Lushagala qu'abrite la capitale du Nord-Kivu, le choléra fait des ravages. En une heure trente d'évaluation, les équipes ont vu trois personnes en mourir. Une épidémie de rougeole est aussi en train de battre son plein avec un nombre de cas qui explose de jour en jour.

Mais il y a très peu d'ONG qui travaillent en dehors de Goma, alors qu'il y a de grands bassins de population, plus de 600 000 personnes. Et dans le territoire de Lubero, à part MSF et le CICR, aucune autre ONG n'intervient pour le moment. La population est livrée à elle-même.

Comme les routes sont coupées, seul l'avion permet d'accéder à ces espaces, ce qui n'est pas le moyen de locomotion le plus accessible au plus grand nombre. Aussi, nous demandons aux Nations Unies de recréer des ponts aériens pour pouvoir acheminer plus d'aide. Il faut donner accès à ces zones aux humanitaires depuis Goma afin qu'une assistance humanitaire soit déployée à la hauteur des besoins des populations, notamment avec des distributions massives de nourriture. Il faut aussi rapidement approvisionner les centres de santé en médicaments de base, comme les antipaludéens et les aliments thérapeutiques pour prévenir et prendre en charge les cas de malnutrition.

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