Faut-il s'étonner si on assiste aujourd'hui à un exode des cerveaux de la finance vers d'autres juridictions ? Non, soutiennent les spécialistes du secteur, affirmant que ce phénomène n'est pas nouveau et qu'il faudra le subir pendant deux ou trois ans encore. Pour autant, d'autres ne souscrivent pas totalement à cette opinion car ils sont persuadés qu'il existe effectivement d'autres facteurs objectifs qui poussent ces jeunes professionnels à migrer vers d'autres centres financiers.
Qu'on ne se voile pas la face ! Il y a des raisons qui peuvent objectivement pousser un jeune professionnel à chercher l'aventure ailleurs, même si l'herbe n'y est pas nécessairement verte. Face au sentiment de découragement où la perception actuelle est que la démocratie recule, que les institutions-phares du pays ne sont plus indépendantes, voire sont grandement politisées, et que les principes de méritocratie sont loin d'être respectés, faut-il retenir un jeune s'il voit s'ouvrir devant lui un boulevard d'opportunités à l'étranger ?
Shahed Hoolash, directeur exécutif de Vistra Ltd, une société de gestion opérant dans le Global Business, n'y croit pas, peu importe les moyens de pression même s'il est persuadé que les jeunes aujourd'hui ne sont pas animés par ce réflexe. "Il faut situer cet exode de compétences dans son contexte. C'est le rayonnement de notre centre financier à l'échelle internationale, connu pour le savoirfaire de ses spécialistes, qui fait que ses effectifs sont sollicités dans certains centres financiers. Mais il faut comprendre aussi que s'il y a des jeunes professionnels qui acceptent de quitter la juridiction mauricienne pour le Luxembourg, Londres ou d'autres centres financiers, c'est surtout et avant tout en raison du package."
L'économiste Pierre Dinan ne souscrit pas totalement à cette analyse, observant que le glissement vers l'autocratie perceptible, soutenu d'ailleurs par des instituts internationaux qui rappellent dans leurs récentes enquêtes sur la qualité et la pratique de la démocratie dans notre République, est une des raisons susceptibles de motiver le choix de ces jeunes professionnels. N'empêche qu'il avoue que le bilinguisme des experts comptables mauriciens en fait des candidats de premier choix pour des postes dans des centres financiers internationaux. "Les diplômes d'expertise comptable britanniques ont une très grande réputation, et on imagine bien que ces centres financiers soient à la recherche de professionnels, non seulement qualifiés, mais aussi capables de s'exprimer dans la langue maternelle de l'investisseur. L'anglais et le français sont parmi les langues les plus parlées dans le monde.".
John Chung, managing partner chez KPMG, ajoute dans la foulée que la juridiction mauricienne est victime de son succès et que l'accélération de ce brain-drain s'explique aussi par l'ouverture de l'Europe vers des compétences locales et la facilité d'y trouver un emploi, notamment au Luxembourg, où de nombreuses sociétés britanniques se sont délocalisées avec le Brexit pour s'y installer. Certes, ce brain-drain ne date pas d'aujourd'hui et c'est un phénomène qu'on ne pourra pas éliminer, souligne le chairman de Mauritius Finance, Samade Jhummun. Toutefois, il croit qu'il est possible de l'atténuer en renforçant les capacités dans les services financiers. "Nous estimons qu'il faut d'une part permettre à un plus grand nombre de jeunes de connaître le secteur et de développer des compétences pour le rejoindre. Mais, parallèlement, il est crucial de fournir des formations de pointe pour permettre à nos professionnels de développer des expertises en grande demande sur le marché international. "
Il faut certes relativiser ce phénomène, disent des spécialistes du secteur qui observent que l'exode des cerveaux intervient généralement chez des jeunes ayant deux à sept ans d'expérience, donc au début de leur carrière, qui souhaitent explorer une expérience professionnelle. Ceux de la tranche 35-40 ans sont dans une posture différente. Ils sont relativement bien rémunérés et ne veulent pas être confrontés au coût de la vie dans d'autres centres financiers couplée à une fiscalité lourde. "Tout compte fait, s'ils décident m a l g r é tout de faire le grand saut, c'est avant tout pour assurer l'avenir de leurs enfants", disent-ils.
Que faut-il faire pour renverser cette tendance et retenir ces jeunes ? Un virage à 180 degrés serait bienvenu, selon Pierre Dinan, avec un retour amplement perceptible vers le respect de la démocratie, la revalorisation des institutions, la séparation des pouvoirs et le respect de la méritocratie à travers toutes les strates de la société mauricienne. Samade Jhummun trouve de son côté que la création d'un environnement de travail attractif et compétitif peut encourager les professionnels à rester pour réduire la fuite des cerveaux.
Quoi qu'il en soit, si ce phénomène se poursuit, cette industrie sera confrontée à un manque aigu de compétences pour soutenir une nouvelle vague de croissance alors même que le Global Business passe par une phase de consolidation.