En Centrafrique, ce mois de mars 2023 coïncide avec les dix ans du renversement de François Bozizé par la rébellion de la Seleka. Déjà plongé dans la crise, le pays connaîtra l'accélération des violences tout au long des années 2013 et 2014, avec la création des milices anti-balaka. On parle alors parfois de " troisième guerre civile centrafricaine " ; elle a fait de nombreuses victimes et ses conséquences sont encore puissamment ressenties dans la société centrafricaine
Dix ans après son renversement, l'ancien dirigeant centrafricain François Bozizé n'a jamais renoncé à l'idée de revenir au pouvoir à Bangui. Mais son récent départ à Bissau, nouveau lieu d'exil, l'en éloigne davantage. " Je me lève toujours pour combattre les ennemis venus de l'extérieur et leurs complices " ; pour sa seule communication publique, quelques jours après son arrivée à Bissau début mars, François Bozizé a tenu à rassurer ses soutiens : il n'abandonne pas la partie aux autorités de Bangui et aux mercenaires de Wagner.
Bozizé " ne craint pas l'exil "
Le gouvernement centrafricain a néanmoins obtenu un succès avec l'éloignement du leader de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), dans le cadre de tractations avec le Tchad, la médiation angolaise et sous l'oeil de la diplomatie américaine. Ses proches l'assurent : celui qui a participé à nombre de manoeuvres politiques, putsch et mutineries depuis quarante ans, " ne craint pas l'exil " ; il l'a connu une bonne partie de sa vie.
Mais, à 76 ans, que peut encore espérer François Bozizé ? " Un putschiste qui échoue n'a pas beaucoup de valeur ", estime un ancien chef rebelle centrafricain, selon qui François Bozizé est " un frein " à la lutte contre le pouvoir central, car il n'a " plus de crédibilité ". Sans oublier qu'il est sous sanctions de l'ONU depuis 2014. Le principal intéressé a cependant nié toute marque de déclin : " Seuls les leaders des groupes armés (...) ont le pouvoir de décision, et jusqu'à preuve du contraire, rien ne les oblige à remettre en cause (...) ma nomination comme coordonnateur général ", a-t-il écrit, estimant que la CPC n'a pas été " décapitée " par son déménagement contraint.
MSF publie les récits poignants des témoins de ces violences
Médecins sans frontières propose sur le sujet un documentaire, " les Événements ". Un ensemble de photos et de témoignages pour saisir les destructions et les traumatismes causés par cette crise. " Aux environs de 9 heures, dit Joseph, mon fils, alors vendeur ambulant, circulait au quartier Miski. Un élément de la Seleka lui tira une balle qui l'atteignit au niveau du ventre, broyant ses intestins. Il fut opéré par l'équipe de Médecins sans frontières. Mais leurs tentatives furent vaines et l'enfant mourut à l'âge de 20 ans ".
Comme celui de Joseph, " Les Evénements " donnent à entendre quinze récits de la crise centrafricaine. Traumatismes physiques et moraux, destruction du tissu social, fuites contraintes et difficiles, recherche de justice. Les récits de ces témoins accompagnent les photographies pleines d'humanité de la Canadienne Adrienne Surprenant : " L'idée, c'était vraiment de voir comment leurs relations familiales, leurs familles ont été changées, bouleversées ou ont été forcées d'évoluer d'une certaine façon à cause de ce qu'ils avaient vécu ".
Un " traumatisme latent "
Adrienne Surprenant a habité en Centrafrique. Pour son retour, elle dit avoir ressenti une forte lassitude face au cycle ininterrompu des violences : " Je pense que c'est un endroit où à peu près tout le monde a soit vécu, subi ou participé à un acte de violence plutôt extrême, donc qui est un traumatisme latent pour la population. Je trouve qu'aujourd'hui, on ressent une vive lassitude face à ce conflit qui perdure. Et pour avoir passé deux ans loin du pays, c'est quelque chose qui m'a quand même bien frappée en y retournant ". Les racines des crises sont toujours bien présentes aujourd'hui en RCA, leurs stigmates soulignent l'apprentissage nécessaire du vivre-ensemble.
" Les Événements ", un documentaire photographique et sonore de Médecins sans frontières (MSF) et de la photographe Adrienne Surprenant.