Maroc: Alain Jourdan - La France, perdante dans la crise avec le Maroc, fait face à une nouvelle vague de décolonisation en Afrique

La France est "la plus grande perdante dans la crise des relations bilatérales avec le Maroc, dans un contexte plus large marqué par l'enlisement de Paris dans une nouvelle vague de décolonisation en Afrique", a affirmé le journaliste et écrivain français, Alain Jourdan.

"La prolongation de la crise et son développement rendent difficile la sortie du marasme, ce qui ne manque pas d'irriter l'élite économique française qui a des intérêts et une présence traditionnelle dans le milieu des affaires marocains", analyse sur un ton pessimiste le chercheur en affaires stratégiques dans un entretien à la MAP.

"Je n'ai pas d'explication aux origines du problème", relève M. Jourdan qui est le directeur de l'observatoire géostratégique de Genève, estimant que la situation actuelle est plus problématique pour la France, le Maroc ayant réussi à établir des partenariats avec d'autres puissances stratégiques. D'autant que la France est en phase de perdre son influence en Afrique subsaharienne comme dans le Maghreb.

C'est un échec français sur plusieurs fronts "qui doit interpeller nos politiciens et nos diplomates pour mettre un terme à l'hémorragie", soutient-il, ajoutant, non sans ironie : "Quel accomplissement ! Nous avons réussi à détériorer nos relations avec tout le monde".

"Il existe une frustration du côté marocain, puisque les efforts déployés par le Royaume pour lutter notamment contre le terrorisme et coopérer sincèrement avec les Français et les Européens ne donnent pas lieu à une interaction favorable aux intérêts et aux choix du Maroc", estime-t-il, notant que le rôle du Royaume dans la lutte anti-terroriste est loué dans des rapports officiels et non officiels en France, en Espagne, aux Etats-Unis et par nombre de services de renseignements occidentaux.

"Il est donc naturel que le Royaume s'attende à plus de considération, compte tenu de ses efforts dans le domaine", indique M. Jourdan.

Et de poursuivre que "l'approche du Maroc sur l'aspect religieux en fait également un acteur de premier plan pour combler le fossé entre l'Occident et le monde musulman, qui est le fruit de préjugés et d'une certaine image caricaturale de l'Islam qui le limite aux groupes armés qui menacent la démocratie".

"Comment peut-on alors sacrifier les avantages issus des relations franco-marocaines", se demande-t-il, rappelant que les deux pays ont une histoire commune et des relations exceptionnelles par rapport à d'autres puissances, en dépit du passé colonial. "Il est regrettable de dilapider un tel capital".

La France ne retrouvera sûrement pas sa place traditionnelle, puisque le monde est en évolution constante, anticipe M. Jourdan qui a été le correspondant de "La tribune de Genève" à l'Office des Nations unies, faisant observer qu'il existe désormais plusieurs pôles en concurrence stratégique sur plusieurs axes.

"Mais il est inconcevable de perdre les acquis d'une longue histoire de relations de confiance entre le Maroc et la France en particulier et entre la France et une grande partie de l'Afrique en général", affirme-t-il.

"En tant que Français, j'espère que le déclin de la France en Afrique n'est pas définitif", dit-il, relevant qu'il s'agit d"'une nouvelle vague de décolonisation tant sur le plan politique que culturel".

Les Africains refusent d'être vus de haut avec paternalisme, ils veulent jouer un rôle dans une approche globale et en étant ouverts à divers partenaires dans une relation qui profite à tout le monde, explique M. Jourdan.

Dans le paysage stratégique actuel, l'écrivain souligne que ce qui se passe en Ukraine ne doit pas faire oublier à l'Europe ses relations avec l'Afrique. "Au contraire, ces perturbations ont mis à nu la faiblesse de sa présence en Afrique et cela doit donc l'encourager à présenter un nouveau partenariat qui fasse oublier les décennies d'exploitation du continent par l'Occident".

Selon lui, "la situation stratégique de la France et de l'Europe dans son ensemble est dans l'impasse et la relation avec le continent africain, qui élève sa voix, revendiquant sa position naturelle parmi les Etats indépendants autonomes, doit être radicalement révisée".

Nizar Lafraoui (MAP)

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