Afrique du Nord: La promesse de mettre fin au SIDA dans la région MENA est menacée

analyse

Contexte

À une époque où la nouvelle stratégie du programme conjoint des Nations Unies pour le SIDA 2021-2026 appelle de nombreuses instances et organisations internationales à prendre des mesures radicales pour accélérer la riposte au VIH et atteindre les objectifs de 2030, de nombreux pays de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord demeurent toujours les oubliés et négligés de cette solidarité mondiale. En raison des crises économiques, sociales et politiques ainsi que le manque de financement des donateurs internationaux, ces pays rencontrent de graves difficultés dans la lutte contre VIH.

Relativement à la région MENA très précisément, si la tendance se maintient, elle ne sera pas en mesure de mettre fin au VIH/ SIDA à l'horizon 2030.

La situation VIH dans le monde et la région MENA

Les données publiées dans le dernier rapport de l'ONUSIDA, intitulé " En danger ", révèlent que le monde n'est pas sur la bonne voie pour mettre fin au sida d'ici 2030. La réduction de 3,6 % des infections mondiales à VIH en 2021 est la plus faible baisse annuelle depuis 2016. Si la tendance actuelle se maintient, le monde sera confronté à 1,2 million de nouvelles infections à VIH d'ici à 2025, soit trois fois plus que l'objectif assigné de 370 000 nouvelles infections au départ. L'Europe de l'Est et l'Asie centrale, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord et l'Amérique latine connaissent depuis plusieurs années une augmentation des infections annuelles à VIH.

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Les données de l'ONUSIDA pour la région MENA (connue pour être la moins financée par les bailleurs) montrent que les nouvelles infections à VIH sont en train d'augmenter considérablement. Les nouvelles infections à VIH ont augmenté depuis 2015 dans 38 pays situés pour la plupart dans la région MENA, l'Europe de l'Est et l'Asie centrale.

Ce sont 26 000 sur 650 000 personnes qui sont mortes de maladies liées au sida dans la région MENA en 2021 alors que des traitements abordables sont disponibles pour les traiter. En fait, la couverture du traitement reste encore très faible (50% moins) par rapport au reste du monde.

Les barrières qui entravent la lutte contre le VIH

La faible couverture de traitement est due à plusieurs facteurs, parmi lesquels la stigmatisation et la discrimination que vivent les personnes vivant au VIH dans les centres de prise en charge. Les barrières économiques et juridiques, les ruptures de stock que connaissent certains pays de la région en raison d'un contexte politique, économique et social très instable et hostile envers les populations clés entravent également l'accès aux traitements, notamment ceux de la nouvelle génération.

Notons également que la pandémie de COVID-19 et la crise économique ont eu un impact dévastateur sur la lutte contre le sida en 2020. Elle a gravement perturbé l'accès aux systèmes de santé, aux tests de dépistage et aux traitements dans de nombreux pays de la région MENA.

Les pays riches réduisent ou redéployent les budgets humanitaires vers d'autres priorités. Cette situation contraint les pays à revenu faible et intermédiaire de la région MENA - déjà lourdement endettés- à réduire les dépenses consacrées aux services sociaux essentiels tels que la santé et l'éducation.

Dans le contexte privé, les traitements discriminatoires se produisent au sein même de la famille. Il est courant que les PVVIH ou ceux qui font partie d'une population clé soient chassés de chez eux en raison de leur statut VIH, de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. De plus, il existe des lois, des règlements et des projets de loi discriminatoires qui affectent les PVVIH et les populations clés. Toutes ces formes de discrimination, de marginalisation et d'absence d'accès adéquat à la justice accroissent la vulnérabilité des PVVIH et des populations clés.

Le Fonds mondial et la région MENA : pourquoi cet éloignement?

Le principal bailleur dans la région MENA reste le Fonds Mondial. Cependant, celui-ci n'a pas réellement pris en considération les préoccupations de la MENA en termes d'allocation pays (ni de subventions régionales) à la suite de la septième reconstitution de ses ressources en septembre 2022 à New York.

En effet, les 15.7 milliards de dollars mobilisés au cours de cette rencontre sont, aujourd'hui, essentiellement répartis entre les subventions pays, les investissements catalytiques, les subventions régionales et les initiatives stratégiques. La région MENA s'est vue retirer sans aucune explication l'unique subvention régionale dédiée aux groupes de populations clés dans cinq pays. Cette subvention annoncée en 2018 et qui s'est étalée sur deux cycles allant de 2019-2021 à 2022-2024 ne sera pas reconduite pour une troisième phase.

Cette subvention régionale regroupant le Liban, la Jordanie (pays non éligible aux ressources du Fonds mondial), le Maroc, l'Égypte et la Tunisie prendra donc fin en décembre 2024.

L'objectif de ce programme multi-pays est d'assurer la durabilité des services pour les populations clés parmi les pays en transition. Elle permet ainsi aux OSCs récipiendaires de cette subvention de :

Plaider pour accroître le financement national pour des services de qualité de prévention, de traitement et de soins du VIH pour les populations clés par le biais de systèmes de santé publique, de systèmes communautaires ou de contrats sociaux ;

Aborder les obstacles liés aux droits humains aux services liés au VIH pour les populations clés afin de réduire les obstacles structurels à l'accès des populations clés aux services et d'augmenter la rétention dans les soins, comme en témoigne l'indice de stigmatisation ;

Améliorer la capacité des réseaux des OSC et des PC à répondre aux besoins des populations clés et leur capacité à collaborer avec les systèmes de santé ;

Développer et mettre en oeuvre des modèles innovants de prestation de services durables.

En faisant le choix de ne plus renouveler cette subvention, le Fonds mondial met à l'écart des pays non-éligibles et laisse derrière les priorités des communautés déjà fortement éprouvées.

De nombreuses questions se posent face à de telles décisions. Que faut-il aujourd'hui pour devenir la priorité des instances de financements de la santé mondiale ? La vie des personnes vivant avec le VIH dans la région MENA vaut elle moins que celle des autres régions ? Mettre fin au Sida d'ici à 2030 dans la région MENA ne représente-t-il pas une priorité pour l'agenda international ? pourra-t-on mettre fin au Sida sans l'implication des pays de la région MENA ?

Une chose est certaine : le coût humain et financier de l'inaction pour mettre fin au sida d'ici 2030 dépasserait ainsi de loin le coût de l'action immédiate et nécessaire pour redresser la situation actuelle.

Cela dit, loin de céder au défaitisme, formulons ici quelques recommandations pour lutter contre le VIH, malgré le contexte difficile.

Quelques recommandations pour lutter contre le VIH

Nous sommes convaincus que pour défendre et étendre leur riposte au VIH, les pays de la région MENA peuvent et doivent :

S'attaquer aux inégalités économiques et sociales qui empêchent les personnes de bénéficier des services de prévention, de dépistage et d'accès au traitement du VIH.

Renforcer les droits de la personne et l'égalité des genres. Les lois et politiques punitives, discriminatoires et contre-productives doivent être réformées, voire révoquées. Les droits fondamentaux des femmes et des filles, y compris leurs droits sexuels et reproductifs, doivent être respectés. Les pays doivent hiérarchiser et intégrer des efforts ciblés et dotés de ressources suffisantes pour mettre fin à la violence sexiste dans les ripostes nationales au VIH.

Donner un nouvel élan à la prévention du VIH. Les pays de la région MENA doivent accorder une priorité politique et financière à la prévention du VIH et passer à la mise en oeuvre à grande échelle de projets de prévention tels que la PrEP et les injectables à action prolongée, en particulier pour les groupes vulnérables de personnes comme les jeunes femmes et les adolescentes, les hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes, les travailleurs et travailleuses du sexe, les consommateurs de drogues et les personnes transgenres.

Soutenir et financer de manière durable les interventions dirigées par les communautaires eux-mêmes. Les pays doivent reconnaître le rôle essentiel des ripostes menées par les communautés et les intégrer dans la planification, la mise en oeuvre et le suivi des stratégies nationales de lutte contre le VIH. Les communautés devraient disposer de ressources suffisantes et les lois qui entravent les réponses menées par les communautés devraient être supprimées.

Contribuer à la solidarité internationale des institutions tel le Fonds Mondial de lutte contre le VIH, la Tuberculose et la Paludisme.

Le rôle important des communautaires

Les communautés doivent jouer un rôle crucial dans la direction et la réponse à l'épidémie de VIH partout dans le monde.

En effet, pendant la pandémie de COVID-19, nous avons constaté que la riposte communautaire au VIH prenait une place de plus en plus cruciale à un moment où le système de santé était surchargé. Des communautés du monde entier, y compris celles des pays de la région MENA, se sont efforcées à veiller à ce que les personnes vivant avec le VIH puissent toujours avoir accès aux médicaments grâce à des efforts tels que la distribution à domicile des ARV. Lors des crises humanitaires urgentes, telles que les conflits politique et militaires au Liban, Yémen, Syrie, Iraq, et Sud-Soudan, ce sont également les communautés qui se sont mobilisées pour aider les populations clés et les PVVIH à accéder aux services essentiels.

Les communautaires continuent de travailler pour renforcer les capacités des communautés à être en mesure de diriger les réponses, notamment dans le domaine de l'observatoire communautaire conduisant à une plus grande responsabilisation dans l'accès aux services de santé. Il est certain qu'avec un plus grand nombre de communautés considérées comme des partenaires égaux et de premiers plans, la riposte au sida s'améliorera.

Plus fondamentalement, l'optimisme quant à la fin du sida dans le monde entier nécessite un financement durable. La raréfaction continue de l'aide internationale doit inciter les pays de la région MENA à prendre le relais pour assurer l'amplification de l'accès à la prévention et aux soins contre le VIH. Il s'agit au moins de consolider les acquis.

Cela dit, en tant que communautaire et organisation de la société civile de la région MENA, nous appelons les pays donateurs et instances internationales à faire preuve d'éthique et d'équité au niveau des régions d'intervention. La sécurisation de fonds additionnels représente aujourd'hui pour la région MENA une étape cruciale pour lutter contre le VIH/sida et une question de vie ou de mort pour des milliers de personnes.

Mettre fin au Sida d'ici 2030 en laissant derrière toute une région est illusoire !

Zakaria Bahtout (International Treatment Prepardness Coalition In MENA)

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