Dans cet entretien, l'ambassadeur de l'Iran, Mohammad Reza Dehshiri, aborde la coopération bilatérale entre son pays et le Sénégal, les négociations sur le programme nucléaire iranien et les sanctions infligées à son pays pour son présumé soutien à la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine.
Quel est l'état des lieux des relations diplomatiques entre le Sénégal et l'Iran ?
Les relations entre le Sénégal et l'Iran sont actuellement au beau fixe. Nos deux pays entretiennent des relations très cordiales. L'Iran est le premier pays islamique au Moyen Orient à avoir ouvert une ambassade au Sénégal. En outre, il y a également la religion musulmane qui lie nos deux pays.
Pouvez-vous nous faire le point sur les projets phares de la coopération entre les deux pays ?
L'Iran veut toujours partager ses connaissances avec le Sénégal. C'est dans cette optique que le département de la Langue persane a été créé, en 2004, à l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar. Mais, malheureusement, il a été fermé en 2015 parce que, nous dit-on, il était difficile pour les étudiants qui y sortaient de trouver un emploi.
Cependant, il y a, au Sénégal, l'Université Al Mustafa. C'est une académie iranienne qui forme les jeunes. Il y a déjà 970 étudiants sénégalais diplômés de cette Université. Parmi eux, 25 sont allés poursuivre leurs études en Iran dans le domaine de la littérature persane, mais également dans le domaine de l'ingénierie du pétrole et du gaz. Outre le volet éducation, il y a également Sen-Iran auto qui a contribué à la rénovation du parc automobile, surtout des taxis et des voitures de police. Sen-Iran est disposé à partager son savoir-faire dans le contrôle technique des voitures et de la sécurité routière.
Que peut offrir l'Iran au Sénégal en particulier et à l'Afrique en général en matière de coopération ?
L'Iran dispose de beaucoup de potentialités en matière économique et scientifique. Il y a des possibilités de nouer des partenariats dans la construction de barrage, dans le traitement de l'infertilité, dans la nanoscience, dans la robotique, dans le domaine des drones, des produits pharmaceutiques en chirurgie cardiaque. Aussi, on peut aider le Sénégal à créer une raffinerie de 600.000 barils par jour et il n'aura plus besoin d'importer de produits comme le kérosène. Nous ne voulons pas monopoliser notre savoir-faire.
On veut le partager avec les pays musulmans comme le Sénégal, qui est la porte d'entrée en Afrique. Je pense donc que cette possibilité de coopération existe pour partager notre connaissance, surtout scientifique, avec le Sénégal et former les jeunes pour qu'ils soient au courant des dernières évolutions en matière d'agriculture, d'ingénierie de pétrole et de gaz. Par ailleurs, le Président actuel de l'Iran a misé sur l'Afrique. L'Iran est prêt à accompagner l'Afrique pour partager ses connaissances.
Comment renforcer les relations commerciales entre les deux pays ?
Il faut d'abord la connaissance mutuelle des capacités de l'un et de l'autre. C'est important. Je pense qu'il n'y a pas une bonne connaissance des potentialités de l'Iran au sein des commerçants et même parfois au sein des autorités politiques du pays. Cela est valable également pour les Iraniens. Ils doivent également essayer de connaître les potentialités du Sénégal. Il n'y a pas tellement de fréquentation entre les deux pays. Je pense qu'il faut une volonté politique des deux Ministres des deux pays qui sont impliqués dans les affaires commerciales.
Les négociations sur le programme nucléaire iranien sont dans l'impasse, alors qu'on semblait proche d'un accord il y a quelques mois. Où se situe le blocage ?
Pour les négociations, l'Iran a toujours été pour une négociation gagnant-gagnant. Il y a eu des négociations qui ont eu lieu en 2015 entre l'Iran et les cinq pays qui ont le droit de véto au conseil de sécurité des Nations Unies. L'Iran a pris l'engagement d'assurer qu'il n'y aurait pas de dérives pour le programme nucléaire atomique.
Et les Occidentaux avaient pris la garantie que les sanctions économiques contre l'Iran seraient levées. Donald Trump, à l'époque, Président des États-Unis, n'a pas respecté les engagements américains envers cet accord qui a été approuvé par l'Iran. Mais au bout d'un an, l'Iran a constaté que ce que les Occidentaux veulent, c'est la garantie pour qu'il n'y ait pas de dérives pour le programme nucléaire. L'Iran est prêt à revenir à l'accord de 2015 qui a été signé à condition qu'on nous garantisse que les sanctions économiques seraient levées.
Les États-Unis et l'Union européenne ont infligé des sanctions à l'Iran pour son présumé soutien à la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine. L'Iran livre-t-il des drones à la Russie pour attaquer des infrastructures civiles en Ukraine ?
L'Iran a eu, dans le passé et avant le début de la guerre, un contrat avec la Russie pour partager certains de ses drones. En ce moment-là, l'Iran avait donné des drones à la Russie sans savoir qu'elle allait les utiliser pour cette guerre. Une commission technique a été créée pour connaître l'origine des drones qui ont été utilisés par la Russie dans cette guerre.
Il y avait, dans cette commission, toutes les parties prenantes. Après leur enquête, les membres de cette commission n'ont pas pu approuver que les drones qu'utilise la Russie proviennent de l'Iran. Ils n'ont pas prouvé leurs accusations. Nous ne comprenons pas cette pression et cet acharnement sur l'Iran. Toutes ces sanctions consistent à obliger l'Iran à accepter un accord nucléaire qui donne plus de concession aux Occidentaux. Relativement à ce conflit, l'Iran a, depuis le début, exprimé sa neutralité. Cependant, nous sommes prêts à jouer le rôle de médiateur pour amener ces deux pays à trouver la paix.
Mais que propose l'Iran pour une solution diplomatique au conflit en Ukraine ?
D'abord, il faut l'arrêt immédiat de la guerre. Ensuite, il faut des négociations entre les deux parties. À cet égard, des organisations comme l'Union africaine peuvent jouer un rôle d'intermédiaire. L'envoi des armes en Ukraine ne rétablit pas la paix dans ce pays. Ce qui est important, c'est d'essayer, à tout prix, d'arrêter la guerre. Et l'Union africaine et les Nations unies peuvent y jouer un grand rôle.
L'Iran a récemment affirmé avoir repoussé une attaque aux drones contre ses sites militaires. Avez-vous réussi à identifier l'origine de cette attaque ?
Effectivement ! Nous avons même arrêté les présumés auteurs de cette attaque. Ils sont actuellement en détention. Une enquête a été ouverte pour connaître l'origine de ces derniers. Elle est d'ailleurs toujours en cours.
L'Iran a connu une vague de manifestations. Quelles sont les causes de cette contestation et comment justifiez-vous la répression qui s'en est suivie rapportée par les médias occidentaux ?
Cette manifestation a eu lieu à la suite de l'arrestation d'une fille iranienne. Cette dernière a été arrêtée par la police des moeurs. Elle a été acheminée vers un centre de détention. Malheureusement, une fois là-bas, elle a été victime d'un choc ayant conduit à son opération. Et, dès que cet accident est survenu, les médias occidentaux ont véhiculé l'information selon laquelle elle a été victime de bavures policières. Cela a été l'élément déclencheur des manifestations. Mais les manifestants ont été infiltrés par des forces étrangères qui, non seulement, étaient armées, mais ont attaqué les édifices publics.
On a même trouvé des balles réelles, alors que les policiers avaient des balles en plastique. Il y avait des réseaux qui voulaient perturber la situation de l'Iran. Nous les avons démantelés. En plus, la situation réelle qui se déroulait dans le pays ne correspondait pas à ce que les médias relataient. Il y a eu une exagération massive dans la narration des faits pour diaboliser l'Iran. On a voulu dépeindre le régime actuel comme un régime répressif. Nous avons démontré, pendant un mois, 50.000 " Fake-tweet ". Des robots qui ont été fabriqués pour ça.