Madagascar: Aina Liantsoa Randrianantoandro - «Les femmes constituent une majorité des acteurs de la chaine de valeur»

Elle travaille auprès de la FAO - l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture - à Rome, en tant que spécialiste en post-capture des pêches. En parallèle, elle est aussi doctorante à l'Euclid University où elle prépare son PhD in Sustainable Development and Diplomacy. Aina Liantsoa Randrianantoandro est une femme pleinement engagée dans la promotion de l'égalité du genre et l'autonomisation des femmes, non seulement dans sa vie personnelle et sociale, mais aussi dans le cadre de ses activités professionnelles qui sont notamment concentrées sur la pêche artisanale en Afrique.

Une historienne qui devient une spécialiste des pêches, comment en êtes-vous arrivée là?

C'est une question qui me revient souvent, aussi bien de la part de mes collègues qui travaillent dans le domaine du développement, que mes amis historiens et autres. Moi-même, je n'aurais jamais pensé devenir une spécialiste des pêches un jour. Mon objectif, en étudiant l'Histoire à l'Université d'Antananarivo était de me concentrer sur les relations internationales, et de devenir un jour diplomate des Nations Unies, mais un diplomate qui travaillerait dans le domaine politique, et non dans le domaine du développement. Ma famille a émigré en Italie en 2009, et après avoir obtenu mon DEA au Département d'Histoire de l'Université d'Antananarivo, j'ai poursuivi un Master en Affaires Publiques Internationales auprès du School of Government de l'Université LUISS à Rome. Après cette étape, il me fallait commencer à chercher du travail, à Rome, éventuellement. Mais la non connaissance de la langue italienne constituait à la fois une barrière et fixait déjà une limite à mon champ de recherche: je ne pouvais postuler que dans les organisations internationales où la langue officielle était l'anglais. Essentiellement, Rome est le siège de trois agences de développement des Nations Unies: la FAO, le PAM (le Programme Alimentaire Mondiale), et le FIDA (le Fonds International pour le Développement Agricole). La première fois que j'ai vu le batiment la FAO, c'était le coup de foudre; et j'étais convaincue de vouloir travailler dans ce palais même gratuitement (rires). A travers un réseau de connaissances, j'ai littéralement distribué mon CV à une dizaine de bureaux. J'avais été rappelé quelques semaines plus tard par le Secrétariat du Traité international sur les ressources phytogénétiques qui m'a proposé un contrat de volontariat de six mois. C'était mon billet d'entrée à la FAO. Après cela, il fallait chercher de nouveaux contrats, et c'est dans ce cadre que j'en suis venue à travailler au niveau de la Division des pêches et de l'aquaculture.

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Mais la FAO est une organisation à caractère technique, et votre parcours académique est plus misé sur le politique. Comment avez-vous vécu cette transition?

Les mots d'ordre étaient "survivre" et "apprendre". Trouver un travail à Rome pour un étranger n'est pas chose aisée, et quand on en trouve un, il faut savoir le garder. Pour mon cas, mes premières années d'expériences professionnelles au sein de la FAO étaient focalisées sur des activités de communication, donc il n'y avait pas vraiment besoin de maitriser tous les rouages techniques des ressources phytogénétiques ou de la pêche, par exemple, pour faire le travail. Mais à un moment, au niveau de la Division des pêches et de l'aquaculture, mon champ d'activités commençait à s'élargir et à comprendre le suivi et la mise en oeuvre des interventions techniques. J'avais dû apprendre sur le tas. J'ai lu beaucoup de documents techniques, suivi plusieurs séminaires et réunions de partage, pour finalement être reconnue spécialiste dans le domaine.

Racontez-nous votre histoire avec le concept de l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes.

Ce sont là deux thèmes-phares de ces deux dernières décennies. Ils figurent aussi parmi ce qu'on appelle "thèmes transversaux" à la FAO, ce qui signifie que peu importe le domaine technique, ces thèmes doivent être présents à toutes les étapes de mise en oeuvre de chaque intervention. Dans le secteur de la pêche artisanale ou à petite échelle, les femmes constituent une majorité des acteurs de la chaine de valeur. En post-capture, elles peuvent former jusqu'à 78 % et même la totalité des acteurs. J'ai ainsi été vite exposée à l'importance cruciale des femmes pour le développement durable de la pêche. Durant mes missions sur le terrain, j'avais eu de nombreuses occasions de fréquenter ces femmes qui me partageaient leurs défis et difficultés dans leurs activités de subsistance. Il aurait été impossible pour moi de ne pas comprendre que les femmes constituent en fait le pilier de chaque foyer de ces communautés de pêche, non seulement de part leurs activités reproductives en tant qu'épouses et mères, mais aussi de part leurs activités productrices de revenus.

Traditionnellement, le rôle des femmes dans la pêche artisanale a souvent été négligé. Mais désormais, les institutions de développement déploient tous les efforts nécessaires pour reconnaitre ce rôle, et faire entendre haut et fort la voix de ces femmes. A travers mes activités et projets en Afrique, je fais de mon mieux pour contribuer à ces efforts-là.

J'imagine que cette attitude professionnelle a aussi influé sur votre vie personnelle?

Tout à fait. Et il s'agit bien plus qu'une "déformation professionnelle" si on veut utiliser cette expression. Je pense que l'on est une partisane de l'égalité des genres et de l'autonomisation des femmes, ou on ne l'est pas. Et si on l'est au bureau, on ne peut pas ne pas l'être à la maison et dans la société. Quand on promeut, par exemple, l'autonomisation des femmes transformatrices et mareyeuses de poisson dans leurs activités professionnelles, il est normal quand vous discutez avec vos amis et connaissances que vous insistez aussi sur ce point-là pour toutes les femmes en général.

Justement, auriez-vous un message à faire passer aux jeunes hommes et jeunes femmes malgaches qui sont au début de leur carrière professionnelle et qui souhaitent bâtir une carrière à l'international ou dans le développement?

De nos jours, aux jeunes universitaires sont présentées beaucoup d'opportunités et de possibilités qu'il y a 20 ou même 10 ans de cela. Avec les technologies d'information et de communication, presque toutes les ressources académiques et professionnelles sont à portée de main. J'encourage les jeunes à faire bon usage de ces moyens-là, non seulement pour approfondir leurs connaissances et aiguiser leurs compétences dans leurs domaines de prédilection, mais aussi pour rechercher les opportunités qui leur mèneraient vers leurs objectifs.

Ne pas avoir peur de sortir des sentiers battus, de "penser en dehors de la boite" comme disent les Anglophones. Mon message particulier pour les jeunes filles et jeunes femmes: faites de l'éducation une priorité dans votre vie. On parle beaucoup de l'autonomisation des femmes et de l'égalité des genres. Pratiquement, le meilleur et probablement le seul moyen d'atteindre cet objectif de développement est à travers l'éducation. L'éducation ne consiste pas seulement à acquérir des connaissances sur le banc d'une école ou d'une université. Elle englobe tout processus de réception de savoir, aussi bien intellectuel que manuel.

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