Ile Maurice: La roupie sous forte pression

Les colombes sont désenchantées. La crise bancaire qui frappe les États-Unis et l'Europe n'a finalement pas fait fléchir la Réserve fédérale dans sa volonté de poursuivre sa politique de resserrement des conditions de crédit. En fin de semaine dernière, le président de la Fed, Jerome Powell, a annoncé le neuvième relèvement de ses taux directeurs, qui sont désormais dans la fourchette de 4,75 % à 5 %. Une décision qui intervient moins d'une semaine après celle de la Banque centrale européenne de rehausser ses taux d'intérêt de 50 points de base, avec pour conséquence que l'euro a rapidement flambé. Le taux de change euro-dollar s'est creusé à 1,09, alors que six mois plus tôt, c'était la parité entre les deux monnaies.

Cette posture des banques centrales nous amène à plusieurs constats et interrogations. Primo, l'urgence de protéger les banques et d'éviter une crise financière a été reléguée au second plan au profit de la priorité absolue d'enrayer l'inflation. Le discours de Jerome Powell est d'ailleurs sans ambiguïté : la priorité est de ramener l'inflation, actuellement autour de 6 % aux États-Unis, au plus près de l'objectif des 2 %. Et d'ajouter que le rétablissement de la stabilité des prix est essentiel pour préparer le terrain en vue d'atteindre un niveau d'emploi maximal et des prix stables à long terme. Secundo, après avoir joué au pyromane en poussant les petites et moyennes banques comme la Silicon Valley Bank dans une position financière hautement inconfortable, la Fed se défile et va plutôt jouer au pompier pour éteindre le feu de l'inflation. Tertio, on peut se demander jusqu'où la Fed poursuivra sa politique de durcissement monétaire. Pour l'instant, les marchés n'ont aucune clarté sur cette question. Et finalement, il est permis de se demander si en fin de compte, les risques démesurés qu'est en train de prendre l'administration Biden ne sont pas motivés par la volonté de pratiquer une politique de dollar fort pour rassurer les investisseurs et qu'ils continuent d'acheter les bons du Trésor américain.

Cet acharnement des États-Unis et de l'Union européenne à résoudre le casse-tête chinois qu'est l'inflation en actionnant le levier de la politique monétaire, alors que le risque d'une crise financière est un élément nouveau qu'il ne faut en aucun cas sous-estimer, n'augure rien de bon. Certes, nous sommes toujours dans un cycle d'inflation persistante, mais la pression sur les prix est moins insoutenable depuis quelques mois. D'abord, il y a le coût du fret qui a fortement chuté, soit d'environ 84 % sur ces 12 derniers mois. Les données du Shanghai Export Containerized Freight Index indiquent que nous sommes plus très loin du niveau pré-pandémique.

«La situation est extrêmement compliquée pour la Banque de Maurice. Elle se retrouve devant un dilemme. Quoi privilégier ? La protection de la roupie ou la sauvegarde de la croissance ?»

Le dernier rapport intermédiaire de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) rendu public ce mois-ci révèle d'ailleurs que quoique persistante, l'inflation globale a commencé à diminuer principalement en raison du fléchissement des prix de l'énergie et des produits alimentaires. De même, les experts de l'OCDE évoquent la crise bancaire, en soutenant que «les préoccupations relatives aux vulnérabilités financières se sont accentuées, notamment s'agissant des établissements financiers».

Pour 2023, l'OCDE anticipe un taux d'inflation de 5,9 % pour les pays du G20. Avec le retour à la normale de la demande et la diminution des congestions au niveau des chaînes d'approvisionnement, l'inflation devrait continuer à chuter en 2024, pour atteindre 2,5 % aux États-Unis et 3 % dans la zone euro.

Sur la question de la politique monétaire, le message de l'OCDE à l'adresse des banques centrales est clair : elles ne doivent pas se jeter tête baissée dans une politique monétaire trop restrictive car, en l'absence de précédents, il est difficile de prévoir quels seront ses effets d'entraînement. Elle insiste qu'au vu des fragilités financières qui se matérialisent ces jours-ci, notamment aux États-Unis, il est indispensable d'avoir une communication par rapport à la poursuite du resserrement quantitatif. De même, l'organisation exhorte les autorités à adopter des mesures temporaires pour «améliorer la liquidité des marchés et minimiser les risques de contagion».

Dans le cas de Maurice, les interventions de la Fed et de la Banque centrale européenne en ce premier trimestre mettent une pression énorme sur la roupie. Celle-ci s'accentue davantage du fait que la Banque de Maurice n'a pas relevé son taux Key Rate depuis le 14 décembre dernier. Depuis le début de l'année, la roupie a perdu 5,1 % face à l'euro. Actuellement, la monnaie unique européenne s'échange autour de Rs 50. S'agissant du dollar, sa valeur oscille entre Rs 46 et Rs 47. Il s'est apprécié de 4,6 % vis-à-vis de la roupie depuis le début de l'année.

La situation est extrêmement compliquée pour la Banque de Maurice. Elle se retrouve devant un dilemme. Quoi privilégier ? La protection de la roupie ou la sauvegarde de la croissance ? Dans les deux cas, il y aura des répercussions. Ne rien faire, c'est prendre le risque de voir la roupie se décrocher davantage face aux principales devises et de rester dans un scénario d'une inflation à double chiffre, avec ce que cela implique sur le pouvoir d'achat et la demande. D'un autre côté, la roupie faible constitue une bouffée d'oxygène pour l'économie. D'ailleurs, le CEO du Groupe Rogers, Philippe Espitalier-Noël, n'a récemment pas manqué de souligner que les recettes découlant du secteur d'exportation et du tourisme ont grimpé de 20 % par rapport à deux ans de cela grâce au taux de change de la roupie.

L'autre scénario, celui que dicte la raison, c'est qu'on entre dans la danse et qu'on donne des tours de vis monétaires au même rythme que les banques centrales des économies avancées. Le renchérissement du loyer de l'argent aura pour conséquence immédiate, un accroissement du niveau d'endettement des entreprises. La pression qui en résultera sur leur trésorerie limitera leur capacité à investir et à créer de la valeur.

Pour le moment, la Banque de Maurice est dans une posture attentiste. Tout porte à croire que la Fed et la Banque centrale européenne persisteront dans leur stratégie de resserrement monétaire en dépit des risques. Du reste, l'OCDE s'attend à ce que les taux directeurs culminent à 5,25 % - 5,50 % aux États-Unis et à 4,25 % dans la zone euro en 2023. Selon ce scénario, il serait approprié que la Banque de Maurice rehausse son Key Rate autour de 5,50 % pour stabiliser la roupie, selon les analystes d'Anneau. La stabilisation de la roupie sera d'ailleurs une priorité majeure du gouvernement, a récemment annoncé le ministre des Finances.

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