Les retards de nos institutions dans l'enquête sur le trafiquant de drogue contrastent avec la rapidité pour les demandes de Franklin
Les révélations sur la demande de commission rogatoire sont étonnantes. Concernant la première arrestation de Franklin le 15 septembre 2016, ce n'est que plus de six ans après que le dossier a été transmis au DPP.
C'était la réponse de Pravind Jugnauth hier à la Private Notice Question (PNQ) du leader de l'opposition, Xavier-Luc Duval, et le Premier ministre (PM) a donné les détails de cette première affaire de Franklin avec la justice. Après son arrestation par l'Anti-Drug & Smuggling Unit de l'Ouest le 15 septembre 2016 et des charges provisoires de possession de cannabis et de blanchiment d'argent retenues contre Franklin, celui-ci sera libéré assez vite, soit le 20 septembre. Ces charges provisoires sont rayées le 25 janvier 2018 et l'interdiction de voyager tombe par la même occasion.
Cependant, même si des charges provisoires sont rayées, la police peut et doit normalement continuer à travailler sur les charges formelles. Ce qui sera fait, mais à des pas de tortue car ce n'est que six ans après, le 7 octobre 2022, que la police envoie le dossier au bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), qui décide, le 8 janvier 2023, de poursuivre Jean Hubert Celerine, alias Franklin. Pravind Jugnauth nous apprend que le DPP a recommandé également que l'affaire soit référée pour des enquêtes approfondies à l'Integrity Reporting Services Agency et à l'Anti Money Laundering/ Combating the Financing of Terrorism Task Force, qui regroupe entre autres l'Independent Commission against Corruption (ICAC) et la Financial Intelligence Unit. Ce qui sera fait le 16 février 2023, c'est-à-dire il y a un mois de cela...
Obtention rapide du «variation order»
Le 16 avril 2019, explique le PM, Franklin subit une deuxième interdiction de quitter le territoire du tribunal de Pamplemousses. Le 17 février 2020, il fait une demande de variation order pour pouvoir se rendre aux Seychelles et il l'obtient le lendemain ! Normalement, une telle démarche prend au moins une semaine rien que pour entendre les arguments de la police et ceux de l'accusé. Cette obtention ultrarapide du variation order ne s'expliquerait, selon un avocat, que par le fait que la police n'a pas objecté à la demande de Franklin de voyager. Au retour de son escapade aux Seychelles, Franklin verra l'interdiction de voyager tomber après qu'il est condamné (NdlR, pour un autre délit de drogue) et payé une amende au tribunal de Pamplemousses.
On apprendra, dans la foulée, que Franklin s'est rendu trois fois à Dubaï entre le 5 mai 2018 et 10 juin 2019 pour de courts séjours de sept à 13 jours. Il a fait un saut à Madagascar le 14 décembre 2022 pour retourner le 14 janvier 2023 et tenir son inoubliable conférence de presse. C'est lors de la réponse du PM consacrée à la commission rogatoire que l'on a pris connaissance d'autres importantes informations. La demande réunionnaise est datée du 20 septembre 2018 mais elle atterrit sur la table de l'Attorney General, Maneesh Gobin, le 26 octobre suivant. La lettre requiert simplement de prendre des dépositions de Franklin mais aussi de Jérémy Décidé, dit Nono.
Pourtant, ce n'est qu'au début de mai 2019 (date exacte non précisée), soit après huit mois que l'Attorney General fait une demande auprès de la Cour qui ordonne le 12 juin 2019 au Master and Registrar de convoquer les deux compères, qui le seront le 18 septembre 2019. Le 6 janvier 2020, le Master and Registrar informe le bureau de Maneesh Gobin des retombées des dépositions. Le 14 janvier 2020, ce dernier retourne le dossier au Master and Registrar pour lui demander... de traduire en français les dépositions qui sont en créole.
Pravind Jugnauth ne dit rien sur ce qui s'est passé entre les 14 janvier et 29 juillet 2020. Mais il fait état d'une note verbale «reçue malheureusement», dira-t-il, des autorités réunionnaises par le biais du ministère des Affaires étrangères, qui informe que la demande de commission rogatoire n'est plus d'actualité. Les Réunionnais, sans doute las d'attendre, ont refermé le dossier Franklin et Nono. Le 6 février 2023, l'Attorney General, probablement réveillé par les révélations de la presse sur la condamnation par contumace de Franklin et Nono à La Réunion, envoie un rappel au Master sur la demande de traduction, qui envoie celle-ci le 8 février 2023.
Le PM enchaîne ensuite avec une longue diatribe où il est question de grosses saisies de drogue récentes après le rapport sur la commission d'enquête de Paul Lam Shang Leen «as evidenced by the record seizures and arrests», dira-t-il. Patrick Assirvaden lui rappellera que toutes ces saisies n'ont pas été suivies d'arrestations. Le PM a omis de dire hier qu'il y aurait eu un rappel des Réunionnais concernant la commission rogatoire, alors qu'Alan Ganoo avait reconnu qu'un rappel avait été reçu des Réunionnais.
À l'heure des questions supplémentaires, Pravind Jugnauth justifiera les retards par «les procédures à suivre» et tentera de renvoyer la balle dans le camp du judiciaire qui a pourtant été prompt à agir. Pourquoi l'ICAC et la police se sont-elles réveillées si tardivement ? Réponse de Pravind Jugnauth : «Mais je vois dans la presse qu'il y a beaucoup d'arrestations» sans dire que c'est pour blanchiment d'argent. Lorsque le leader de l'opposition lui demande justement pourquoi il n'y a aucune arrestation pour délit de drogue, le PM explique qu'il n'y a pas de preuves contre Franklin, que le délit a été commis à l'île soeur, que les preuves seront recueillies par... l'ICAC et de faire diversion sur Bruneau Laurette et la drogue présumément retrouvée chez lui.
Quand Xavier Duval veut savoir pourquoi Franklin et Nono n'ont pas été extradés vers la Réunion, Pravind Jugnauth révèle qu'il n'y a pas eu de demande en ce sens. Mais il ne dit pas que les Réunionnais ont arrêté leurs démarches infructueuses de la commission rogatoire. Mais il pose la question à son tour : pourquoi les Réunionnais demandent-ils l'extradition maintenant (et pas avant) ? «C'est grâce à la presse», enfonce Xavier-Luc Duval, tout en demandant au PM si l'Attorney General ne résistera pas à la demande d'extradition de Franklin et Nono. Réponse de Pravind Jugnath : «L'Attorney General a fait beaucoup plus que vous le pensez.» C'est vrai, d'une certaine façon.