Cameroun: Un air de fête à l'heure des batailles internes pour la succession de Paul Biya

Le 24 mars, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) célébrait son 38e anniversaire, dans une ambiance euphorique, à la suite de sa victoire totale aux élections sénatoriales organisées douze jours plus tôt. Ni le faste des cérémonies, ni l'unité affichée, ni même les « appels » adressés au président national du parti au pouvoir à se présenter à l'élection présidentielle prévue en 2025, n'ont pu faire oublier les luttes pour sa succession qui ont lieu au sein du bloc gouvernant.

Ce 23 mars à Ahala, un quartier du sud de Yaoundé, la capitale du Cameroun, le chapeau de paille du professeur Hubert Mono Ndjana, sur lequel est gravé à plusieurs endroits l'emblème du RDPC, est posé sur un fauteuil, à côté d'une canne, dans sa résidence. L'ancien secrétaire national à la communication du parti au pouvoir, devenu « simple militant » à la suite de diverses infortunes, est physiquement diminué, mais n'a rien perdu de sa vivacité intellectuelle. Il assume une manière de militantisme critique. Son parti fête son 38e anniversaire sur le thème : « Réjouissances, rassemblement et mobilisation derrière le président national, Paul Biya, dans la pleine conscience des défis et enjeux électoraux futurs ».

« Réjouissances », largement justifiées par la victoire du RDPC, qui a raflé la totalité des 70 sièges de sénateurs mis en compétition lors des élections du 12 mars, au point de contraindre les partis de « majorité présidentielle » et ceux de l'opposition à espérer voir figurer leurs militants sur la liste des trente sénateurs qui seront nommés par le président de la République, en vue de la composition complète de la chambre haute du Parlement. « Au lieu de célébrer, je pense qu'il faut regretter cette victoire qui est si totale qu'elle frise l'incapacité du parti à organiser le jeu politique. Le RDPC s'est montré un peu glouton. Pendant qu'il se bourre le ventre, il vide sa crédibilité. Il faut laisser l'aération, pour faire jouer la dialectique de l'opposition, au lieu d'occuper massivement tout l'espace », critique le philosophe.

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Manoeuvres politiques

Quant aux « défis et enjeux électoraux », ils renvoient aux élections municipales, législatives et présidentielle prévues en 2025. Or, en attendant ces échéances, le parti de Paul Biya vit, depuis quelques années, au rythme de manoeuvres politiques assimilables à une guerre de succession de plus en plus violente. « Dans l'observation de l'histoire récente de notre pays, on ne peut pas manquer d'observer qu'il y a de la grogne pour une longévité de quarante ans qui frise visiblement l'excès », confirme Hubert Mono Ndjana. Cette guerre de succession ne se lit plus seulement entre les lignes. La presse locale constitue, à bien des égards, un site d'observation privilégié des joutes politiques. Des clans bénéficiant du soutien spectaculaire des organes de presse sont identifiables.

Des médias, manifestement réquisitionnés, apparaissent volontiers laudateurs pour leurs « champions », et simultanément impétueux envers leurs adversaires. Certains hiérarques du régime figurent en haut de l'affiche. On y perçoit Ferdinand Ngoh Ngoh, ministre d'État, secrétaire général de la présidence de la République. On note aussi la présence de Laurent Esso, ministre d'État, ministre de la Justice, garde des Sceaux, très proche de Jean-Pierre Amougou Belinga, magnat de la presse inculpé et placé sous mandat de dépôt pour « complicité de torture » dans l'affaire de l'assassinat du journaliste Martinez Zogo. S'y trouvent également : Samuel Mvondo Ayolo ministre, directeur du cabinet civil de la présidence de la République ; Paul Atanga Nji, ministre de l'Administration territoriale, et, dans une certaine mesure, Louis-Paul Motaze, ministre des Finances. Tous, bien sûr, ne manquent aucune occasion pour réaffirmer leur loyauté au président Paul Biya. Aucun ne se reconnaît dans les supputations qui les annoncent engagés dans la course à la succession du président de la République.

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Cette ambiance ne laisse pas indifférents des observateurs, à l'instar de Claude Abé, professeur de sociologie à l'Université catholique d'Afrique centrale (UCAC), qui propose trois clés pour comprendre les luttes pour la succession au sein du bloc gouvernant : « La première, c'est l'âge avancé du président de la République (qui) a permis à certains d'installer dans l'imaginaire collectif l'idée d'une fin de règne imminente. Ce fantasme a eu pour effet de faire sortir certains prétendants de leur réserve et au conglomérat des clans réunis dans un même bloc de se fragmenter pour faire jour aux rivalités autour de la succession. Deuxième clé : le président Biya, qui a bénéficié de la technique du dauphinat pour accéder au pouvoir, a su jusqu'ici rester discret sur la question de sa succession, laissant alors la possibilité de se faire jour. Troisième clé : il y a une modification de la place de Frank Biya [fils aîné du chef de l'État, NDLR] dans le dispositif protocolaire qui laisse penser que le chef de l'État lui-même semble nourrir ces tensions entre clans. »

Succession familiale ?

De plus en plus, le nom de Frank Biya est associé aux spéculations relatives à la succession de son père. Un mouvement dit des « frankistes » acquis à sa cause tient des activités au grand jour. Le 11 février dernier, à l'occasion de la « fête de la jeunesse », des jeunes arborant des t-shirts à l'effigie du fils aîné du chef de l'État ont participé au défilé de circonstance dans certaines localités du pays. Plus récent « signe » : la mise en visibilité de Frank Biya, installé aux premières loges, dans la salle du « palais de l'Unité », qui abritait les travaux de la quinzième session ordinaire du sommet des chefs d'État de la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC), tenu à Yaoundé le 17 mars dernier. « Il n'y a plus de doute sur la volonté de succession de père en fils. Mais, néanmoins, d'autres factions s'organisent et, après un temps de latence, ce sont ces factions qui se réveilleront avec une brutalité inouïe. Il est visible que l'argent qu'on amasse à gauche et à droite, à des dimensions qui vont au-delà des besoins humains, ne peut servir que comme fonds de guerre. Une véritable guerre et pas des petites rébellions. Quand ils voudront qu'une famille arrête de diriger le pays après le regard du père, le premier geste sera de se débarrasser de la longue histoire d'une famille », prévient Hubert Mono Ndjana.

Paradoxe (apparent ?) : ces luttes autour des enjeux successoraux s'animent alors même que des partisans du président Paul Biya émettent des « appels » bruyants, lui demandant de se présenter à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2025, quand leur champion aura 92 ans. Selon Claude Abe, dans les conditions actuelles, « les appels à la candidature de Paul Biya deviennent des instruments du jeu entre les clans en embuscade. Il s'agit, d'une part, de montrer sa loyauté indéfectible et de l'autre de donner des coups à un camp se montrant trop pressé de passer à autre chose. L'autre hypothèse, c'est que ces appels expriment une demande de statu quo pour ceux qui tirent profit de la fragilisation du président sous le coup de l'âge. Il y a donc très peu de sincérité dans ces appels ».

Par le passé, le président Paul Biya a toujours privilégié la technique des réponses tardives à de semblables « appels ». Va-t-il changer d'attitude ? Il va falloir encore attendre.

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