Le monde entier a célébré, le 24 mars dernier, la journée mondiale de lutte contre la tuberculose. Dans cet entretien, Dr Adjima Combary, coordonnateur du programme national de lutte contre la tuberculose, fait le point de la lutte au Burkina, l'état de prise en charge des personnes atteintes et les stratégies pour vaincre la maladie.
Quel est l'état des lieux de la tuberculose au Burkina ?
La tuberculose demeure un problème prioritaire de santé publique dans notre pays. L'OMS fait des estimations en termes de nombre de cas de tuberculose qu'on pourrait attendre à l'échelle d'un pays. Au Burkina, si nous prenons la période 2021/2022, selon l'OMS, nous attendions 9 900 cas. Sur les 9 900 cas, l'effort et le gros travail abattu par les acteurs à tous les niveaux du système de santé ont permis de dépister et notifier 7320 cas. Donc, 9 900 cas attendus, 7320 dépistés et notifiés. Cela fait 3/4 de ce qui est attendu. C'est un effort, mais nous devons regarder ce qui reste à faire et qui représente alors ¼ des malades qui échappent au système de santé. Et la tuberculose est une réalité dans toutes les régions du pays même s'il y a des disparités régionales.
Quels sont les symptômes de la tuberculose ?
La première chose qui doit alerter est une toux. Classiquement, on parle d'une toux qui dure près de deux semaines. Lorsqu'on tousse, il convient de recourir aux soins, d'aller au centre de santé, de voir l'agent de santé le plus proche. Il pourra demander un examen de crachat pour être situé. En plus de la toux qui s'accentue généralement la nuit, une personne qui souffre de tuberculose a mal à la poitrine, des sueurs même quand il ne fait pas chaud. Elle constate qu'elle maigrit. Mais, la toux qui dure près de deux semaines reste le principal symptôme. Pour avoir le coeur net, il faut voir un agent de santé.
La tuberculose est-elle une maladie mortelle ?
La tuberculose est une maladie guérissable et totalement, lorsqu'on s'y prend à temps. Malheureusement, elle est mortelle lorsque la prise en charge n'est pas précoce. Et c'est ce qui est regrettable. Car, l'offre de prise en charge est disponible au Burkina. Les médicaments anti- tuberculeux sont disponibles, les agents de santé formés, et les acteurs communautaires apportent leurs appuis. Donc, on ne devrait plus constater de décès liés à la tuberculose parce qu'elle est guérissable.
Combien de décès ont été enregistrés en 2022 ?
Au cours de l'année 2022, nous avons eu 7320 nouveaux cas et enregistré un taux de décès de 7%. S : Comment se fait la prise en charge ?
La prise en charge de cette maladie est disponible partout au Burkina et gratuitement. Cela va de l'offre de prévention, de dépistage, de diagnostic, de traitement et de suivi des malades qui sont sous traitement. Le diagnostic repose sur l'examen de crachat qui est offert dans les centres de santé du pays. Le traitement dure 6 mois et les médicaments doivent être pris chaque matin devant l'agent de santé ou la personne identifiée pour aider à prendre en charge le malade. Le malade est suivi tout au long du traitement sur le plan clinique, des examens de laboratoire, et des contrôles périodiques. Je salue l'appui considérable des acteurs communautaires. Parce qu'en amont, au dépistage, au diagnostic, ils se battent pour sensibiliser les populations et font en sorte que les personnes qui sont dans le besoin soient le plus tôt mises au contact avec un centre de santé. Pendant le traitement, ils s'occupent également de la visite à domicile, l'aide au traitement, la relance des personnes irrégulières, etc. La tuberculose est guérissable, mais pour ce faire, il faut dépister précocement et commencer le traitement pour en guérir.
Note-t-on des progrès dans la prise en charge ?
Il y a des progrès dans l'amélioration de la prise en charge. Même si nous sommes à un niveau peu satisfaisant. Car, il y a encore des personnes atteintes de tuberculose et qui ne sont pas dépistées pour des raisons diverses. Nous enregistrons aussi des cas de décès de personnes qui ont arrêté le traitement anti -tuberculeux. S : Quel est le rôle de la vaccination contre la tuberculose dans le paquet de prise en charge ? A.C. : La vaccination contre la tuberculose fait partie du Programme élargi de vaccination (PEV) qui est offert par le ministère de la Santé. C'est le Bacille Calmette et Guérin (BCG) qui est donné aux bébés à la naissance. Son rôle est de faire en sorte que le bébé soit protégé de la manière la plus optimale (minimum 80%) contre les formes les plus graves de la tuberculose.
Qu'en est-il pour les adultes ?
Cela n'est pas nécessaire pour les adultes car, ils sont en contact même avec le microbe qui circule. Pour cette raison, l'immunité qu'on veut créer à travers la vaccination s'installe. Ce qui est important, c'est d'apprendre à recourir aux soins dès le moindre symptôme ou signe. S : Depuis l'introduction du BCG dans le PEV, notez-vous des motifs de satisfaction ? A.C. : Oui. Parce que l'introduction du vaccin a permis d'éviter de nombreux décès liés à la tuberculose chez les nouveaux nés, les enfants, etc.
Des avancées sont-elles enregistrées après plusieurs années de lutte ?
Sur le plan de l'organisation, il y a bien des avancées car, en termes de prévention, de dépistage et de diagnostic, de traitement de la tuberculose, il y a une décentralisation plus avancée que les années passées. Par exemple, les formations sanitaires dites CSPS (Centre de santé et de promotion sociale), les infirmeries des maisons d'arrêt et de correction, etc. sont également impliquées. Les moyens de diagnostics les plus à jour en matière de lutte contre la tuberculose, recommandés par l'OMS au Burkina Faso constituent l'autre avancée. Le ministère de la Santé à travers le programme tuberculose a travaillé à les rendre plus disponibles pour permettre d'avoir un diagnostic le plus précis et efficace. Sur le plan de la prise en compte des personnes vulnérables, de plus en plus, l'organisation du travail est faite de telle sorte qu'elles soient prises en compte et ce, qu'elles soient diabétiques, PDI, fumeurs, malnutries, personnes âgées de plus de 65 ans. Sur le plan du traitement, dans les centres de santé, le traitement est de courte durée. Par exemple, pour les tuberculeux résistants (ce sont des malades dont le microbe de la tuberculose a développé de la résistance contre les médicaments), nous étions, avant 2020, à 20 mois de traitement.
Nous sommes passé des 20 mois qui comportaient des injectables à 9 mois totalement oral. Il n'y a plus d'injection. Et ceux qui ne sont pas résistants sont à 6 mois de traitement. Chez les enfants, nous passerons bientôt à 4 mois de traitement. Le fait d'avoir des médicaments recommandés par l'OMS, des protocoles de traitements les plus courts possibles constituent une avancée importante pour le pays, les patients et la communauté. Tous ceux qui souffrent de la tuberculose résistante bénéficient de l'appui nutritionnel durant tout leur traitement et l'aide dans le cadre la prise en charge. Si vous prenez par exemple les détenus qui sont malades de la tuberculose, ils bénéficient également de l'appui nutritionnel pendant tout le traitement. Donc, ce sont des points importants au titre organisationnel, qui rendent compte effectivement d'une belle avancée depuis plusieurs années.
Comment expliquez-vous les nombreux cas de tuberculeux en milieu carcéral ?
Le milieu carcéral est un milieu malheureusement qui regroupe plusieurs facteurs d'éclosion et de propagation de la tuberculose au regard de la très forte promiscuité où plusieurs personnes se retrouvent dans la même salle. Qui dit promiscuité dit condition favorable à la propagation de la tuberculose. A côté de cette promiscuité, il y a également le fait que si vous cherchez les cas de malnutrition, vous y trouverez des personnes malnutries. Or, il est montré qu'actuellement le principal facteur de risque pour la tuberculose est la malnutrition. Si vous regardez également le VIH, du point de vue prévalence du VIH dans ce milieu, le taux est élevé. C'est pourquoi le programme tuberculose avec le leadership du ministère de la Santé déploie effectivement des stratégies avec la direction de l'administration pénitentiaire pour effectivement faire le travail qui convient dans ce milieu en termes de dépistage, de diagnostic et de traitement jusqu'à la guérison de ces malades.
Quelles sont les difficultés dans la prise en charge de cette maladie ?
Les difficultés se situent au niveau du dépistage. Toutes les personnes qui doivent être dépistées ne le sont pas encore. Donc, il y a à peu près une personne sur quatre qui manque encore à l'appel. Cela s'explique par deux facteurs, l'absence d'information et la négligence d'aller voir un agent de santé. Malheureusement, certaines personnes qui sont mises sous traitement à un moment donné abandonnent le traitement pour un site d'orpaillage ou alors pour d'autres raisons. Cela constitue des difficultés que nous apprenons à gérer au jour le jour et le mieux possible.
Le 24 mars, c'est la journée mondiale de lutte contre la tuberculose, sous quel signe est-elle placée au Burkina et quelles sont les activités de sensibilisation prévues ?
La communauté internationale a retenu, le 24 mars comme étant la journée qui est dédiée à la célébration de la lutte contre la tuberculose. Cette date a été retenue en mémoire du Dr Robert KOCK, l'allemand, qui a découvert le microbe de la tuberculose. C'est cette découverte qui a ouvert la voie à toutes les mesures dont on parle actuellement que ce soit sur le plan de la prévention, du dépistage, du diagnostic, du traitement des malades. L'objectif de cette journée est de rappeler que la tuberculose existe encore. Chacun, selon son poste de décision doit être un acteur de renforcement de la lutte contre la tuberculose. A l'endroit des partenaires techniques et financiers, il s'agit de leur dire que la lutte contre la tuberculose a besoin de ressources financières, de la mobilisation des partenaires techniques et financiers au côté du gouvernement de l'Etat burkinabè pour l'appuyer dans cette lutte, dans laquelle le gouvernement lui-même est engagé.
Il s'agit aussi de donner un message fort à l'endroit de la société civile, des acteurs communautaires qui ne cessent d'appuyer au quotidien les agents de santé. Dire aux prestataires de santé également de continuer à se battre pour que la lutte contre la tuberculose engrange davantage de résultats. Dire également à ceux qui sont affectés, aux malades de la tuberculose, d'écouter les consignes des agents de santé parce qu'ils sont très bien formés et ils connaissent leur travail. La tuberculose est une maladie guérissable et le traitement est gratuit. La famille du malade doit être un appui pour lui car, ce n'est pas un traitement d'un jour, ou deux jours, etc. C'est un traitement de 6 mois. C'est difficile. C'est pourquoi le malade de la tuberculose a besoin du soutien de sa famille.
Comment éviter la tuberculose ?
Le ministère de la santé à travers le PEV a fait de telle sorte que cette offre du vaccin soit disponible dans les maternités, que les mères adhèrent à ce vaccin. La transmission de la tuberculose se fait par voie aérienne ou par voie respiratoire. Le malade doit donc être dépisté et traité le plutôt possible. C'est de cette façon qu'effectivement, on peut briser la chaîne de transmission de la tuberculose de cette personne vers son entourage. Donc dépister et traiter le plutôt possible constitue pour nous, un moyen important pour briser la chaine de transmission de la tuberculose. A côté du traitement de ceux qui sont malades de la tuberculose qu'on appelle traitement curatif, il y a également un traitement préventif. Le ministère à travers le programme tuberculose offre cela pour le moment aux enfants de moins de 5 ans. A côté des enfants de moins de 5 ans qui sont en contact avec des tuberculeux, il y a également les personnes vivant avec le VIH. Du fait effectivement de leur statut immunitaire, ce sont des personnes qui sont à risque élevé de faire une tuberculose. Et, il y a un moyen, un traitement préventif qui permet à ces personnes de ne pas passer d'une tuberculose infection à une tuberculose maladie. Nous pensons que dans les temps qui vont suivre, nous allons élargir même le traitement à d'autres cibles pour prévenir la tuberculose.
Quelles sont les perspectives dans la lutte ?
Nos perspectives portent sur la réponse aux besoins des populations les plus vulnérables. Il y a également la nécessité de poursuivre le renforcement des capacités diagnostiques de la tuberculose en étant en conformité avec les recommandations de l'OMS. Sur le plan traitement, nous avons déjà enclenché l'adoption de la mise en oeuvre des protocoles de traitement les plus courts possible. Mais, c'est évolutif. Donc, on doit suivre l'évolution de la situation, l'évolution des recommandations de l'OMS ou à chaque fois adopter et mettre en oeuvre les protocoles qui ont fait leurs preuves et qui sont recommandés par l'OMS et qui sont surtout les plus courts possibles. Car, nous devons passer des traitements longs aux traitements les plus courts et qui s'administrent par voie orale et qui s'adaptent également aux cas des enfants et des adultes. On doit poursuivre la mobilisation des ressources financières pour appuyer les efforts du pays dans le cadre de la lutte contre cette maladie et relever les défis qui sont les nôtres.
Quel appel avez-vous à lancer à la population ?
Je rappelle que la principale porte d'entrée de la tuberculose est la toux. Donc, j'invite toute personne qui tousse à vraiment recourir aux soins le plutôt possible parce que c'est une maladie qui est guérissable. Il ne faut pas rater cette opportunité qui est offerte. Quand on veut tousser, éternuer ou cracher par exemple, il faut utiliser les mouchoirs de poche. Utiliser le pli du coude pour tousser et éternuer, c'est une barrière importante pas seulement pour la COVID/19, mais pour la tuberculose également. A tous ceux qui sont déjà malades ou sous traitement, les médicaments sont gratuits et la tuberculose, je le répète, est une maladie guérissable.