Afrique: Congo - Deux hauts gradés en procès pour crimes contre l'humanité au Kasaï

Plus de six ans après les faits, un procès majeur vient de s'ouvrir, le 20 mars à Kinshasa, dans l'affaire « Mulombodi ». Ce site religieux situé près de l'aéroport de Kananga a été, en septembre 2016, le théâtre d'atrocités. Deux responsables de la police et de l'armée congolaise sont jugés pour leur rôle présumé dans ces violences.

Les faits se déroulent à près de 1 000 kilomètres de la capitale du Congo, Kinshasa, fin septembre 2016. Ils succèdent à une attaque de l'aéroport de Lungandu, dans la périphérie de Kananga, la capitale du Kasaï-Central, par la milice Kamwina Nsapu - des partisans du chef coutumier Jean-Prince Mpandi Kamwina Nsapu, tué en août de la même année, entrés en rébellion. En représailles, les forces de sécurité lancent une expédition sur le camp de l'église Christ Roi Mulombodi où se seraient réfugiés les miliciens. Le site abrite temple, fidèles et chef spirituel de l'église. Ce dernier est appelé le « Mulombodi » - le « guide », en français.

Dans la nuit du 23 au 24 septembre 2016, des éléments de la Police nationale congolaise et des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), partis à la poursuite des miliciens, forcent les portes du site religieux une à une. Ils violent, selon l'accusation, plusieurs dizaines de femmes et tuent au moins 11 personnes. Des témoins rapportent également que des hommes ont été enlevés et emmenés au camp de l'académie militaire de Kananga, communément appelé « camp EFO », en référence à son ancienne appellation - École de formation des officiers. Certains ne sont jamais rentrés chez eux, à en croire les témoignages de leurs proches. Ces arrestations illégales pourraient constituer « un crime contre l'humanité », selon les termes de l'auditeur général, cité dans la décision de renvoi.

Des responsables de troupes mis en cause

Depuis le 20 mars, deux officiers généraux sont en procès pour ces faits : le général de brigade Emmanuel Lombe Bangwangu, 66 ans, et le commandant divisionnaire adjoint Gilbert Vumilia Tendilonge, 72 ans, respectivement commandant de la 21e région militaire et commissaire provincial de la police à l'époque. Les deux hommes sont en liberté mais seul le général Vumilia, à la retraite, s'est présenté à cette audience. Quant au général Lombe, il était absent « pour des raisons administratives », selon une source proche du dossier. Actuellement en poste à la base militaire de Kitona dans le Kongo Central, à environ 600 kilomètres au sud-ouest de Kinshasa, il n'aurait pas obtenu l'autorisation de se déplacer.

Devant la Haute cour militaire, le lieutenant général Lucien-René Likulia Bakumi, auditeur général des FARDC, les accuse notamment de crimes contre l'humanité par viol, par meurtre et par emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté. Selon l'acte d'accusation, plus de 260 femmes auraient subi des viols, collectifs ou individuels, lors de cette attaque « généralisée » des forces de sécurité congolaise.

C'est le début d'une procédure judiciaire très attendue, pour plusieurs raisons. L'affaire Mulombodi fait partie des 23 dossiers « emblématiques » répertoriés à la suite du conflit armé qui a opposé la milice Kamwina Nsapu aux forces de sécurité, dans une région considérée auparavant comme une oasis de paix. Ce procès est le premier pour crimes graves commis à Kananga même. C'est également le premier qui implique directement des officiers de ce rang, pour des crimes liés à ce conflit qui a fait environ 3000 morts, selon l'Onu. Il y a eu à ce jour, dans la région du Kasaï, quatre procès avec des condamnations pour crimes de guerre contre des miliciens Kamwina Nsapu : au village Mayi Munene (province du Kasaï), à Kongolo Moshi (territoire de Kazumba) et à Bana Ba Ntumba (territoire de Dimbelenge) et à Kananga, dans le dossier du meurtre de deux experts de l'Onu, au Kasaï Central. Pour différents observateurs, ce procès des forces de sécurité constitue un test de matérialisation de la volonté des autorités de lutter contre l'impunité au Kasaï. Selon nos informations, les prévenus pourraient faire face dans ce procès à plus de 400 victimes.

Une justice militaire qui « vient de se ressaisir » ?

L'ouverture de ce procès est une « bonne surprise », estime le président de l'Association des victimes du Grand-Kasaï. Mhyrrand Mulumba parle d'une justice militaire « qui vient de se ressaisir », alors qu'elle semblait par ailleurs avoir été mise en sommeil tant par Kinshasa que par les Nations unies, comme l'écrivait il y a un an le juriste Luc Henkinbrant dans Justice Info. « C'est un motif de satisfaction pour toutes les victimes du Grand-Kasaï. Il faudrait que la justice joue son rôle, celui de l'église au milieu du village. Que tous les bourreaux répondent de leurs actes et que toutes les victimes soient remises dans leur droit pour que plus rien ne soit comme avant. Nous voudrions demander une effectivité de l'État de droit », martèle Mulumba.

Les organisations de défense des droits humains attendent beaucoup de cette procédure judiciaire. « Ce procès doit envoyer un message fort. Il doit permettre de faire de la pédagogie pour que le mal profond qui avait endeuillé le Kasaï soit conjuré et qu'on ne puisse plus revenir à ça », déclare Dominique Kambala, directeur général de la Société congolaise pour l'État de droit (SCED), basée à Kananga. « Ce que nous attendons c'est que justice soit faite en termes de condamnations des prévenus, et en termes d'octroi de justes réparations aux victimes », souligne cet ancien bâtonnier du Kasaï-Central.

Audiences foraines à Kananga ?

Le procès se tient à Kinshasa, siège de la Haute cour militaire, seule juridiction compétente pour juger des généraux. Mais la SCED demande, pour ce procès, la tenue d'audiences foraines à Kananga. « Kananga c'est le lieu où se trouvent les victimes. Les 410 victimes, même 500, comment va-t-on les transporter et les emmener à Kinshasa, qui va prendre en charge leur séjour ? », s'interroge Me Kambala. « Il faudrait que les victimes voient en face leurs bourreaux, cela va apporter un soulagement et cela sera encore beaucoup plus symbolique », soutient également Mulumba. La justice militaire a déjà adopté cette méthode lors des précédents procès pour crimes internationaux dans le Kasaï, notamment à Kongolo Moshi et à Bana Ba Ntumba. Mais ces audiences foraines nécessitent des moyens logistiques et financiers pour lesquels l'État doit trouver des appuis de différents partenaires - parmi lesquels figurent les agences des Nations unies et certaines ONGs internationales.

Pour rappel, en juillet 2021, des restes humains ont été découverts sur le site religieux de Mulombodi. L'auditorat supérieur de l'ex-Kasaï Occidental et la police scientifique avaient procédé à une exhumation qui devrait être examinée dans ce procès. Outre cette affaire, Kananga attend un autre procès qui n'est pas fixé pour le moment. C'est celui des violences commises à Nganza, qui avec celles de Mulombodi et de Tshisuku faisaient parties, selon un communiqué de la SCED datant de 2020, des trois dossiers prioritaires transmis à l'auditeur général militaire et qui souffraient « d'une lenteur inexplicable ». Ces violences sont également attribuées aux forces de sécurité qui avaient mené, à Nganza, une opération similaire à celle de Mulombodi, en mars 2017.

La prochaine audience du procès Mulombodi, dont le calendrier n'a pas été officiellement indiqué, a été fixée au 8 mai prochain.

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