Ile Maurice: Inondations meurtrières de 2013 - «On n'oubliera jamais ce 30 mars...»

Il y a dix ans, notre capitale, qui se dresse si fièrement face à l'océan, perd de sa superbe, versant des larmes sous les torrents d'un ciel peu clément... Dans la journée du samedi 30 mars 2013, des pluies torrentielles s'abattent sur la capitale ; plus de 152 mm de pluie envahissent Port-Louis en moins 90 minutes.

Une soudaine montée des eaux transforme le Ruisseau du Pouce en torrent et la place d'Armes en un immense bassin. Le bilan de ces inondations est lourd : 11 morts, dont six dans le tunnel du Caudan. L'eau de pluie descendant vers le port inonde et bloque les passages souterrains menant au Caudan Waterfront. Il en est de même pour le parking en sous-sol du Harbour Front.

Plusieurs personnes sont prises au piège ; certaines ne parviennent malheureusement pas à s'échapper. Si les secours interviennent immédiatement pour évacuer ceux qui sont présents au Caudan, ils ne parviennent pas hélas à éviter le pire. Au fil des heures, six corps sont retrouvés dans le tunnel du Caudan. Les victimes sont : Sylvia Wright, 46 ans, et son fils Jeffrey, 18 ans ; les frères Teewary, Amrish, 24 ans, et Trishul, 19 ans ; Keshav Ramdhary, 29 ans, et Vikesh Khoosye, 25 ans. Vincent Lai, 45 ans, et Rabindranath Bhobany, 52 ans, trouvent, eux, la mort dans le parking souterrain du Harbour Front. Stevenson Henriette, 32 ans, et Retnon Sithanen, 36 ans, périssent au Ruisseau du Pouce. La onzième victime est Christabel Moorghen, une habitante de Canal-Dayot. Choquée par la montée des eaux, elle décède à la suite d'un arrêt cardiaque.

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Bien que dix années se soient écoulées, cette flashflood meurtrière restera gravée à tout jamais dans la mémoire des familles des victimes, leur laissant des conséquences émotionnelles pénibles dans leur quotidien. «Depuis dix ans, avec des pluies torrentielles, on fait face aux inondations à la maison ou dans certains endroits. À chaque fois qu'il pleut, surtout en cette année 2023 qui a connu un temps très pluvieux, je pense à mon frère. Les pluies torrentielles me font penser à cette journée fatidique de 2013. On vit toujours dans un état traumatique», confie Marie-Hélène Henriette, soeur de Stevenson, à l'express.

«Ce jour-là, mon frère, qui est marchand ambulant à La Chaussée, est allé travailler. Mais il n'est jamais revenu à cause de cette catastrophe. Mon frère et moi habitions dans la même maison. Maintenant, lorsqu'il pleut, je panique. J'appelle mon mari, mes enfants et mes petits-enfants pour savoir où ils sont. Je m'inquiète pour eux et j'ai peur que cet incident se reproduise, vu qu'ils doivent souvent passer par ce pont. La crainte est là», dit cette habitante de Baie-du-Tombeau.

Jenita Rughoo, fille unique de Rabindranath Bhobany, qui était employé dans une banque, soutient pour sa part que ce drame restera toujours gravé dans sa mémoire., «On vit toujours avec ce flash-back. Normalement, on pourrait dire que cela fait dix ans mais ma famille se souvient de chaque détail de ces événements cauchemardesques. J'ai perdu mon père lorsque j'étais en Higher School Certificate. Depuis sa disparition, ma mère a commencé à travailler ; à deux, on s'entraide», dit la jeune femme. Bien que son père fût le pilier de la maison, elle a dû trouver l'équilibre entre le rôle de fille et celui d'épouse. «J'avais 17 ans lorsque mon père est décédé dans des circonstances tragiques et je n'oublierai pas ce jour-là.»

Il a perdu sa mère Sylvia et son frère Jeffrey | Jason Wright : «Nous vivons un deuil permanent que même une réparation ne comblera pas»

Jason Wright n'oubliera jamais ce jour fatidique du 30 mars 2013. Dix ans se sont écoulés mais il est toujours meurtri. Impossible d'oublier ce samedi noir qui a coûté la vie à 11 personnes, dont sa mère Sylvia Wright, 46 ans, et son frère Jeffrey, 18 ans, tous deux emportés par les flots dans le tunnel du Caudan. Il ne se passe pas un jour sans que Jason ne pense à sa mère et à son frère bien-aimés.

Ce samedi-là, lorsque des crues soudaines ont envahi la capitale avec plus de 152 mm de pluie en moins d'une heure et 30 minutes, Jason était de service à l'hôtel Le Labourdonnais. Il était alors loin de se douter que sa mère et son frère - qui gagnaient leur vie comme à l'accoutumée dans leur tabagie du tunnel du Caudan, à quelques pas de lui - allaient se retrouver prisonniers des eaux boueuses dans le tristement fameux tunnel de la mort. Un tunnel qu'il lui est toujours difficile d'emprunter et, quand c'est le cas, c'est toujours en pleurant toutes les larmes de son corps. D'ailleurs, jusqu'à maintenant, il n'a toujours pas le courage d'y emmener sa famille.

Jason a toujours des souvenirs vifs. Ce jour-là, il a quitté son service en toute précipitation, aussitôt que la mauvaise nouvelle avait commencé à se répandre, pour aller à la recherche de sa maman et de son frère. C'est lui qui, avec l'aide d'un membre du Groupement d'intervention de la police mauricienne, a sorti le corps de sa mère du tunnel sud avant que son frère ne soit repêché. Jason avait seulement 20 ans.

«Savez-vous ce que ça fait de perdre sa maman et son frère en même temps ? De les repêcher vous-même de toute cette eau boueuse avec l'espoir qu'ils soient toujours en vie telma mo get fim! L'autre moment très pénible que j'ai vécu, c'est lorsque j'ai dû prendre le peu de courage qui me restait pour annoncer la terrible nouvelle à mon père Allan. Lui qui ne cessait de m'appeler pour savoir si son épouse et son fils étaient à l'abri, sans s'imaginer le moins du monde qu'ils n'étaient plus de ce monde», livre-t-il, hagard.

Et comment gérer tout ça à 20 ans ? Jason dit avoir seulement gardé espoir que l'avenir sera meilleur. En vain. Dix ans après, ce qui reste de sa famille et lui luttent toujours. «Cette souffrance est éternelle et mémorable pour mon père, mes grands-parents et moi. Toute la douleur de cette séparation brusque est toujours vive. Avec mon épouse et mes deux fils, Noah et Elyjah Allan, nés en 2020 et 2022 respectivement, ils sont ma seule famille, ma raison de vivre aujourd'hui. Je suis rongé par le chagrin rien qu'à l'idée que ni ma maman ni mon frère ne soient là, à mes côtés.» Pour Jason et son père, Allan Wright, remonter la pente reste insurmontable. «Nous vivons un deuil permanent que même une réparation, s'il y en a un jour devant la justice, ne comblera pas. Je ne souhaite à personne de vivre la même situation et la même souffrance éternelle que moi. Dès fois, je me dis que jamais, ô grand jamais, je n'obtiendrais ni réconfort ni paix. Cette double disparition m'a marqué à vie.»

La justice se fait attendre

Jason a dû mettre un frein à sa carrière professionnelle pour être aux côtés de son papa 24 heures sur 24. Un père moralement accablé et désespéré par la disparition subite de son épouse Sylvia et de son fils Jeffrey, ainsi que l'écroulement de l'entreprise familiale suivi d'une montagne de dettes. Ils ont perdu leur commerce dans le tunnel sud, tout comme leur local loué de Landscope.

Jason souhaite que la justice, «qui nous tient toujours 'on remand' de deuil», les aide à surmonter les obstacles qu'ils accumulent depuis dix ans. En effet, l'affaire traîne toujours en cour. Les dix familles qui ont perdu des proches dans les inondations du 30 mars 2013 poursuivent l'État et six organismes.

Représentées par Me Antoine Domingue, «Senior Counsel», elles leur réclament conjointement et solidairement des dommages totalisant Rs 121 millions. De ce montant, les Wright en revendiquent Rs 11 millions. «'Nanyé nou pa finn gagné dan séki nou'nn perdi. Mé nou kouma bann solda. Mwa mo lipié gos et mo papa li lipié drwat.' Nous restons forts pour se soutenir l'un et l'autre et pour notre famille. Je remercie tous ceux à travers le monde qui nous ont soutenus. Vous serez toujours dans mon coeur.» Dans toute cette peine, Jason, fervent croyant, reste fort pour sa famille qui a besoin de lui. «Tonbé lévé, zamé mo pa pou zet zarm. Sa péna dan mo vokabiler.» Ce qui ne l'empêche pas de souhaiter pouvoir dire à sa maman et à son frère qu'ils lui manquent terriblement. «Mo bizin zot é mo mari kontan zot.»

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