Congo-Kinshasa: Contrat minier chinois - Deal du siècle ou chimère ? (Dossier)

analyse

Le gouvernement a décidé depuis le 17 mars courant, de revisiter le contrat minier chinois. Lors du conseil des ministres, tenu à cette date, le président de la République a évoqué l'impérieuse nécessité de revisiter la convention signée entre la RDC et le Groupement d'entreprises chinoises (GEC) en avril 2008. Felix Antoine Tshisekedi, l'a dit après avoir pris acte des conclusions de l'audit mené par l'Inspection générale des finances (IGF) sur l'exécution de cette convention.

Ces conclusions, publiées le 17 février, font état de non-respect des dispositions de contrat, de l'inexécution des engagements contractuels et de subjectivité dans certains actes posés par les parties. Il a souligné le caractère inquiétant de cette situation déplorable pour le développement du secteur minier, locomotive de la croissance économique du pays.

Quel est le contenu du contrat minier RDC-Chine ? Où en est son exécution ? Pourquoi le gouvernement veut revisiter ce contrat ? Réponses dans ce dossier de la rédaction.

A en croire l'IGF, ce contrat qui avait suscité beaucoup d'espoir à l'époque n'a pas tenu sa promesse. Celle de doter la RDC d'un éventail d'infrastructures les plus modernes. En 2008, la convention signée prévoyait que le groupement d'entreprises chinoises (GEC) apporte à peu près 6 milliards USD pour financer les infrastructures. En contrepartie, la RDC offrait ses minerais dont principalement le cobalt et le cuivre d'une valeur estimée à 10 millions de tonnes par an. Pour mener à bien ce projet, une joint-venture, appelée SICOMINES a été créée. La partie congolaise représentée par la GECAMINES à 32 % et les entreprises chinoises en ont 68 %. Cette répartition avait agacé les acteurs de la société civile.

%

Une désillusion selon l'IGF

Malgré quelques réajustements survenus sur le contrat initial, le taux de réalisation des infrastructures dans le cadre de cette convention reste très faible. C'est même la désillusion, selon l'IGF. En effet, un seul hôpital a été construit sur les 32 attendus. Il s'agit de l'hopital du Cinquantenaire à Kinshasa. L'aéroport de Kavumu et celui de Goma n'ont pas été réhabilités comme promis. Autour de 380 km de routes ont été construites ou réhabilitées sur les 7088 Km prévus. Enfin, aucun km de chemin de fer n'a été construit sur les 380 listés.

Dans le secteur de l'énergie, les travaux du barrage hydroélectrique de Katende dans le Kasaï peinent à se finaliser, révèle l'audit de l'Inspection générale des finances. Le porte-parole du gouvernement avait précisé en janvier dernier que la RDC avait sollicité une ligne de crédit de 188 millions USD auprès de l'Etat indien pour finaliser le projet hydroélectrique du Grand Katende. Par ailleurs, la SICOMINES aurait commencé à rembourser l'argent apporté par la partie chinoise pour ces infrastructures qui n'ont pas été construites dans leur totalité, s'étonne l'IGF. Elle propose donc au gouvernement une re-visitation de ce contrat.

Vous pouvez consulter l'intégralité du rapport d'audit de l'IGF ici : /sites/default/files/2023-03/conclusions-de-l-igf-sur-le-contrat-chinois-63ed1783e8c65-1.pdf

La partie chinoise réfute les accusations de l'IGF

L'ambassade de Chine à travers son porte-parole a réfuté en bloc toutes les accusations de l'Inspection générale des finances.

« Nous avons le regret de constater que, le rapport dont le contenu est plein de préjugés, ne correspond pas à la réalité, ne peut être considéré comme crédible et n'a pas de valeur constructive », a réagi l'ambassade de Chine en RDC, via son porte-parole.

Dans un communiqué publié vendredi 17 février, la SICOMINES évoque « des critiques et mesures injustifiées à son encontre qui nuisent à son bon fonctionnement et au projet de coopération ».

Pour autant, 4 jours après la publication du rapport de l'IGF, la partie chinoise, avait annoncé vouloir décaisser une enveloppe supplémentaire de 500 millions USD.

Cependant, cette décision d'un nouveau décaissement, d'après la SICOMINES, avait été prise avant la publication du rapport de l'IGF.

Mais pour le Centre de recherche en finances publiques et développement local, (CREFEDL) il faut un audit au préalable avant l'utilisation de ce nouveau décaissement.

« Nous avons demandé au gouvernement de surseoir les négociations sur l'utilisation probable du décaissement de 500 millions de dollars annoncé par la SICOMINES. Nous osons croire que les entreprises chinoises qui ont déjà exécuté les 40 projets d'infrastructures ont failli à leur mission parce que pour nous, l'audit devrait également conduire à ce que l'IGF et la Cour des comptes proposent au gouvernement un manuel de procédures de gestion de tous les projets qui seront exécutés dans le cadre de cette convention », a souligné Valéry Madianga, le directeur général du CREFEDL.

Entre temps, l'Union des sociétés minières aux capitaux chinois a récemment saisi, par écrit, le Président Tshisekedi pour trouver une solution amicale sur ce dossier. Cette plateforme se dit également résolue à soutenir notamment la SICOMINES dans la défense de ses droits si nécessaire.

Le gouvernement n'en démord pas, la SICOMINES et la Chine prêtes au dialogue

Après la publication du rapport de l'IGF et malgré la réaction de la Chine et de la SICOMINES, le Chef de l'Etat congolais, Felix Tshisekedi tranche et évoque « l'impérieuse nécessité d'une re-visitation du contrat chinois dans le sens d'un rééquilibrage des avantages visant à garantir les intérêts de la RDC dans l'exploitation de la SICOMINES ». Il l'a signifié au cours du conseil des ministres de vendredi, 17 mars, tenu par visioconférence.

Exactement, une semaine plus tard, la SICOMINES et les parties prenantes se disent ouvertes au dialogue pour trouver des solutions d'optimisation du contrat minier entre la RDC et les entreprises chinoises. Pour la partie chinoise, il est normal qu'il y ait des contentieux mais qui doivent se régler via des solutions amicales pour l'intérêt de deux parties. Cette mise au point a été faite lors d'une conférence de presse à la résidence de l'ambassadeur de Chine à Kinshasa, vendredi 24 mars.

Pour l'ambassadeur chinois, le contrat n'est pas gagnant-perdant comme l'atteste l'IGF mais plutôt gagnant-gagnant au regard des données dont dispose la partie chinoise. Cette dernière, représentée par la SICOMINES et l'ambassadeur de Chine, déplore toute la campagne médiatique sur cette affaire qui, selon elle, ne profite pas aux parties.

Elle a précisé que 43 infrastructures ont été réalisées selon les cahiers de charge. Quant aux infrastructures listées dans l'annexe de la convention de 2008, notamment la trentaine d'hôpitaux, les 300 km de chemin de fer, la réhabilitation des aéroports de Kavumu et de Goma, elles n'étaient qu'une liste à titre indicatif.

« Le projet présenté par le gouvernement congolais ultérieurement ne sont pas forcément des projets dans cette liste, qui est en tant que tel une liste à titre indicatif. Donc les projets réalisés par la SICOMINES ne sont pas forcément des projets dans cette liste », a expliqué Diao Ying, la secrétaire du conseil d'administration de la SICOMINES.

Pour Zhu Jing, l'ambassadeur de la Chine en RDC, « les entreprises chinoises n'ont pas le droit de dire tel ou tel projet d'infrastructures sera réalisé... Tous les projets d'infrastructures sont décidés et proposés par le gouvernement congolais. La liste dont il est question (la trentaine d'hôpitaux, les 300 km de chemin de fer, la réhabilitation des aéroports de Kavumu, NDLR) ce n'est pas une liste d'engagements, c'est plutôt un pool de projets que le gouvernement congolais envisage de faire ».

En ce qui concerne la surfacturation des travaux qu'a révélé l'audit de l'IGF, la SICOMINES a précisé que c'est l'Agence congolaise des grands travaux (ACGT) qui doit répondre à cette question car elle a simplement payé les travaux.

Comment expliquer les ratés de cette convention ?

Ce contrat qualifié de contrat du siècle, au regard du développement des infrastructures envisagé n'a pas tenu ses promesses, essentiellement, à cause de la pratique de surfacturation et le manque de transparence par les parties prenantes en charge du suivi d'exécution de cette convention, estime l'IGF.

Pour le directeur de l'ONG African Ressource Watch, Emmanuel Umpula, qui a longtemps travaillé sur cette convention, la RDC doit de manière générale renforcer ses pouvoirs de négociation.

Il cite en exemple la constitution de la SICOMINES avec un déséquilibre dans les parts sociales. 32 % pour la RDC, à travers la GECAMINES et 68 % pour les actionnaires Chinois.

« La participation de la GECAMINES dans cette joint-venture devrait être beaucoup plus élevée parce que lorsque vous regardez le groupement d'entreprises chinoises ce qu'elles ont apporté c'est uniquement la garantie que la banque chinoise Eximbank va financer alors que l'Etat congolais à travers la GECAMINES a apporté des réserves très importantes mais qui ont été sous-évaluées... », a déploré Emmanuel Umpula.

Autres problèmes épinglés, la plupart des contrats ne sont pas signés d'Etat à Etat, donc non pas entre la RDC et la Chine mais plutôt entre la RDC et certaines entreprises privées. Ensuite, les études de faisabilité devaient être faites par un cabinet chinois. Il y a déjà là un conflit d'intérêt, estiment des analystes.

Revisiter en évitant les erreurs du passé

Le contrat minier chinois est qualifié de léonin par le gouvernement congolais qui appelle à sa re-visitation. Pour Claude Kambemba, directeur de l'Observatoire pour les ressources naturelles(SARWA), cette énième re-visitation est une opportunité pour le gouvernement de revoir sa gouvernance du secteur minier dans l'ensemble. Cela pour ne plus retomber dans les mêmes erreurs des précédents gouvernements.

La première erreur, c'est le silence coupable des autorités congolaises face aux promesses non tenues de leurs partenaires chinois, estime cet expert de SARWA :

« Si les Chinois n'ont pas respecté en présence d'un gouvernement établi, à qui incombe la faute ? Parce que, je vois très mal, comment un contrat signé, on a accepté le contenu du contrat et un partenaire n'arrive pas à satisfaire ce contrat et on reste silencieux pendant très longtemps...Tout le monde savait que les Chinois n'arrivaient pas à appliquer le contrat comme il le fallait depuis très longtemps, ce n'est pas une nouveauté ».

Et d'ajouter :

« Donc il y a une question fondamentale que l'on doit se poser : est-ce que c'est une faute des Chinois ou une faute des Congolais...Parce que si on ne se pose pas cette question, nous risquons de retomber dans les mêmes erreurs, on a déjà renégocié des contrats avant. Cela n'avait rien résolu et nous sommes tombés dans les mêmes erreurs ».

Pour Claude Kambemba, Kinshasa doit revoir sa capacité à renégocier.

« Il y a un problème de fond à l'intérieur du gouvernement que nous devons faire. Le contrat Chinois nous donne une opportunité encore de revoir notre capacité interne de négocier les contrats mais aussi de les exécuter. Je pense que nous devons faire un pas en arrière, regarder d'une façon globale comment résoudre les problèmes qui affectent le secteur minier congolais », a-t-il conclu.

Et c'est pour préparer cette renégociation que s'est tenue, mercredi 22 mars, la première réunion de la commission en charge de cette re visitation, pilotée par le directeur de cabinet du Chef de l'état.

« Maintenant, notre besoin est simplement de rééquilibrer les choses de manière à ce qu'il devienne gagnant-gagnant », déclarait le président Felix Tshisekedi en janvier.

Si pour le gouvernement congolais, il n'y' a plus de doute que le contrat avec la Chine a été mal négocié, la question qui se pose est celle de savoir quel levier la RDC peut-elle actionner pour contraindre la partie chinoise ?

La commission ad hoc devrait répondre à des questions qui restent sans réponses pour l'heure.

L'accord prévoyait que les entreprises chinoises investissent 3,2 milliards de dollars dans une mine de cuivre-cobalt et 3 milliards de dollars supplémentaires dans des infrastructures financées par les revenus de la mine.

Aujourd'hui, le gouvernement de la RDC affirme que la Chine a débloqué moins d'un tiers des fonds destinés aux infrastructures. Où est passé le reste du financement ?

C'est seulement après cette autopsie que viendra la renégociation qui doit en principe se faire selon les modalités prévues dans le contrat, estiment plusieurs experts.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.