Après plusieurs renvois, c'est une audience spéciale qui a connu, le 30 mars dernier à Dakar, du procès pour diffamation, de l'opposant Ousmane Sonko. Ce dernier a été condamné à deux mois avec sursis.
Le verdict est tombé en fin de matinée d'hier. Ce, dans un contexte de vive tension qui a vu ses partisans faire le pied de grue dans la rue depuis la veille où des heurts ont éclaté entre policiers et manifestants décidés à braver l'interdit.
Le fait est que depuis plusieurs mois, le feuilleton Ousmane Sonko tient en haleine tout le Sénégal où l'atmosphère sociopolitique s'est fortement dégradée.
Le leader du PASTEF est l'objet de poursuites judiciaires qui ne sont rien d'autre, pour l'opposition réunie autour de son leader, qu'une cabale politique visant à le disqualifier de la course au fauteuil présidentiel.
Et la situation est d'autant plus explosive que non seulement l'opposition ne fait pas confiance à la Justice qu'elle accuse d'être inféodée au pouvoir en place, mais aussi parce qu'elle soupçonne le chef de l'Etat de nourrir des velléités de briguer un troisième mandat qu'elle juge constitutionnellement indu.
C'est l'éventualité de sa candidature à un troisième mandat, qui cristallise les passions au sein de l'opposition
De là à voir derrière les ennuis judiciaires de leur champion, une façon détournée, pour le pouvoir, de dégager un boulevard pour le natif de Fatick, par la désormais bien connue méthode de la condamnation judiciaire qui a eu raison des ambitions présidentielles d'opposants et pas des moindres comme Karim Wade, Khalifa Sall et Barthélemy Dias bien avant Ousmane Sonko, il y a un pas que l'opposition a vite franchi.
Et tout porte à croire qu'elle en tire suffisamment de motivation pour maintenir la pression sur la Justice qui n'est pas loin d'être prise entre le marteau d'une opposition qui se veut plus vigilante que jamais et l'enclume d'un pouvoir qui n'entend pas se déculotter face à la pression de la rue. Si ce n'est pas une façon, pour l'oposition, de pousser le chef de l'Etat à dévoiler ses intentions, cela y ressemble fort. Alors, et si Macky Sall clarifiait enfin sa position ?
La question est d'autant plus fondée que tout porte à croire que c'est l'éventualité de sa candidature à un troisième mandat, qui cristallise aujourd'hui les passions au sein de l'opposition. Comment peut-il en être autrement quand, au lieu de rassurer ses compatriotes, le locataire du palais de la République lui-même ne craint pas d'ouvrir le débat juridique sur la question, sachant que sa lecture est aux antipodes de celle de ses adversaires ?
Autant dire qu'aujourd'hui, Macky Sall paraît à la fois le problème et la solution à la crise sociopolitique que traverse son pays. La solution pourrait aller dans le sens d'un renoncement clair et net à ce fameux troisième mandat, à l'image d'un Mahamadou Issoufou, l'ancien président nigérien qui n'avait pas hésité à jeter derrière les barreaux, certains de ses soutiens qui l'appelaient à franchir le pas.
La condamnation de Ousmane Sonko ne clôt pas pour autant le débat
Le problème demeurera en revanche, si Macky Sall continue de se claquemurer dans un mutisme qui ne manque pas d'interroger à moins d'un an de la présidentielle du 25 février 2024 ; ou pire s'il devait tomber le masque en s'engageant sur un chemin qui s'est révélé plutôt périlleux pour certains de ses pairs sous nos tropiques.
Mais bien plus que la légalité, c'est la légitimité d'une telle candidature qui devrait interroger le chef de l'Etat sénégalais. Ce, au regard de la dégradation continue de la situation sociopolitique dans son pays où les violences consécutives aux manifestations de protestation, se sont parfois soldées par des pertes en vie humaines.
Autant dire que, pour autant qu'il soit dans la perspective d'un troisième mandat, Macky Sall doit mesurer tous les enjeux de sa candidature avant de se jeter à l'eau. Et il serait bien inspiré de tirer leçon de l'expérience de son prédécesseur, Abdoulaye Wade, qui s'était engagé sur le même chemin tortueux et qui a perdu le pouvoir dans les conditions que l'on sait.
Cela, pour son bien, et celui de tout le Sénégal. Car, si à quelque onze mois de la présidentielle, les couteaux sont autant tirés entre acteurs politiques alors même qu'il ne s'est pas encore clairement prononcé sur la question, qu'en sera-t-il si, au dernier moment, le président Sall décidait de franchir la ligne rouge de cette fameuse candidature à un troisième mandat, qui pourrait décider d'autres composantes comme la société civile restée jusque-là plutôt discrète, à entrer dans la danse ? Le Sénégal n'a pas besoin de ça.
En tout état de cause, la condamnation de Ousmane Sonko qui a été reconnu coupable de diffamation, à deux mois assortis de sursis, plus une amende de 200 millions de FCFA, ne clôt pas pour autant le débat puisque l'affaire de la masseuse qui le poursuit pour « viol et menaces de mort », reste encore pendante devant la Justice qui, en ne suivant pas le Parquet qui avait demandé une condamnation de deux ans de prison dont un an ferme, ôte, pour ainsi dire, un argument aux partisans de l'opposant, de douter de son indépendance. Elle a plutôt coupé la poire en deux.