Cote d'Ivoire: Refondation hier, renaissance aujourd'hui - Comment Laurent Gbagbo vend du vent et de la fumée aux Ivoiriens

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Encore un numéro de prestidigitation de Laurent Gbagbo. Après avoir promis aux Ivoiriens la refondation, qui s'est révélée être une déconstruction du pays, l'ancien chef de l'Etat propose une nouvelle trouvaille : la renaissance. Encore un mot lourd de sens pour certainement, comme par le passé, berner une fois de plus ses compatriotes.

Cette semaine, il s'apprête, avec sa nouvelle formation politique, le Parti des peuples africains-Côte d'Ivoire (PPA-CI), à célébrer la première fête de la Renaissance les 31 mars et 1er avril prochains à la place Ficgayo de Yopougon. Initialement prévue pour le jeudi 31 mars 2022, la fête de la Renaissance, commémorant l'an 1 de la confirmation de l'acquittement de l'ex-président de la République, avait été reportée à plusieurs reprises. Cette fois-ci semble, enfin, pour Laurent Gbagbo et ses partisans, la bonne. Mais, en réalité, c'est à défaut de célébrer la fête de la liberté, qui est la propriété du FPI, que le camp Gbagbo a choisi le vocable renaissance pour désigner cette célébration.

Et le choix n'est pas fortuit, car, à leurs yeux, le come-back de Laurent Gbagbo, alors que tout semblait perdu pour lui au vu des charges qui pesaient contre lui à la Cour pénale internationale, s'apparente à une renaissance. Comme pour dire que l'ancien pensionnaire du pénitencier de Haaglanden, à Scheveningen (La Haye, Pays-Bas) renaît de ses cendres. Avouons-le, son acquittement par les juges de la CPI est un petit miracle, eu égard à sa lourde responsabilité dans la crise postélectorale qu'il a provoquée en refusant de reconnaître sa défaite à l'élection présidentielle de 2010.

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Mais, de là parler de renaissance, c'est tirer, à nouveau, sur la corde de la manipulation de l'opinion, singulièrement ses partisans. Surtout que Laurent Gbagbo est un spécialiste de ce jeu manichéen. Souvenons-nous, dans l'opposition, il s'était érigé, durant la décennie 1990-2000, en avocat défenseur de la liberté sous d'abord le règne d'Houphouët-Boigny, puis celui d'Henri Konan Bédié. Et quand il accède, dans des « conditions calamiteuses » selon ses propres termes, au pouvoir en octobre 2000, il annonce la refondation avec pour objectif d'impulser une nouvelle dynamique de développement à la Côte d'Ivoire et d'offrir un mieux-être aux Ivoiriens.

Toutefois, entre le dire et le faire, il y a toujours un fossé que Laurent Gbagbo n'a jamais voulu ou pu franchir. Ainsi, à l'épreuve de l'exercice du pouvoir, l'homme a jeté aux orties ses belles promesses et s'est mué, subitement, en un bourreau de la liberté ; instaurant la terreur et la violence : persécution et châtiment des opposants ; interdiction de manifester ; assassinat et intimidation de journalistes ; saccage et incendie et des locaux de certains organes de presse dont Le Patriote et 24heures ; interdiction de la vente de certains journaux, y compris votre quotidien préféré, dans des localités du pays... Sous la gouvernance Gbagbo, la liberté d'expression était une chimère pour une grande majorité des Ivoiriens. De même, circuler librement sur l'ensemble du territoire était devenu presqu'impossible.

Avec des barrages routiers dressés à l'entrée et à la sortie de toutes les villes où les forces de l'ordre faisaient la chasse à des Ivoiriens supposés être des rebelles ou des soutiens de rebelles. Les hommes politiques et les militants de l'opposition étaient aussi dans le viseur du pouvoir d'alors. En témoigne la répression aveugle de la marche de l'opposition des 24,25 et 26 mars 2004. Ce que confirme la commission d'enquête de l'ONU sur ces événements dans un rapport accablant : « « Les plus hautes autorités de l'Etat » ivoirien d'avoir monté une « opération soigneusement planifiée » pour réprimer une manifestation interdite de l'opposition».

Selon le document, au moins 120 morts ont été tuées. Sans compter les cas de tortures, disparitions et arrestations arbitraires, selon l'ONU qui n'hésite pas à parler de « massacres ». « Les 25 et 26 mars, des civils innocents ont été tués de façon indiscriminée et des violations massives des droits de l'Homme ont été commises. La marche est devenue un prétexte à ce qui s'est avéré être une opération soigneusement planifiée et exécutée par les forces de sécurité, c'est-à-dire la police, la gendarmerie, l'armée ainsi que des unités spéciales et des forces parallèles, sous la direction et la responsabilité des plus hautes autorités de l'Etat », affirme la commission d'enquête qui a séjourné en Côte d'Ivoire du 15 au 28 avril « à la demande des autorités ivoiriennes ».

Que dire de la longue liste d'opposants éliminés physiquement d'après plusieurs sources par des escadrons de la mort à la solde du régime Gbagbo : le général Robert Gueï (ainsi qu'une partie de sa famille et de ses proches) tué dès le 19 septembre 2002, aux premières heures de la crise ; le comédien Camarah Yêrêfêrê, alias Camara H, membre dirigeant du Rassemblement des républicains (RDR, d'Alassane Ouattara) retrouvé mort le 1er février ; le Dr Benoît Dacoury-Tabley, le frère cadet de Louis-André, un des chefs de file du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI, branche politique de la rébellion), également abattu, le 6 novembre 2002. Sans oublier de nombreux citoyens moins connus, éliminés pour la plupart, selon des témoins, par des hommes en uniforme, à l'heure où Abidjan est sous couvre-feu. On le voit, sous Laurent Gbagbo la liberté a été massacrée dans le vrai sens du terme.

Que dire de la refondation ?

Le 26 octobre 2000 alors qu'il prêtait serment, Laurent Gbagbo présentait son programme de gouvernement qu'il a baptisé la refondation. Il s'agissait pour lui et son équipe de reconstruire sur des bases et des valeurs nouvelles. « Je me suis engagé devant vous et avec vous à réaliser la refondation de la Côte d'Ivoire. [...] J'accorderai la première priorité à la refondation du système de défense et de sécurité. [...] La refondation sociale est une exigence éthique et politique pour assurer le bien-être des populations. [...] C'est par la refondation économique que la Côte d'Ivoire sortira de l'économie de rente pour négocier sa place dans le monde moderne », avait-il déclaré entre autres. Mais, aucun de ces engagements n'a été tenu. Pis, plutôt que de refonder le système de défense et de sécurité, Laurent Gbagbo le détruit littéralement en exacerbant la fracture entre frères d'armes. Des militaires sont contraints d'aller en exil de peur d'être arrêtés et torturés.

Sur le plan économique, la refondation fait place au pillage systématique des ressources du pays. L'histoire retient que c'est sous Laurent Gbagbo qu'il y a eu le plus gros scandale de détournement dans la filière café cacao dont la cerise sur le gâteau est l'achat d'une usine désaffectée à Fulton, aux Etats-Unis d'Amérique. A cela s'ajoutent la prévarication des deniers publics, le népotisme, la gabegie etc. Et le comble de cette descente aux enfers, c'est le déversement le 19 août 2006 de plus de 540 000 litres de déchets toxiques sur 18 sites autour d'Abidjan par la multinationale de négoce pétrolier Trafigura. En clair, la refondation a plongé le pays dans les profondeurs abyssales du dégoût. Après avoir échoué sur toute la ligne, Laurent Gbagbo sort un nouveau concept, qu'il qualifie de « renaissance ». Pour quoi faire ?

Troublante renaissance

Cette question taraude l'esprit de bon nombre d'Ivoiriens qui s'interrogent sur la pertinence de cette notion. Car, en réalité, ils n'ont pas besoin d'une nouvelle naissance. Tout comme ils n'ont aucune raison de naître à nouveau. Bien au contraire, ils veulent progresser, aller de l'avant. Avec Alassane Ouattara, ils sont déjà sur le bon chemin. Le chef de l'Etat a réussi la prouesse de remettre le pays de Félix Houphouët-Boigny, au fond de l'abîme il y a un peu plus de dix ans, sur orbite. Le développement et la croissance économique de la Côte d'Ivoire est une réalité qu'ils vivent chaque jour, qu'ils soient du sud, du nord, de l'est, de l'ouest ou du centre. Avec la construction des routes, des ponts, des universités, l'électrification des villages et des villes, l'adduction en eau potable des localités...

De toute évidence, la Côte d'Ivoire n'a pas de renaissance encore moins d'un concept creux sans réel fondement. Ce dont elle aspire, c'est de poursuivre son développement harmonieux qui a débuté, il y a un peu plus de deux décennies. Dans la paix, la stabilité et la cohésion sociale. Et non une rhétorique politicienne pour manipuler les populations. Laurent Gbagbo ferait mieux, au lieu de voguer de concept à concept, de revoir son logiciel politique. Et surtout d'ouvrir grand les yeux pour voir ce pays a changé. Les Ivoiriens aussi.

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