Dans son document « Mutations africaines » publié cette semaine, le Global Centre for Climate Mobility documente les réalités actuelles des migrations sur le continent dues au changement climatique et les scénario futurs. Entretien avec Sarah Rosengaertner, conseillère principale dans ce centre de recherches.
Jusqu'à 5% de la population africaine pourrait être déplacée en 2050 à cause du changement climatique, note le Global Centre for Climate Mobility. Cela représente jusqu'à 113 millions de personnes. Où se déplacent les populations menacées par les événements climatiques extrêmes, selon vos projections ?
Nos projections n'ont pas modélisé la migration vers l'Europe, mais ce qu'elles montrent, c'est que les déplacements se feront plutôt au sein des pays. Plus de 90% des personnes se déplaceront au sein de leur propre pays. Et la plupart des gens vont en fait dans les petites villes qui sont proches de leur lieu d'origine. On ne voit pas de vagues de mouvements qui se déplacent sur de longues distances. Il y a des projections pour la migration transfrontalière : 1,2 million de personnes se déplaceront au-delà des frontières et ça, c'est au sein du continent africain.
Plus précisément, dans quelles zones vont être concernées par les départs et par les arrivées de populations ?
On trouve ce qu'on appelle des points chauds de la mobilité climatique. Ce sont des points de forte concentration, de mouvements, soit d'entrée ou de sortie. Et ces points chauds apparaissent sur tout le continent, notamment dans la zone sahélienne, le long des côtes et dans les villes. Des zones frontalières deviennent des points chauds, entre le Niger et le Nigeria par exemple, autour du lac Victoria et aussi dans la corne de l'Afrique. Les zones rurales verront les agriculteurs quitter les plaines fluviales, et les terres pastorales pourraient subir d'importants déplacements de populations.
Dans les villes d'Afrique, il y a aussi beaucoup de dynamisme sur tout le continent. Les villes vont se développer rapidement, mais à l'échelle du continent, les impacts climatiques pourraient contraindre autour de quatre millions de personnes à quitter les zones urbaines. Il y a par exemple Casablanca, Accra et Abidjan, des villes qui devraient voir leurs habitants partir en raison des impacts climatiques. Mais dans la plupart des petites villes africaines, on voit que la mobilité climatique s'ajoutera à la croissance démographique. Et des grandes villes comme Khartoum, Maputo, Goma, Tripoli et Kigali apparaissent également comme d'importantes destinations de la mobilité climatique.
Y a-t-il des catégories de populations qui se déplacent plus que d'autres ?
On peut dire que les jeunes et les plus éduqués se disent les plus prêts à se déplacer et voient des opportunités liées au mouvement. Les femmes aspirent moins à se déplacer. L'âge est aussi un facteur important. Les plus âgés sont les moins capables de se déplacer, les plus attachés aussi à leur lieu, à leur communauté et mode de vie. Il y a aussi un facteur de profession. Des communautés dont le mode de vie est ancré dans la terre, dans la pêche, l'élevage et tout ce qui est lié à un écosystème auront beaucoup plus de mal à se déplacer. Notamment aussi parce que c'est leur mode de vie et leur identité culturelle.
Faut-il préparer la mobilité climatique ?
On voit vraiment que la mobilité climatique, c'est peut-être un moyen d'adaptation au climat, mais ça demande du soutien et de la planification. Tout le monde ne peut pas accéder à la mobilité et on a un risque que des gens ne puissent pas se déplacer alors qu'ils sont dans des conditions très vulnérables. Donc il faudra vraiment voir comment la mobilité peut être gérée pour aider les gens à s'adapter au changement climatique et aussi comment préparer les communautés qui seront dans des lieux attractifs pour être en position d'accueillir de nouveaux habitants.
Des phénomènes climatiques extrêmes et variables selon les régions d'Afrique Il est de plus en plus courant de parler de réfugiés ou déplacés climatiques. Au cours de la dernière décennie, il y aurait eu 21,5 millions nouveaux déplacements chaque année dans le monde à cause de phénomènes climatiques - plus de deux fois plus que les déplacements causés par les conflits et la violence. Et le continent africain n'est pas épargné. Il est l'un des plus vulnérables alors qu'il a été celui qui a le moins contribué au réchauffement climatique...
Les phénomènes du changement climatique qui poussent les populations à se déplacer sont très différents selon les régions du continent. Certaines régions sont plus particulièrement touchées par des phénomènes de températures extrêmes, associées à des épisodes de sécheresses. C'est le cas en Afrique de l'Est qui a vu se succéder des saisons des pluies insuffisantes. Le sud de Madagascar souffre également d'une sécheresse aiguë. Une problématique également très présente en Afrique du Nord. Tunisie, Algérie, Maroc ou encore Libye, ont connu des chaleurs extrêmes, qui se sont accompagnées d'incendies. Ainsi que de tempêtes de sable et de poussières. L'année 2021 a été l'une des années les plus chaudes jamais enregistrées sur le continent, selon l'Organisation météorologique mondiale.
Certaines réserves d'eau douce diminuent. C'est le cas concrètement de la superficie du lac Tchad qui s'est vue réduite à peau de chagrin entre les années 1960 et 2000. En Afrique de l'Ouest, c'est le déclin du débit des cours d'eau qui est constaté. Au contraire, d'autres régions ont connu des pluies intenses, et de graves inondations. C'est le cas en Afrique du Sud ou au Nigeria. Ou encore le Soudan du Sud qui a vu, plusieurs années consécutives, le niveau de ses lacs et de ses rivières monter. Par ailleurs, l'élévation du niveau de la mer le long des côtes africaines est plus rapide que le rythme moyen mondial, en particulier au bord de la mer Rouge et dans le sud-ouest de l'océan Indien.
De manière générale, le continent connait une intensification des phénomènes climatiques extrêmes. Le plus récent est le cyclone Freddy qui a frappé deux fois l'Afrique australe en quelques semaines et a causé de lourdes pertes humaines et matérielles.