Beauté de l'objet pour certains, qualité du son pour d'autres, les ventes de vinyles ont dépassé en 2022 celles des CD aux Etats-Unis. Guidé par sa passion dans sa boutique de Greenwich Village, à New York, Jamal Alnasr savoure ce retour en grâce.
"Qui aurait pu imaginer que les vinyles reviendraient à la vie?", sourit cet homme de 50 ans qui, adolescent, avait quitté la Cisjordanie pour s'installer à New York.
Dans son magasin, le Village Revival Records, on peut croiser Vijay Damerla, 20 ans. L'étudiant concède écouter de la musique surtout en ligne mais, même s'il ne possède pas de tourne-disque, il a commencé à collectionner les vinyles.
"C'est l'équivalent d'un poster d'artiste, ou même d'un poster d'album sur votre mur", explique-t-il, avant d'ajouter: "Sauf qu'en fait, c'est un peu une relique du passé".
Pour Celine Court, 29 ans - et 250 vinyles - ce qui prime, c'est une nostalgie pour un son plus chaud, qu'on ne retrouverait pas dans l'écoute numérique.
"C'est si différent", dit-elle. "Il y a ce sentiment d'authenticité qui se dégage".
Le retour du vinyle n'est plus un secret. Mais en 2022, leurs ventes physiques (41 millions) ont dépassé celles des CD (33 millions), pour la première fois depuis 1987, selon des données dévoilées jeudi par l'Association américaine de l'industrie du disque (RIAA).
Les grandes surfaces comme Walmart ont adopté ce format et les vedettes comme Taylor Swift, Harry Styles ou Billie Eilish font tourner les usines de pressage à plein régime. Cette semaine, le groupe de hard-rock Metallica a même racheté l'un de ces fabricants, Furnace Record Pressing, afin de satisfaire la demande pour ses propres rééditions.
De son côté, Jamal Alnasr, dispose d'un stock tournant d'environ 200.000 disques vinyles, sans parler des CD, cassettes et souvenirs.
"Dans les années 90, quand vous parliez des vinyles, vous n'étiez pas très cool", s'amuse-t-il.
"J'ai fait ça pendant 30 ans", et désormais "une nouvelle génération, des gamins, (vient) chercher toute la musique des années 30, 40 et 50", explique-t-il.
"Ils en savent plus que nous, qui avons grandi dans les années 90 ou 80", rigole-t-il encore.
Jamal vend à la fois des vinyles neufs et d'occasion. A cause du coût élevé de fabrication et de distribution des vinyles, sa marge sur les articles neufs ne dépasse pas 5% et il compte sur les pièces de collection originales pour combler la différence.
A Greenwich Village, devenu l'un des quartiers les plus chers de New York, et où son loyer mensuel s'élève à 15.000 dollars, son commerce vit en permanence sur une corde raide.
"Chaque fois que je suis sur le point de couler, je prends tout ce que j'ai personnellement et je le remets dans l'entreprise", dit-il en riant. "Je crois que... j'aime mon entreprise plus que je ne m'aime moi-même", ajoute-t-il.
Pour un "VIP" - le disquaire s'est lié d'amitié avec des vedettes comme Lana Del Rey, Bella Hadid et Rosalia - Jamal Alnasr est prêt à expédier un disque.
Mais il préfère que les acheteurs ressentent "l'expérience physique".
"Je veux que les gens viennent ici, qu'ils fouillent dans les vinyles et qu'ils s'informent (...) Ils verront bien plus que la façade, il y a beaucoup de joyaux cachés ici", explique le passionné.
La vente de supports musicaux physiques reste une niche. D'après la RIAA, l'écoute sur des plateformes payantes ou financées par la publicité a augmenté de 7% pour atteindre un chiffre d'affaires record de 13,3 milliards de dollars en 2022, soit 84% du chiffre d'affaires total de l'industrie musicale aux Etats-Unis.
Mais pour Celine Court, qui est originaire des Pays-Bas, le streaming, c'est "trop rapide, trop facile". "Il y a une meilleure énergie quand on collectionne ses vinyles, quand on les écoute et qu'on en est fier", explique-t-elle.