Cote d'Ivoire: Raniculture - Quand l'élevage de grenouilles nourrit son homme

Il n'a pas la notoriété reconnue de l'élevage de volailles. Pas plus du reste celui du porc ou même du lapin. Mais l'élevage de grenouilles ou raniculture est loin d'envier à ces activités leur capacité à générer des revenus, parfois substantiels. Notre incursion dans le milieu des raniculteurs, via l'un des pionniers du nouveau secteur en plein épanouissement, établi dans la région du Lôh-Djiboua, nous en donne la parfaite illustration.

Divo. Quartier Benoît. Le soleil amorce sa phase descendante quand nous franchissons deux passerelles de fortune pour atteindre la "ferme-école" de Gnonsan Marcel. Elle est située dans un bas-fond. Endroit réputé idéal pour élever les grenouilles. Notre homme, la trentaine révolue, a effectué ce qu'on pourrait qualifier de saut de grenouille dans la raniculture. En effet, de simple chasseur de grenouilles, il s'est reconverti en éleveur de ces amphibiens. Et il dit ne pas regretter ce choix à la fois judicieux et juteux. « Franchement dit, cela me rapporte de l'argent », souffle, l'oeil étincelant, ce jeune Yacouba qui a quitté son Logoualé natal pour venir « se chercher » à Divo.

Alors que nous nous attendions à un concert de coassement, l'endroit est plutôt calme. Trop calme à notre goût. M. Gnonsan nous montre avec fierté ses étangs. Au nombre de quatre, nous apprenons qu'ils mesurent, chacun, cinq mètres de long sur quatre de largeur, pour une profondeur de 60 cm. Dans le premier, situé un peu plus en amont du filet d'eau limpide qui coule dans les environs, se trouvent ses reproducteurs. Un grillage de protection au-dessus du bassin empêche les batraciens de prendre la poudre d'escampette.

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«Ce dispositif empêche les grenouilles de s'échapper. Elles qui n'ont d'autres moyens de défense que la fuite, sont comme prises au piège quand elles tentent de s'enfuir au moindre petit bruit. L'avantage avec ce système de grillage, c'est que les amphibiens, dans leurs tentatives de débandade, ne se blessent pas au contact du métal», explique notre éleveur. Comme pour corroborer ses dires, lorsque nous nous approchons d'elles, toutes les grenouilles se réfugient précipitamment dans l'eau. Mais un refuge qui ne les empêche guère de happer par une langue visqueuse, l'imprudente libellule qui s'approcherait de la surface de l'eau.

Toutes les grenouilles ne sont pas comestibles, prévient notre interlocuteur. Les bêtes qu'il utilise sont issues, explique-t-il, du croisement qu'il fait entre la grenouille à peau cassée et la grenouille à peau lisse. Il les attrape lors d'une partie de chasse en prenant soin de ne pas les blesser. « L'acte d'accouplement chez la grenouille ne dure pas. A l'instar des poulets. Après l'accouplement, je sais combien de temps ça fait pour que les oeufs se forment. Je les récupère et les traite dans les vases. Au stade de larve, je vais les déposer dans l'étang pour qu'ils poursuivent leur croissance », détaille Gnonsan Marcel.

La ponte d'une seule grenouille donne des milliers d'oeufs. Certains éleveurs viennent s'approvisionner chez notre éleveur. Quand les larves perdent leur queue et commencent à sauter, on leur donne des aliments en granulée. Pour les grenouilles adultes, il expose des viscères de poisson dans les étangs pour attirer les mouches. Un mets de choix pour ses batraciens. Ce menu est complété par les nombreux insectes qu'il appâte la nuit au moyen d'une source lumineuse qu'il expose au-dessus des étangs. Les grenouilles sont engraissées à l'aide de vitamine. Mais sur ce point, le raniculteur veille scrupuleusement sur les doses pour ne pas que leurs chairs perdent de leur goût. Il les nourrit également avec des asticots.

6000 FCFA le kilo de grenouille

Le métier nourrit son homme. C'est le moins que l'on puisse dire. Avec le kilo de grenouille qui s'achète à 6000 FCFA, il y a de quoi faire pâlir d'envie les producteurs de cacao, principale culture de rente en Côte d'ivoire dont le kilo, pour la campagne intermédiaire, est de 900 francs.

« Je vends chaque trois mois mes productions. Si elles sont bien nourries, deux grenouilles peuvent facilement faire un kilogramme. Et dans un étang, il n'y a pas moins de 500 grenouilles. Ce qui me fait au bas mot, 250 kg de produit par étang. A 6000 francs le kilogramme, cela me revient à 1,5 million FCFA par étang. Il suffit de multiplier ce chiffre par cinq, c'est-à-dire le nombre de mes étangs, et vous avez mon chiffre d'affaires », s'extasie Gnonsan, une lueur dans les yeux. Ce grand « producteur » de grenouilles n'est pas homme à se contenter d'un seul business, si porteur soit-il. En plus de sa ferme école à proximité de son domicile, il dispose d'un autre site de cinq étangs à plusieurs kilomètres de la ville.

Ses principaux clients sont des Chinois et des restauratrices de Divo. « Les Chinois ont un réseau à Abidjan. Quand ils ont besoin de grenouilles, ils passent la commande et m'envoient une glacière. (...) Dans les petits restaurants, on peut vendre trois petites grenouilles à 2500 francs. Dans un "choucouya" de grenouilles vendu à 5000 francs, on peut avoir cinq grenouilles », affirme-t-il.

Signe extérieur de son aisance financière, la maison qu'il a construite pour se loger. Ainsi que les bâtiments en construction autour de son domicile, un ensemble composé de cinq « entrer-coucher » et d'un restaurant dédié à la vente de grenouille. Tout cela a été fait en moins de deux ans d'activité dans la raniculture.

« J'ai commencé à construire ma maison en octobre 2020 pour l'achever en décembre de la même année. J'ai un autre terrain à Divo, deux autres dans mon village et un à Man... », énumère-t-il les réalisations engendrées par l'élevage de grenouilles.

Cela s'est fait si vite que même son père n'y croyait pas au point de lui demander un jour s'il n'avait pas volé de l'argent. « C'est la grâce de Dieu. Les gens ont une seule chose en tête : passer les concours de la Fonction publique mais l'Etat ne peut embaucher tout le monde. Il faut soi-même faire un effort avant que l'Etat ne te vienne en aide ».

Derrière ce succès apparent, les choses n'ont pas été aussi aisées pour le jeune raniculteur, il a dû subir, entre autres, les quolibets et railleries de ses proches. Certains le trouvaient trop sale en le voyant passer ses journées dans les basfonds boueux en train de travailler.

« Quand ils me voient avec mes sachets de grenouilles, ils se moquent de moi. Certains m'appellent « Le fonctionnaire des Yacouba ». D'autres me lancent des piques en disant : " Tu as quitté ton village pour venir tuer grenouilles dans le village des gens". Mais aujourd'hui, ils me respectent. Et des fonctionnaires m'envient », témoigne Gnonsan Marcel.

A boire et à manger pour tout le monde

Pour l'élevage, les étangs peuvent être construits également loin des basfonds. Il y a des techniques pour que la grenouille se sente comme en brousse. Mais le souci est l'eau pour approvisionner ces étangs, car en raison de l'iode qu'elle contient, l'eau de robinet n'est pas appropriée. L'iode tue les grenouilles. Mais, rassure notre interlocuteur, avec une motopompe, on peut alimenter les étangs et y mettre des produits pour absorber l'iode.

La raniculture est rentable. Aussi face à une offre sans cesse grandissante, il a entamé une tournée à l'ouest de la Côte d'Ivoire pour inciter les populations à s'intéresser à la raniculture. Car il y a à boire et à manger pour tout le monde. Ses clients chinois souhaitent parfois qu'on leur livre une tonne de grenouilles mais il ne peut le faire. « C'est pourquoi, je fais des tournées de sensibilisations pour que d'autres personnes s'associent à moi afin qu'on produise plus. J'envisage créer d'autres étangs», fait-il savoir.

Selon lui, cette tournée est un succès puisque des milliers de personnes sont intéressées par l'activité. Avec son association Ivoire raniculture, il est à la recherche de moyens pour multiplier les champs écoles. Il en a construit des centaines pour l'heure. Le coût d'un champ école est estimé à 150.000 FCFA.

Pour un jeune qui veut se lancer dans ce projet, il lui conseille d'aimer d'abord cette activité. Ensuite, il doit savoir comment l'élevage se fait. Et avec un peu de moyens, il peut avoir son étang et des grenouilles dans l'eau pour les vendre dans trois mois.

Aussi lance-t-il cet appel : « A mes frères qui passent chaque année, sans succès, les concours de la Fonction publique, on peut gagner aisément sa vie hors des bureaux. Intéressez-vous aussi aux activités comme l'élevage de grenouilles, sinon vous risquez de vieillir dans la maison de vos parents, sans avoir de travail. Prenez votre destin en main ».

Et de rassurer que pour exercer l'activité, on n'a pas besoin de savoir lire et écrire. « Ivoire raniculture vous forme sur l'élevage. Nous finançons les étangs de nos membres. L'objectif est de les aider à se prendre en charge. Les inscriptions sont gratuites. Au moins 20.000 personnes ont été enregistrées. Tout l'ouest est mobilisé. Il y a un groupe à Daloa. Ce n'est plus une affaire de Yacouba. Des Baoulés et d'autres ethnies sont dedans », informe-t-il avec un brin d'humour.

En attendant que son projet de construire une usine de conserve de grenouille prenne forme, il s'investit dans le social en finançant la formation d'une dizaine de filles à Man dans divers métiers. L'objectif est de leur éviter le piège de la prostitution. Toute cela, grâce à l'argent issu de de la vente de grenouilles.

Bon à savoir

Stress. La grenouille stresse facilement. Au moindre bruit, hop ! Elle va s'abriter dans l'eau.

Cannibalisme. Les plus petites grenouilles servent, parfois, d'en-cas aux plus grosses... Raison pour laquelle, il faut éviter d'avoir des bassins surpeuplés. En outre, il faut veiller à séparer les petites des grandes.

Grande chanteuse. La femelle chante beaucoup pour attirer les mâles. En cas de pluie, les grenouilles coassent également. Mais quand l'eau devient trop abondante, elles arrêtent de chanter. Elles se mettent à chercher un trou pour se protéger des prédateurs.

Grenouille et crapaud, la différence. La peau de la grenouille est beaucoup plus lisse que celle du crapaud. La peau d'un crapaud sera quant à elle bosselée. Par ailleurs, les crapauds ont plus tendance à marcher qu'à sauter.

La peau de grenouille, un remède ? Selon notre interlocuteur, ses clients chinois lui demandent toujours de séparer la chair des grenouilles de leur peau. Ils emportent ensuite les deux produits dans des glacières différentes. L'un des clients lui a confié que la peau de la grenouille est un remède contre certaines maladies.

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