Climat des affaires, inflation, relations avec le gouvernement, réformes structurelles... Le patron des patrons camerounais analyse la situation économique du pays et de la sous-région.
Président depuis 2017 du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), la principale et la plus influente organisation patronale du Cameroun, Célestin Tawamba est un patron des patrons réputé pour son tempérament combatif. Cet ancien auditeur formé à l'université Paris-Dauphine et à HEC n'hésite pas à aller au clash avec le gouvernement quand il s'agit de défendre les intérêts du secteur privé.
Il préside aussi aux destinées de l'Union des patronats d'Afrique centrale (Unipace) depuis mai 2018. Entrepreneur multitâche, Célestin Tawamba, 56 ans, est le PDG fondateur de Cadyst Invest - groupe actif dans l'industrie pharmaceutique, la fabrication de pâtes alimentaires et la minoterie -, qui affiche un chiffre d'affaires de 100 milliards de F CFA (plus de 152 millions d'euros) et emploie 1 300 salariés.
Comment se porte l'économie camerounaise ?
Le Cameroun subit actuellement deux formes de pesanteur dues aux pressions inflationnistes, du fait notamment de la crise post-Covid et de l'accentuation des traditionnelles vulnérabilités nationales liée aux conséquences directes de la guerre en Ukraine.
Toutefois, en dépit d'un taux de croissance faible, bien en deçà des prévisions macroéconomiques, notre économie reste résiliente et leader de la sous-région d'Afrique centrale.
Le Gicam vient de publier ses propositions fiscales, prises en compte dans la loi de finances 2023. Cela est-il le signe que le patronat est mieux écouté par l'administration fiscale ?
Il faut reconnaître qu'il y a du mieux dans notre relation avec la DGI [Direction générale des impôts]. Cela se traduit en effet dans la prise en compte de certaines mesures en faveur des PME ainsi que de dispositions fiscales et douanières visant à encourager la transformation locale dans le but de promouvoir la politique d'import-substitution [stratégie qui consiste à abandonner l'importation de biens et denrées pouvant être produits localement]. Dans le même ordre d'idées, certaines dispositions relatives au contentieux fiscal ont été légèrement assouplies, et nous nous en félicitons.
Cela dit, bien que certaines dispositions de cette loi de finances aillent dans le bon sens, nous sommes loin du compte. En effet, nous militons toujours pour une réforme en profondeur de notre régime fiscal, dans le but de mettre sur pied une fiscalité de troisième génération, qui permette le développement, ainsi qu'une transformation économique et industrielle de notre pays.
Quelle appréciation faites-vous du dialogue entre le gouvernement et le secteur privé, en l'absence de la tenue du Cameroun Business Forum (CBF) ?
Cette concertation se tenait depuis onze ans, mais elle n'a pas permis d'améliorer la qualité du dialogue public-privé. Cette plateforme, ayant pour unique référence les indicateurs du classement « Doing Business » publié par la Banque mondiale, n'était pas suffisamment probante et, du reste, ne permettait pas de trouver des solutions à toutes les problématiques liées à notre environnement des affaires, comme le règlement de la dette intérieure.
Au demeurant, en onze années, notre classement « Doing Business » ne s'est pas significativement amélioré. Au contraire, il n'a fait que se détériorer, indiquant de ce fait l'inefficacité du CBF. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons proposé, depuis quelques années déjà, sa suppression et sa réforme. Nous avons effectivement besoin d'un nouveau cadre de dialogue avec le gouvernement, qui soit mieux structuré, prenant en compte les véritables problèmes du secteur privé pour un développement efficace de notre économie.
Mais le lien entre le Gicam et le gouvernement n'a jamais été rompu pour autant...
Non, le patronat est représenté auprès d'une cinquantaine d'instances décisionnelles du secteur public. Ce qui nous permet de faire entendre la voix du secteur privé, en particulier sur les questions portant sur le crédit, le droit social, les politiques commerciales, les questions d'investissement, de compétitivité, de concurrence, etc.
Quel bilan tirez-vous du dispositif d'aide aux entreprises pour amortir l'impact de la pandémie de Covid-19 ?
Tout en reconnaissant que le dispositif mis en place par le gouvernement a permis de limiter l'impact de cette pandémie sur le plan humain, on peut toutefois regretter que les mesures d'accompagnement instaurées pour soutenir les entreprises ont été insuffisantes. Nous n'avons eu de cesse de le relever au cours de plusieurs communications, et avions fait des propositions de mesures susceptibles d'avoir des effets plus significatifs.
Comment le secteur privé a-t-il vécu l'éclatement de la guerre russo-ukrainienne ?
Avec surprise et avec une réelle inquiétude. Surprise, parce que la perspective d'une guerre en Europe nous semblait surréaliste au regard de l'histoire et des enjeux pour le reste du monde. Inquiétude, parce que les conséquences sont naturellement dramatiques pour les pays africains, avec notamment cette inflation inédite et la rupture des chaînes d'approvisionnement.
Comment aider les entreprises à faire face aux chocs externes ?
Cette guerre a révélé la fragilité de notre économie, notamment son extraversion, ainsi que la problématique de la sécurité alimentaire. Nous devons tirer toutes les leçons de cette crise. Ainsi, nous devons repenser notre économie, en finir avec les incantations traditionnelles et les discours non suivis d'effets, en prenant concrètement des mesures qui permettraient de la transformer de façon structurelle.
Nous devrions en particulier faire de l'agriculture le moteur de croissance de notre économie. Il s'agit de produire ce que nous consommons et de consommer ce que nous produisons, de favoriser les circuits courts, et de mettre véritablement en place une stratégie de création de Champions nationaux.
Pour cela, il est indispensable de définir une véritable stratégie nationale en mettant à contribution le secteur privé, ainsi que toutes les composantes du secteur public concernées, à savoir la Planification, l'Économie, l'Énergie, le Transport, les Domaines et les Affaires foncières la Finance et le Commerce.
Dans quelle mesure la politique d'import-substitution mise en place depuis 2021 pour garantir l'autonomie du Cameroun dans certaines filières sensibles (ciblant en particulier le riz, le maïs, le poisson, le lait et le mil-sorgho) vous donne-t-elle satisfaction ?
S'il est indéniable que c'est une bonne perspective, il faudrait sortir des slogans et faire une réalité de cette politique d'import-substitution énoncée depuis plusieurs années déjà. D'autant que les conséquences de la guerre en Ukraine nous en rappellent la nécessité.
Comme je l'ai dit précédemment, certaines mesures de la loi de finances 2023 vont dans le bon sens. Cependant, il s'agit malheureusement de simples « mesurettes » fiscales permettant de faire du quick win (succès ou bénéfice rapide). Ce qu'il faudrait faire, en revanche, c'est une politique susceptible non seulement de permettre de rendre nos productions locales plus compétitives, mais aussi, pour qu'elle ne soit pas vouée à l'échec, il faut l'insérer dans une stratégie à vocation sous-régionale.
Le Cameroun devrait-il signer un nouvel accord avec le FMI après l'achèvement cette année du programme triennal en cours ?
Pourquoi?
Il revient au gouvernement de prendre la décision qui s'impose au regard des résultats obtenus après la signature des derniers programmes avec le FMI. Toutefois, nous avons besoin de disposer des principaux indicateurs de performance et d'évaluation de notre économie. On peut cependant reconnaître que les résultats de ces programmes restent mitigés, du moins considérés sous le prisme du secteur privé. L'on ne peut en effet pas indéfiniment être sous ajustement structurel, car le provisoire ne saurait s'installer définitivement dans notre environnement économique.
Le Gicam a fait une sortie inhabituelle, le 23 janvier dernier, à la suite de l'assassinat du journaliste Martinez Zogo. Quel impact redoutez-vous pour le Cameroun ?
En tant qu'organisation patronale, nous veillons, entre autres, à l'amélioration de l'environnement des affaires dans le but de favoriser l'accroissement d'investissements directs étrangers. À l'évidence, ce crime odieux remet en question la sécurité juridique et judiciaire de notre pays. Un tel crime, dans un environnement d'impunité, contribuerait à dégrader automatiquement la notation de notre pays aux yeux des potentiels investisseurs étrangers.
Le 17 mars, s'est tenu à Yaoundé un sommet de la Cemac [Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale], avec au menu de nombreuses réformes annoncées, en particulier sur la monnaie.
Le patronat d'Afrique centrale est-il associé à l'élaboration des programmes économiques régionaux ?
Dans une certaine mesure, nous sommes associés à l'élaboration de ces programmes. En effet, l'Unipace, dont j'ai l'honneur d'assurer la présidence, est membre du comité mis en place dans le cadre du Pref-Cemac. À ce titre, nous portons régulièrement à l'attention des décideurs les principaux problèmes auxquels font face les entreprises de la sous-région. Nous espérons être un peu plus impliqués que cela pour continuer d'appuyer, modestement, la structuration des programmes économiques régionaux.
Vous êtes depuis bientôt six ans à la tête du Gicam, quelles sont les perspectives pour l'organisation ?
À l'évidence, l'action patronale reste permanente. En l'occurrence, celle relative à la défense des intérêts des entreprises, des entrepreneurs, ainsi que l'amélioration du climat des affaires.
Aussi, au regard de l'impact des multiples crises, des nouveaux enjeux et des défis qui s'imposent dans notre environnement économique, le Gicam se doit de se réinventer, avec une exigence de rassemblement qui nous inscrit globalement dans une perspective visant la consolidation d'une une action patronale plus représentative, plus puissante et plus forte.