Ile Maurice: BoM - La colère de Harvesh Seegolam

«Enough is enough», a lancé la semaine dernière le gouverneur de la Banque de Maurice (BoM) aux banques commerciales et à des opérateurs du textile et du tourisme. Harvesh Seegolam les accusent directement de se livrer à un jeu malsain de spéculation de la roupie. Ce qui par ricochet contribue à faire grimper l'inflation en glissement annuel, celle-ci passant à 11 % le mois dernier.

L'énervement du patron de la BoM s'explique par le fait que par ces actes qualifiés d'antipatriotiques, ces détenteurs de devises sont en train de remettre en cause tout le combat auquel la banque centrale s'est livrée pour réduire les pressions inflationnistes, considérées à juste titre d'ailleurs comme une taxe sur les pauvres, cela par les hausses successives du taux directeur s'élevant à 143 % depuis le début de 2022. Pour cela, le gouverneur est visiblement déterminé à mettre fin à cette dépréciation jugée spéculative en brisant ce cercle vicieux. Car la logique économique veut que tout refus des opérateurs à mettre dans le circuit économique des devises en vue de faire glisser la valeur de la roupie entraîne inexorablement une explosion de l'inflation qui elle-même fait monter les prix de la consommation pour les Mauriciens moyens. Ce qui fait dire à Harvesh Seegolam que «la population n'a pas à subir les envies goulues d'argent facile de la part de certains».

Il reviendra aux uns et aux autres d'apprécier, voire d'analyser, cette mise en garde du gouverneur dans la conjoncture économique et sociale et du balancing act des banques centrales visant à assurer à la fois la stabilité des banques et le combat contre la hausse de l'inflation. À cet effet, Harvesh Seegolam arrive difficilement à comprendre comment à un moment où les entrées de devises ont déjà atteint la période prépandémique, soit USD 549 millions en janvier dernier (USD 557 millions pour la même période en 2019) et que la BoM est déjà intervenue à hauteur de USD 3,7 milliards sur le marché forex pour stabiliser la roupie, il existe des opérateurs et des banques commerciales qui spéculent toujours sur la dépréciation, s'étonnant qu'il existe une volatilité excessive autour du taux de change de la roupie vis-àvis du dollar.

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Certains économistes diront qu'à la base il y a la question de confiance dans la roupie qui a commencé à se manifester, avec des pressions d'ailleurs sur l'inflation, en 2020, quand la BoM a injecté Rs 80 milliards sur le marché à travers la Mauritius Investment Corporation (MIC) pour bail out des entreprises opérant dans l'hôtellerie et la manufacture et confrontées aux risques de fermeture et de licenciements massifs dans le sillage de la pandémie de Covid-19. Entendons bien. Encore que des critiques ont été émises à l'époque sur les conditions de prêts négociées qui ne donnent pas une grande marge de manoeuvre à la MIC pour intervenir si les bénéficiaires n'opèrent pas dans des paramètres fixés.

La BoM souligne aujourd'hui qu'elle a les moyens d'inverser cette dépréciation de la roupie par un processus inverse avec notamment un Special Reserve Fund (SRF) frôlant les Rs 9 milliards. Or, l'économiste Eric Ng a une tout autre lecture de la situation. Il constate qu'en n'intervenant pas sur le marché de changes pendant de longues semaines, la BoM a laissé la roupie dégringoler, le dollar passant de Rs 44 à Rs 47, ce qui a permis de renflouer son SRF. À la place du gouvernement, «ce sont donc les consommateurs qui ont recapitalisé artificiellement la BoM. Mais c'est en puisant dans ses réserves en devises, et non en utilisant les roupies du SRF, créées à partir de rien, que la BoM pourra défendre la monnaie locale».

De ce fait, l'économiste ne pense pas qu'on peut blâmer les détenteurs de devises de ne pas vendre leurs dollars ou euros quand la banque centrale n'a rien fait pour freiner la dégringolade de la roupie en toute connaissance de cause. «Il est tout à fait rationnel de garder ses devises en dépôts quand les taux d'intérêt sur le dollar sont plus élevés que sur la roupie, même sur une échéance d'un an. Lorsqu'on ajoute à cela la dépréciation de la roupie et le différentiel du taux d'inflation, on sort largement gagnant en épargnant en dollars.»

Eric Ng soutient qu'aujourd'hui, il incombe à la BoM de casser la perception que la roupie va continuer de se déprécier. Pour cela, il ne suffit pas, dit-il, de faire des pressions morales sur les opérateurs ou des injonctions verbales aux banques. «La banque centrale doit agir, sinon elle ne sera pas crédible. Tout est dans la politique monétaire.» L'économiste ajoute que si le gouverneur veut vraiment mettre au pas les «spéculateurs», la BoM n'a qu'à augmenter brutalement le taux d'intérêt, soit par 100 points de base. Ce serait, selon lui, un signal fort que la BoM veut vraiment faire apprécier la roupie et combattre l'inflation. «Or le comité de politique monétaire ne s'est pas réuni pendant trois mois alors qu'une réunion était prévue en mars. La BoM est peut-être la seule banque centrale au monde qui n'ait pas un calendrier de rate-setting meetings fixé à l'avance, ce qui ne fait qu'entretenir la spéculation quant aux intentions réelles de la BoM.»

À l'approche de l'échéance budgétaire, la BoM doit montrer qu'elle means business sur le front de l'inflation. Sinon, toutes les mesures sociales et fiscales que le ministre Padayachy sera appelé à proposer seront anéanties par l'échec de la politique monétaire. D'où l'urgence pour la BoM de multiplier son offensive sur ce terrain, assisté de son nouveau cadre de politique monétaire, pour ramener l'inflation à un seuil de 6 % cette année et à 5 % l'année prochaine. «À moyen terme, soit dans deux à cinq prochaines années, nous visons une inflation à niveau optimal pour Maurice, soit 3,5 %», insiste Harvesh Seegolam.

Entre-temps, la BoM compte utiliser le rendement attrayant de ses obligations qui devraient être émises le 3 avril comme un levier pour attirer ces dépôts bancaires. Actions ou sanctions, l'avenir nous dira si c'est un moyen de pression efficace contre ceux qui distordent le marché.

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