La mort d'un rappeur a provoqué un mouvement de contestation parmi les jeunes du Mozambique. Ils remettent en cause l'hégémonie du Frelimo au pouvoir depuis l'indépendance.
Au Mozambique, la mort d'un rappeur populaire, début mars, a fait descendre de nombreux jeunes dans la rue. Ceux-ci protestent contre les abus des dirigeants et du parti hégémonique qui gouverne, le Frelimo. Le pouvoir réprime avec violence ce vent de révolte inédit dans le pays.
Azagaia, des mots contre le pouvoir
Beaucoup de jeunes Mozambicains sont fans du rappeur Azagaia. Il est d'ailleurs aussi connu dans les autres pays lusophones d'Afrique. L'un de ses tubes s'intitule "Povo no poder", "le peuple au pouvoir".
En voici un extrait :
"Le coût de la vie augmente / Les revenus baissent / Il n'y a plus rien à faire pour sauver ce gouvernement / Ils n'ont qu'à venir avec leur gaz lacrymo / Nous protestons avec énergie / Ils ne peuvent pas nous arrêter / Le peuple au pouvoir / Le peuple au pouvoir ..."
Cette chanson a été composée en 2008, pour protester contre le coût de l'essence et de l'énergie. Elle est devenue un hymne des manifestants qui s'opposent au pouvoir.
L'étincelle
Le 9 mars dernier, le rappeur Azagaia est décédé d'une crise d'épilepsie. L'artiste contestataire avait 38 ans. Sa mort a suscité une vague d'émotion : des veillées funèbres et des cortèges ont été organisés dans les grandes villes du Mozambique en son honneur.
A Maputo, Beira, Quelimane et Nampula, les rassemblements organisés par des associations de jeunes ont été autorisés. Mais le 18 mars, des violences ont éclaté entre les personnes qui défilaient et les forces de l'ordre.
D'un côté, des slogans hostiles au gouvernement et à la police, de l'autre des gaz lacrymogènes. Quelques jours auparavant, des heurts s'étaient déjà produits quand les marcheurs ont tenté de passer avec le cercueil de leur idole devant la résidence du président.
Le parti de la non-violence
Fernando Tsucana, porte-parole de la police, a accusé les organisateurs d'avoir "un agenda politique caché" et d'avoir "fait en sorte que la situation s'envenime. Alors ils ont détourné le cortège funèbre de l'itinéraire initialement prévu. La police a donc dû prendre les mesures nécessaires."
Des accusations que les organisateurs de la marche rejettent. Leur porte-parole, Cídia Chitsungo, est claire : "aucun jeune, aucun citoyen n'a fait usage de la violence. S'il existe des vidéos ou d'autres enregistrements qui prouvent le contraire, qu'on nous les montre. Nous nous réclamons depuis le début de la non-violence."
Pas question pour les organisateurs de renoncer aux marches pacifiques, que celles-ci soient autorisées ou non.
Un mouvement jamais vu
Désormais, le mouvement dépasse l'hommage au rappeur décédé. Il cristallise les insatisfactions d'une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans le Frelimo, l'un des rares partis du continent à avoir réussi à se maintenir au pouvoir depuis l'indépendance du Mozambique, en 1975.
Fidel Terenciano, sociologue, explique que l'enjeu pour les manifestants, ce sont maintenant les différentes élections qui auront lieu à partir d'octobre.
"Cette mobilisation en faveur de la liberté politique est irréversible, analyse-t-il. "Aujourd'hui, des jeunes disent clairement qu'ils veulent renverser le Frelimo aux prochaines élections municipales. Si le Frelimo perd les élections, il perdra aussi les législatives de l'an prochain."
Ce cycle électoral doit se terminer avec la présidentielle au Mozambique, en 2024. Si les protestations ne bousculent pas le calendrier politique d'ici-là.
Car désormais les jeunes manifestent leur mécontentement d'une ampleur inédite dans le pays. Fidel Terenciano parle d'un "phénomène complètement nouveau" : " On n'avait jamais vu cela depuis l'indépendance: des jeunes qui mettent le feu en public, sans avoir peur, à des cartes de membre du Frelimo, à des t-shirts du Frelimo ou à d'autres symboles du parti. On n'avait jamais vu ça."