Sénégal: Lac Rose - Face aux périls, les acteurs locaux se mobilisent

Lac Rose

Tivaouane Peulh-Niague — Les associations membres d'un syndicat d'initiative et les autorités territoriales ont décidé d'unir leurs moyens pour permettre au lac Rose de retrouver son attrait touristique et environnemental de cette étendue d'eau salée dont l'équilibre de l'écosystème est durablement menacé.

Situé au Nord-Est du village de Niague, dans la commune de Tivaouane Peulh-Niague, dans l'arrondissement de Sangalkam (département de Rufisque), à environ 30 km de Dakar, le lac Rose ou lac Retba, est un point d'eau central pour le développement touristique et économique de la zone et du pays.

Il joue des fonctions environnementales et économiques importantes pour les populations riveraines et celles de Dakar en général, notamment avec la production de sel et le développement d'activités touristiques.

Cependant depuis l'hivernage 2022, des milliers d'emplois et d'activités socio-économiques du lac Rose sont perdus à cause de multiples agressions anthropiques et environnementales sur cet écosystème marin.

En l'absence de solutions depuis huit mois pour la relance de leurs activités économiques, les acteurs locaux ont décidé de porter le combat de sauvegarde de l'écosystème du lac Rose.

Sur la partie Ouest entre le lac Rose ou lac Retba, on entend de loin des bruits de moteurs d'un dispositif de pompage installé sur une zone basse, sur un endroit éloigné des habitations, à proximité d'une zone de maraichage parsemée de cocotiers et de filaos.

A l'extrémité d'une descente, sur la rive du lac Rose se trouve ce dispositif de pompage composé de quatre motopompes dont deux fonctionnent avec des raccordements sur des tuyaux souples de grands diamètres et de longueurs estimées à 300 voire 400 mètres.

Ces tuyaux s'étirent sur des centaines de mètres vers les dunes de sable et arbres de filaos situés en hauteur par rapport au lac Rose.

Sous un soleil de plomb, casquette sur la tête, Maguette Ndiour, président de la Coopérative des exploitants de sel du lac Rose, supervise seul le dispositif de pompage.

"Ce dispositif de pompage est mis en place par les associations membres du Syndicat d'initiative et de tourisme du lac Rose, dont la mienne, dans le but de permettre au lac Retba de retrouver son éclat rose en évacuant vers les dunes de sables en hauteur, l'excédent d'eau pluviale reçu de l'hivernage passé"', explique M. Ndiour.

"L'objectif, poursuit-il, c'est de baisser le niveau des eaux du lac, de permettre au lac de retrouver son plan d'eau, son écosystème naturel, de retrouver sa coloration rose, synonyme d'une forte contraction de sel grâce à des mécanismes de reconstitution naturels".

"Donc, si avec ce dispositif de pompage, nous parvenons à un retour de l'écosystème naturel du lac Rose, en baissant le niveau du plan d'eau, cela va relancer toutes les activités socio-économiques autour du lac, en grande difficulté depuis l'arrivée d'une forte quantité d'eaux pluviales durant l'hivernage 2022", a-t-il ajouté.

En effet, durant le mois d'août 2022, une pluviométrie de 800 mm a été enregistrée en quelques heures dans des régions comme Dakar. Un niveau jamais atteint depuis 1967.

Ces pluies diluviennes sont à l'origine d'inondations dans plusieurs quartiers de Dakar et sa banlieue, obligeant l'Etat a déclenché le Plan national d'organisation des secours (ORSEC).

Au plan national ce plan a permis de libérer des eaux à la date du 31 décembre 2022, un total de 443 sites et d'évacuer dix-huit millions cinq cent dix mille cent deux (18 510 102) mètres cubes d'eau, a déclaré le 9 mars dernier, le ministre de l'Intérieur Antoine Félix Diome, lors d'un atelier d'évaluation de deux jours, du plan ORSEC 2022.

Dans la région de Dakar, l'évacuation et le ruissellement des eaux pluviales ont causé une montée soudaine des eaux du lac Rose provoquant ainsi la disparition de la coloration rose de ce point d'eau, principal attrait touristique de cette zone, située dans le département de Rufisque, polarisée par les communes de Bambilor et Tivaouane Peulh-Niague.

La montée des eaux du lac a également causé des inondations sur une partie des cantines du village artisanal du lac Rose et des restaurants. Elle a aussi perturbé lourdement des milliers d'activités, d'emplois directs et indirects liés au tourisme, à l'exploitation artisanale du sel, ou encore à l'artisanat.

En grande difficulté dans leurs activités depuis août 2022, les exploitants d'hôtels et de sel, les artisans, les guides touristiques, les acteurs locaux ont décidé d'unir leurs forces dans le cadre du Syndicat local d'initiative et du tourisme pour engager le combat pour redonner au lac Retba, sa coloration rose symbole d' une forte concentration de sel, de sauvegarder son écosystème pour la relance des activités socio-économiques locales.

"Dans le cadre de la relance de nos activités, les populations locales autour du Syndicat d'initiative et du tourisme, ont pris leur destin en main, en adoptant la solution d'urgence de faire baisser le niveau d'eau du lac avant le prochain hivernage attendu au plus tard dans trois ou quatre mois", a indiqué le président de la coopérative des exploitants de sel du lac Rose.

"Pour cela, a-t-il souligné, nous avons sollicité aux mairies de Bambilor et Tivaouane Peulh-Niague, limitrophes au lac Rose, un appui en motopompes et de tuyaux souples".

"Après acquisition du dispositif de pompage, les membres des associations du Syndicat ont cotisé entre eux pour mobiliser une somme destinée à l'achat du carburant", a-t-il ajouté, soulignant que depuis le 25 février dernier, le Syndicat a lancé pour une durée d'un mois les opérations de pompage, destinées à faire baisser le niveau du plan d'eau du lac Rose".

"Nous dépensons avec nos maigres moyens en moyenne 60.000 francs CFA par jour pour le fonctionnement des moteurs, sans compter les frais supplémentaires de maintenance et autres activités", a-t-il indiqué.

"Aujourd'hui, cela fait plus d'une vingtaine de jours qu'on a commencé le pompage. On constate au même titre que les populations, que le niveau du plan d'eau est entrain de baisser nettement", s'est-il réjoui laissant apparaitre sur son visage une lueur d'espoir et de soulagement sur la suite des opérations.

Selon lui, "ce travail devrait être fait par l'Etat" qu'il accuse d'être "seul responsable de la dégradation de l'écosystème du lac Rose".

"En voulant se débarrasser de l'excès d'eaux pluviales dans la banlieue dakaroise, l'Etat a créé en ouvrant un canal de délestage ou brèche vers le lac Rose, des problèmes environnementaux et détruit les activités socio-économiques phares de cette zone", a-t-il déclaré.

Selon lui "on ne peut pas résoudre des problèmes ailleurs et en créer d'autres, nous sommes tous des sénégalais, donc l'Etat doit trouver les meilleures solutions adaptées pour tout le monde".

Il a estimé qu'au moment où on parle de Plan Sénégal émergent, "on détruit des emplois et des activités socio-économiques autour du lac Rose".

"Les populations du lac Rose, a-t-il dénoncé, sont actuellement très fatiguées. Elles sont restées aujourd'hui huit mois sans correctement travailler".

M. Ndiour appelle l'Etat à se joindre à cette solution locale de pompage avec de gros moyens pour accélérer la baisse du niveau des eaux du lac et permettre aux populations locales de reprendre correctement leurs activités économiques.

Informé de cette initiative locale de pompage de l'excédent d'eau du plan d'eau du lac Rose qui est en train de faire ses preuves, selon ses initiateurs, le maire de la commune de Tivaouane Peulh-Niague (Sangalkam) Momar Sokhna Diop, s'est déplacé avec son équipe sur le site de pompage pour vérifier l'efficacité des actions du Syndicat d'initiative et du tourisme.

Il a été reçu et accompagné par l'ensemble des responsables d'associations membres du Syndicat ayant à sa tête, Amadou Bocoum Diouf.

Le maire s'est rendu d'abord au bord du lac Rose, sur le site de pompage, ensuite sur l'exutoire des eaux situé par rapport au lac à 400 mètres en hauteur dans les dunes de sable fixées par des filaos.

Au terme de sa visite, M. Diop, s'est dit "émerveillé et convaincu" de l'efficacité du dispositif de pompage.

"Je suis agréablement surpris de voir que l'objectif de faire baisser le niveau des eaux du lac Rose est en train de se réaliser, et qu'au niveau de l'exutoire, il n'y a aucune incidence sur l'environnement", a-t-il confié à l'APS entouré des membres de sa délégation et du Syndicat d'initiative.

"Pour ces raisons, j'ai pris l'initiative de me joindre à cette solution, de mettre en place un dispositif de pompage électrique dans les prochains jours. Mais en attendant dans le court terme la mairie de Tivaouane Peulh-Niague, va prendre intégralement les charges liées à l'achat du carburant destiné au fonctionnement des motopompes", a-t-il déclaré, déclenchant applaudissements et remerciements des responsables du Syndicat.

"Dans les meilleurs délais, a-t-il poursuivi, je vais voir comment saisir les autorités étatiques centrales pour les sensibiliser de l'efficacité de votre solution, à appuyer cette solution avec de gros moyens comme les motopompes électriques dotées d'une grande capacité".

Il admet que depuis huit mois les services de l'Etat ont eu des séances de travail pour trouver des solutions de relance des activités socio-économiques autour du lac.

"Malheureusement jusqu'à ce jour, a-t-il reconnu, nous n'avons pas décliné un dispositif de solutions meilleur que celui du Syndicat d'initiative et du tourisme local".

"Ça il faut l'avouer !", s'est-il exclamé, soulignant que ce dispositif est "innovant" dans le sens où l'Etat n'a jamais pu penser qu'une telle stratégie pourrait baisser le niveau du lac sans créer des dégâts environnementaux.

"Vous y avez cru, vous l'avez fait, et c'est en train de marcher, le niveau de l'eau est en train de baisser", s'est-t-il réjoui, assurant que la mairie de Tivaouane Peulh-Niague, va accompagner ce dispositif de pompage jusqu'à l'atteinte des objectifs fixés.

Selon lui, "à défaut de trouver des solutions pérennes pour retrouver l'écosystème du lac en rabaissant le niveau d'eau du lac, cette solution transitoire de pompage à succès sera maintenue, personne ne peut aller à son encontre".

Il a estimé que l'enjeu de ces initiatives, "c'est le redémarrage des activités socio-économiques" autour du lac Rose.

Saluant la détermination des membres du Syndicat pour sauver le lac Rose, il a souligné, que la commune de Tivaouane Peulh-Niague a besoin aussi de sauver ces activités de tourisme et d'entreprisses locales pour disposer de revenus et de taxes.

Momar Sokhna Diop a invité les membres du Syndicat à communiquer sur cette initiative de pompage auprès des autorités et des partenaires au développement.

Nourrissant l'espoir d'atteindre leurs objectifs de relance des activités de socio-économiques du lac Rose, les membres du Syndicat déclarent qu'ils sont plus que jamais mobilisés pour sauvegarder l'écosystème du lac Rose.

"Nous avons décidé de nous battre pour que le lac Rose redevienne rose, ne soit pas utiliser à nouveau par l'Etat comme un déversoir d'eaux pluviales, comme un bassin de rétention. Nous allons nous battre avec les moyens du bord pour sauvegarder le lac", a insisté Maguette Ndiour, président de la coopérative des exploitants de sel du lac Rose, une des associations membres du Syndicat.

"L'hivernage approche, le Syndicat d'initiative de son côté a pu trouver une solution de relance des activités socioéconomiques du lac Rose. Alors que pendant ce temps, nous constatons que l'Etat n'a entrepris aucun aménagement pour fermer la brèche de délestage ouverte par l'Etat durant l'hivernage pour drainer des eaux pluviales de Dakar vers le lac Rose", a-t-il alerté.

" En plus de ça, a-t-il dénoncé, l'Etat à ce jour n'a entrepris aucun aménagement de bassins de rétention destinés à servir de réceptacle aux eaux pluviales de Dakar et sa banlieue au cours du prochain hivernage".

Donc, en l'absence d'initiatives de l'Etat dans ce sens, "nous allons fermer avec des moyens du bord ce canal ou brèche de délestage, pour empêcher que le lac Rose ne soit à nouveau utiliser comme le bassin de rétention du surplus d'eaux pluviales de Dakar", a assuré M. Ndiour.

Le président du Syndicat d'initiative et du tourisme du lac Rose, Amadou Bocoum Diouf, a appelé l'Etat à appuyer les initiatives locales de relance des activités socioéconomiques avec des projets structurants.

"On a besoin de la puissance de l'Etat pour réaliser des bassins de rétention où les eaux pluviales du prochain hivernage seront drainées", a-t-il plaidé.

"Nous ne voulons plus que le surplus d'eaux pluviales de Dakar soit déversé dans le lac Rose. Que l'Etat prenne ses responsabilités en créant des bassins de rétention", a ajouté M. Diouf.

Aucun plan directeur d'assainissement à Sangalkam

Le Syndicat a décidé également dans le cadre du retour de la coloration rose du lac Retba, et de la sauvegarde de l'écosystème, d'engager une bataille ferme contre la pollution des eaux du lac causée par les multiples raccordements d'eaux usées.

Selon un rapport élaboré pour la sauvegarde et la gestion du lac Rose, mené entre 2022-2023 par des environnementalistes, sous la conduite du Centre de suivi écologique (CSE) de Dakar, la montée et la pollution des eaux du lac Rose sont accentuées par l'évacuation d'eaux usées venant de maisons environnantes et d'un dispositif hôtelier local dépourvu de système d'assainissement.

Ces facteurs, indique le rapport, ont également sérieusement perturbé l'écosystème du lac en détruisant des algues et micro-organismes responsables de la coloration rose du lac Retba sous l'effet des rayons du soleil.

Tivaouane Peulh-Niague, une des communes de l'arrondissement de Sangalkam (Rufisque) où se situe le lac Rose, compte environ 125.000 habitants, une urbanisation galopante parfois au détriment d'un système d'assainissement", a indiqué son maire Momar Sokhna Diop.

"Dans l'arrondissement de Sangalkam, il n'existe pas de plan directeur d'assainissement. On entend parler de l'Office national de l'assainissement du Sénégal (ONAS) ailleurs mais pas ici", a-t-il avoué.

" Et tant qu'il n'y pas un plan directeur d'assainissement, il ne peut pas y avoir de connexion des systèmes d'évacuations d'eaux usées venant des maisons et des hôtels", a-t-il encore souligné.

Il a indiqué que dans le cadre de la préservation du lac Rose contre la pollution marine un plan directeur d'assainissement de l'arrondissement de Sangalkam est en cours d'élaboration

Dans cette perspective, nous appelons les habitants à une collaborer avec les mairies de l'arrondissement, en acceptant de laisser des emprises pour l'installation future dans cette zone d'un réseau d'assainissement, a-t-il lancé.

Momar Sokhna Diop a également indiqué que les populations locales ont décidé de lutter contre cette pollution du lac Rose en se mobilisant contre les nouveaux aménagements de parcelles qui ne respectent pas l'environnement.

"Du côté des autorités étatiques, le gouverneur de la région Dakar, Al Hassan Sall, a donné récemment des instructions fermes contre tout raccordement d'eaux usées ou chargées venant de nouvelles zones en cours d'aménagement vers le lac Rose", a assuré M. Diop.

Dans l'attente d'une relance effective des activités socio-économiques phares du lac Rose comme l'exploitation artisanale du sel, le tourisme ou encore l'artisanat autour du lac Rose grâce à ces solutions préconisées par le Syndicat d'initiative et la mairie de Tivaouane Peulh-Niague, des milliers de travailleurs continuent de souffrir des conséquences de la montée des eaux du lac, d'autres sont partis ailleurs.

Parmi les activités économiques lourdement impactées par la montée des eaux du lac il y a sans doute l'exploitation artisanale du sel.

Elle était dépendante de couleur rose du lac Retba, le symbole d'une forte concentration de sel faisant du lac une zone propice à l'exploitation artisanale du sel pendant plusieurs décennies.

"Malheureusement depuis le 21 août dernier en plein saison des pluies, toutes les activités liées à l'exploitation artisanale du sel, ont cessé avec l'arrivée d'une importante quantité d'eaux pluviales drainées depuis les quartiers inondés de Dakar vers le lac Rose, à travers un canal de délestage ouvert dans le cadre du plan ORSEC 2022", a indiqué Maguette Ndour, président de la Coopérative des exploitants de sel du lac Rose.

3000 travailleurs de la filière sel locale sans travail du jour au lendemain

"En quelques heures, a-t-il souligné, l'étendue du lac et la profondeur du lac Rose ont pratiquement doublé. D'une profondeur qui était en d'une moyenne de 1,5 mètre, elle est passée à 6 mètres, empêchant ainsi aux exploitants d'atteindre le fond du lac à pied pour ramasser les dépôts de sel".

"Ainsi, a-t-il déploré, 3000 travailleurs directs de la filière sel du lac Rose, se sont retrouvés au chômage, en cessation totale d'activités. Des milliers de personnes et de familles dépendant indirectement de cette filière sont touchées par cette situation catastrophique causée par la montée des eaux du lac".

À tête de la coopérative des exploitants de sel du lac Rose depuis 2012, il a rappelé, le "dynamisme" de ce secteur qui produisait par extraction du fond du lac en moyenne par an 60.000 tonnes de sel.

"Les quantités collectées sont mises dans des sacs de 25 kilogrammes pour approvisionner les marchés nationales et sous régionales, entre 15.000 et 30.000 francs CFA, soit à un chiffre d'affaires de plusieurs milliards de francs CFA", a encore souligné M. Ndiour.

"Khar Yallah" (attendre Dieu en wolof), un des plus grands sites d'exploitation artisanale du lac Rose situé sur la partie Sud du lac Rose est pratiquement abandonné, ne tourne plus, ne reçoit plus d'exploitant de sel en activité depuis le mois d'août 2022.

Jadis grouillant d'activités, d'animations et de monde, "Khar Yallah", est devenu silencieux dans un décor diffèrent de celui qu'il avait durant plusieurs décennies.

Sur le site, des bancs publics et des tentes de fortunes en pailles érigés par les exploitants de sel pour s'asseoir ou se mettre à l'abri des rayons du soleil sont vides d'occupants.

Il n'y a aucun sac de sel iodé nouvellement emballé pour le marché. On aperçoit un tas de sel de 1,5 à 2 mètres de hauteur visiblement abandonné à l'air libre par son propriétaire.

Au bord de la rive du lac, toutes les pirogues des exploitants et travailleurs sont soigneusement rangées par leurs propriétaires dans l'espoir d'une reprise de leurs activités.

La rive du lac Rose reflète à merveille, le niveau élevé de pollution de ce point d'eau avec la présence de tas d'ordures, de sachets plastiques, d'une forte odeur d'eaux usées dans l'atmosphère et de plantes aquatiques mortes à la surface de l'eau.

A "Khar Yallah", tout est à l'arrêt, plus de camions de transport, plus d'ombre d'un travailleur en activité sur place.

Des anciens travailleurs nostalgiques des belles années où l'extraction artisanale du sel faisait vivre des milliers de personnes et de familles continuent de fréquenter cet endroit.

Parmi eux, Khassim Ndiaye, devenu un guide touristique au lac Rose. Il dit garder encore de bons souvenirs de sa vie sur ce site d'exploitation artisanale, "Khar Yalla".

Agé d'une soixantaine d'années, il est assis seul, sur une pirogue au bord du lac pour bénéficier de la fraicheur de l'air.

Originaire de Bambilor, une commune située à 5 kilomètres du lac Rose, il a déclaré avoir travaillé depuis sa tendre jeunesse au lac Rose, où il a passé 33 ans de sa vie par amour pour cet écosystème marin.

"Ici, a-t-il raconté, il y avait des milliers travailleurs venus du Sénégal et de pays de la sous-région comme le Mali, la Côte d'Ivoire, la Guinée et plusieurs familles qui vivaient d'activités rentables liées à l'exploitation artisanale du sel".

"Les hommes, a-t-il poursuivi, allaient ramasser et ramener à terre avec des pirogues le sel du fond du lac. Une pirogue remplie de sel faisait une tonne, soit 40 bassines de 25 kilos".

"Les femmes et des manoeuvres s'occupaient du déchargement puis du traitement et de la mise en sac du sel", a-t-il encore raconté à partir de ses souvenirs.

"Tout autour du site, a-t-il rappelé, plusieurs activités commerciales comme le petit commerce, la restauration, le transport se sont développées. Tous les jours, tu pouvais y gagner de l'argent pour assurer la dépense quotidienne de ton foyer familial".

Malheureusement toutes ces activités sont à l'arrêt, depuis l'arrivée massive d'eaux pluviales sur le lac Rose à travers ce canal de délestage qui passe juste derrière le siège de la commission de gestion et d'exploitation du sel du lac Rose, a regretté M. Ndiaye.

Ce canal ou brèche de délestage, tel un canyon d'une profondeur de huit mètres et une largeur de 10 à 15 mètres, a été formaté par la puissance des eaux pluviales déversées dans le lac rose.

Des eaux usées venant des maisons environnantes dont les systèmes d'évacuation clandestins sont raccordés à cette voie d'évacuation d'eaux pluviales continuent de ruisseler vers le lac Rose.

En dehors de l'exploitation artisanale du sel, l'autre activité économique phare de la zone impactée par la disparition de la couleur rose du lac Retba reste sans doute le tourisme.

De 200 à 300 touristes par jour en moyenne à 30 touristes

Le président du Syndicat d'initiative et de tourisme du lac Rose, Amadou Bocoum Diouf, a rappelé qu'après l'ile de Gorée, le deuxième site touristique le plus visité du Sénégal était jusqu'en 2022, le lac Rose.

"Durant les grandes vacances, le lac Rose est très visité aussi bien par les nationaux que par les touristes venant de l'extérieur avec une moyenne de 200 à 300 touristes par jour ", souligne M. Diouf par ailleurs directeur de l'hôtel Chez Sélim.

Il a expliqué que les touristes étaient attirés au lac Retba, par la couleur rose où ils effectuaient quotidiennement des ballades par pirogues et des baignades. Ils étaient aussi attirés par les techniques artisanales d'extraction du sel utilisées par les exploitants locaux.

"Malheureusement, le secteur a été lourdement impacté par la perte de la coloration rose du lac Retba, et l'arrêt total de l'extraction artisanale du sel, deux attractions touristiques majeures de la zone perdues depuis la montée des eaux du lac Rose", a-t-déploré.

"Cette situation, selon lui, a poussé beaucoup de touristes à annuler dans plusieurs hôtels et campements du lac Rose, leurs réservations".

Il a indiqué que dans son hôtel à pareille époque l'année dernière on était à 40 voire 50% de taux d'occupation actuellement on est presque à 5% de taux d'occupation.

"Et d'une moyenne de 200 à 300 touristes par jour au lac Rose, on se retrouve à 30 touristes par jour. Vous voyez donc la différence !", s'exclame-t-il.

Traversant une situation difficile les gérants d'hôtels misent désormais dans l'organisation de séminaires, sur la clientèle locale le temps d'un week-end mais aussi sur la réduction du personnel non essentiel, a-t-il expliqué.

M. Diouf a avoué que la crainte majeure des opérateurs touristiques locaux, depuis la perte de la couleur rose du lac Retba, la pollution de ses eaux et la disparition de l'extraction artisanale du sel, c'est de perdre l'attrait touristique du lac Rose.

"Des gens ont beaucoup investi dans le tourisme local qui marchait très bien depuis l'arrivée du rallye Paris-Dakar, un événement sportif qui a fortement médiatisé à l'extérieur du Sénégal la destination, lac Rose", a encore soutenu M. Diouf.

Rencontrée au village artisanal du lac Rose, Jocelyne Fecteau, une touriste venue de la ville du Québec au Canada, a souligné qu'elle séjourne pour la, deuxième fois au Sénégal.

"Je suis venue au Sénégal pour visiter le lac Rose, mais il n'est plus rose. Je suis vraiment déçue", a expliqué Mme Fecteau, soulignant qu'elle passe ses loisirs en lieu et place dans l'apprentissage de cours de danses africaines, et de tams-tams appelés "Djembé-Djembé".

Accompagnée d'une concitoyenne du nom de Sylvie Qrubel, cette dernière, s'est dite également "déçue" de ne pas voir la couleur rose du lac Rose.

"On aimerait comprendre pourquoi il n'est plus rose. Si je suis ici au Sénégal, c'est vraiment pour visiter le lac rose. Le Sénégal risque de perdre des touristes avec la perte de la couleur rose du lac Retba", a ajouté Mme Qrubel avant de regagner son hôtel situé à proximité du village artisanal du lac Rose.

Baisse généralisée des recettes journalières

Implanté près du lac Rose entre l'hôtel lac Rose et l'hôtel Cristaux Roses, le village artisanal du lac Rose, ne grouille pas de monde. Les visiteurs touristes, les acheteurs, se font rares au niveau du village artisanal où les activités tournent au ralenti dans le calme.

Assis par groupes ou individuellement devant leurs cantines, les commerçants d'objets d'arts scrutent, sous en temps ensoleillé l'arrivée de potentiels clients pour écouler leurs marchandises.

L'humidité encore visible du sol du village artisanal, de la devanture de certaines cantines proches du lac Rose illustre bien d'une présence récente d'eaux sur cette partie.

"L'humidité du sol est causée par la montée au mois d'août dernier du niveau du plan d'eau du lac Rose. Cette montée des eaux a entrainé d'importantes inondations dans le village artisanal", a expliqué Mor Guèye, président des artisans du lac Rose, une des associations membre du Syndicat d'initiative et de tourisme.

"Les eaux ont occupé plusieurs cantines et sont arrivées jusqu'au parking du village où nous sommes", a-t-il poursuivi, soulignant qu'actuellement encore, il y a "une quinzaine de cantines du village artisanal qui sont encore occupées par des eaux".

"D'autres cantines sont libérées des eaux grâce aux moyens de bord dégagés par l'association des artisans, parfois par les propriétaires eux-mêmes, pour remblayer avec du sable et des pierres".

Le village artisanal du lac Rose, compte plus de 70 cantines et près 500 commerçants d'objets d'arts.

Fortement dépendant du secteur du tourisme, l'artisanat local également, n'a pas été épargné par les cascades d'annulations de réservations touristiques, par la baisse des touristes visiteurs du lac Rose depuis la disparition de la couleur rose du lac Retba.

"Le village artisanal avait profité par le passé des retombées du tourisme mais les activités de commerce ne tournent pas cette saison touristique, c'est la pire des saisons", a-t-il reconnu.

Il a souligné qu'avant cette saison touristique, un artisan commerçant pouvait gagner par jour entre 100.000 et 200.000 francs CFA mais cette année on peine même à avoir 10.000 francs CFA de recettes par jour.

Travaillant au village artisanal du lac Rose depuis plus de 25 ans, Mor Guèye a estimé, que la baisse de leurs recettes est la preuve qu'il n'y a pas assez de touristes au lac Rose cette année.

"Le commerce d'objets d'arts est vraiment en crise ici au point même que des artisans ont abandonné leurs cantines pour se lancer dans d'autres métiers ailleurs", a-t-il ajouté.

Marié et père de quatre enfants, il a appelé l'Etat à aider les artisans du lac Rose dans ces moments difficiles.

Originaire du village de Niague, Ndèye Thiam, une des rares femmes vendeuses d'objets d'arts au village artisanal du lac Rose, est une des victimes des inondations qui ont frappé le village artisanal l'hivernage passé.

"Ma cantine est occupée par des eaux depuis le débordement du plan d'eau du lac Rose, c'est-à-dire, le 5 septembre 2022, et jusqu'à présent les eaux sont sur place", a-t-elle souligné, avouant toute son impuissance à libérer sa cantine des eaux.

"Je n'ai pas les moyens de faire partir les eaux. Beaucoup de commerçants se trouvent dans la même situation que moi. Cette cantine où je continue de travailler m'a été prêtée par un proche. Je ne peux rien faire d'autre, à part ce travail que je fais depuis 2003 en dépit de la situation actuelle difficile du secteur", a-t-elle avoué.

"Ici tu peux rester une semaine tu ne vends rien, tu es obligée de t'endetter parfois pour prendre en charge la scolarité de tes enfants et régler d'autres besoins", a-t-elle soutenu.

Mme Thiam a indiqué que ses bénéfices sont passées en moyenne de 50.000 francs CFA par jour à 5.000 francs CFA par jour au cours de cette saison touristique".

Les touristes abandonnent les ballades sur le lac "Rose" pour d'autres loisirs

En attendant que le lac retrouve sa couleur rose, son attrait touristique, que les solutions du Syndicat d'initiative puissent relancer les activités socioéconomiques, quelques touristes vacanciers, se sont détournés des ballades par pirogues, et des baignades sur le lac Rose vers d'autres loisirs et activités organisés autour du lac.

Mame Diarra Samba, une métisse franco-sénégalaise dit qu'elle est en visite au lac Rose parce que c'est un lieu culte du Sénégal.

Assise dans un restaurant de la place en compagnie d'une amie et concitoyenne elle ajoute : "J'ai déjà vu le lac étant rose maintenant à défaut de revoir cette couleur, je profite des restaurants, des balades à cheval ou à chameau sur les dunes de sable pour se divertir".

"Il y a tout autour du lac Rose des activités de loisirs pour compenser la perte de la couleur rose du lac", a ajouté Mme Samba, admettant que cette année, il y a moins de touristes au lac Rose comparé à sa première visite.

Sa concitoyenne et amie, Inès Ribot, a dit qu'elle est en vacances au Sénégal pour la première fois.

" Pour une première, a-t-elle dit, j'ai été un peu déçue de ne pas voir la couleur rose du lac mais on a fait d'autres activités de loisirs avec Mame Diarra pour combler".

"J'aimerais bien revenir et le voir rose la prochaine fois et moins pollué. C'est dommage pour cette fois-ci !", s'exclame-t-elle.

Analyse Topographique du lac Rose (Centre de suivi écologique)

Bassin-versant : 180 km2

Surface drainée : 167 km2

Zone inondable : 37,4 km2 soit environ 22% du bassin-versant du lac Rose

Projection de la zone inondée en cas de pluie exceptionnelle (référence pluies du 5 août 2022 sur la partie 2022 sur la partie Ouest de Dakar) : couvre 25 km2 soit environ 15% du bassin-versant du lac Rose

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