Maurice a choisi la voie radicale : interdiction, ni plus ni moins, du vape et cigarettes électroniques. Cette interdiction entrera en vigueur le 31 mai. Or, le National Health Service (NHS), le service de santé publique britannique, recommande fortement le vapotage pour arrêter de fumer. Et si c'était justement cela le problème ? Avec près d'un Mauricien sur dix qui fume, la cigarette est une véritable manne pour les caisses de l'État. Ce n'est pas qu'une perception, les chiffres officiels le confirment.
En 2021, les importateurs ont déboursé Rs 2,3 milliards (coût, assurance, fret - source Statistics Mauritius) pour faire débarquer leurs cigarettes. Pour vous donner une idée relative de ce que cela représente sur le marché, les importations de blé pour l'année totalisaient durant la même année Rs 2,2 milliards, et celles du riz, à peine Rs 1,9 milliard. Et vous n'avez encore rien vu. La taxe collectée sur la vente de cigarettes en 2021 s'élève à (tenez-vous bien)... Rs 5,8 milliards. Plus du double du coût total de l'importation. La cigarette est donc une véritable machine à sous avec une pay-out guarantee pour le gouvernement. Chaque roupie investie par les importateurs en rapporte plus de deux à l'État. En 2022, le montant total des importations est passé à Rs 3,1 milliards (+Rs 800 millions sur l'année précédente) et la taxe collectée est passée à Rs 6,8 milliards (+Rs 1 milliard sur l'année précédente). Visiblement, les augmentations de droits d'accises sur le tabac (+47 % entre 2011 et 2017) ne semblent pas en réduire la consommation. Elles ne font qu'augmenter les revenus de l'État.
En Angleterre, pendant ce temps, on s'attaque à la consommation de cigarettes avec le vape ou la cigarette électronique. Sur son site Web, le NHS, service public de santé, consacre de nombreux articles et conseils aux fumeurs qui veulent arrêter de fumer en les orientant vers les vapoteuses. «Many thousands of people in the UK have already stopped smoking with the help of an e-cigarette. There's evidence that they can be effective. A 2021 review found people who used e-cigarettes to quit smoking, as well as having expert face-to-face support, can be up to twice as likely to succeed as people who used other nicotine replacement products, such as patches or gum», expliquent les professionnels britanniques de santé publique. Selon le NHS, si un gros fumeur arrive à utiliser le vape pendant 12 mois sans toucher à la cigarette, il est sevré. «Il sera ensuite moins difficile pour lui de diminuer l'utilisation du vape jusqu'à un sevrage complet du vape.»
Campagne anti-vape
Vu dans ce contexte, la campagne anti-vape menée par le gouvernement depuis la fin de l'année dernière et qui va aboutir à son interdiction totale le 31 mai fait bien sourciller. «De plus en plus de collégiens ont accès aux vapoteuses», explique le ministère de la Santé pour motiver sa décision. Surfant sur cette campagne, l'express avait, en janvier, consacré un article aux vapoteuses, et nous avions découvert que ces cigarettes électroniques se vendent au marché noir pour au moins Rs 1 200. «On sait tous que même si c'est strictement interdit, justement pour éviter que les jeunes élèves aient accès à la cigarette, la vente au détail est toujours pratiquée. Dans toutes les tabagies près des collèges, une cigarette contre Rs 15 est une pratique courante. Si la santé de nos adolescents était vraiment la priorité, c'est par cela qu'on aurait dû commencer. Pas en s'attaquant à un produit qui coûte prohibitivement Rs 1 200», dénonce Danny Philippe, de l'organisation non gouvernementale DRIP et militant engagé contre l'addiction.
Dans l'idéal, il ne faudrait ni fumer, ni vapoter. Les deux pratiques nuisent à la santé. Mais à en croire le NHS, «vaping is not completely risk-free, but it poses a small fraction of the risk of smoking cigarettes. The long-term risks of vaping are not yet clear.E-cigarettes do not produce tar or carbon monoxide, two of the most harmful elements in tobacco smoke».
Maurice se retrouve donc à interdire un produit aussi mauvais - voire moins mauvais (selon le NHS) - que la cigarette, et qui peut, selon les Britanniques, aider à sevrer les fumeurs de leur addiction. L'État aurait-il peur que les fumeurs cessent effectivement de fumer et que les Rs 6 milliards de recettes fiscales de 2022 commencent à chuter ? Le ministère de la Santé n'a pas voulu commenter cette façon d'analyser l'interdiction du vapotage. On nous renvoie à une précédente réponse du ministre Kailesh Jagutpal : «Il n'y a absolument aucune donnée scientifique sur le fait que le vapotage soit moins dangereux que la cigarette traditionnelle. Le jour où on m'en montrera, je vais revoir la décision. On s'aligne sur la position de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).»
Pour l'OMS, les deux sont également dangereux. Pourtant, c'est juste la vapoteuse qui est interdite. La cigarette, qui vient de rapporter Rs 6 milliards à l'État, elle a encore de beaux jours devant elle.
En Chiffres
2021
· Imports : 2,3 milliards
· Recettes fiscales : 5,8 milliards
2022
· Imports : 3,1 milliards
Recettes fiscales : 6,8 milliards
Oscar Mamet: Managing Director de TNS Tobacco, plus gros importateur de cigarettes à Maurice
Comment, en tant qu'importateur de cigarettes, accueillez-vous la prochaine totale interdiction des vapes à Maurice ?
En effet, nous sommes au courant de cette information. Les produits vaping/ e-cigarettes sont déjà interdits à la commercialisation. Nous suivons donc la loi en n'important pas ce type de produit. Toutefois, si la loi venait à changer, nous pourrions considérer la commercialisation de ce type de produits.
TNS, en tant qu'importateur, a-t-il été impliqué ou consulté dans cette prise de décision ?
Non, aucunement. Les autorités ne nous ont pas contactés à ce sujet.
Selon les chiffres officiels de la MRA, la cigarette a généré des recettes fiscales de Rs 6 milliards en 2022. Or, le NHS recommande la vapoteuse pour arrêter de fumer. Que répondez-vous à ceux qui estiment que c'est le lobby économique de la cigarette traditionnelle qui motive cette décision qui peut être vue comme à l'encontre de la santé publique ?
En ce qui concerne notre entreprise, nous ne pratiquons aucune forme de lobby économique. Les autorités mauriciennes ont le pouvoir de décision en termes de santé publique. De notre côté, en tant qu'acteur économique, nous sommes dans l'obligation légale de suivre les décisions des autorités. Et c'est ce que nous faisons.