Le franc va-t-il continuer à baisser face au dollar ? La question hante le quotidien de nombreux Congolais. Dans un pays où les gens protègent leur pouvoir d'achat en épargnant en dollars, la question est loin d'être réservée aux économistes. Or, depuis quelques semaines, le dollar coûte de plus en plus cher sur le marché parallèle.
« Toute crise entraine spéculation » pour l'économiste Hubert Mpunga, il ne faut pas chercher loin les raisons de la baisse du franc congolais face au dollar. « La guerre à l'est du Congo a déséquilibré les échanges de biens et de services. » Elle sert de prétexte à certains commerçants pour augmenter les prix des produits importés. L'inflation, qui a atteint 13% l'an dernier, grimpe déjà à plus de 5% sur les trois premiers mois de l'année, ce qui se traduit aussi par un affaiblissement du franc congolais. Il faut environ 2300 francs pour un dollar à Kinshasa contre 2000 en début d'année.
Cette guerre coûte aussi beaucoup d'argent au budget de l'État. Celui de la Défense a connu cette année un bond spectaculaire. Et depuis le 1er janvier, l'État est en déficit régulier. Néanmoins, le ministère des Finances affirme que ces déficits sont comblés par les bons du Trésor et n'influent pas en théorie sur le cours de la monnaie. En revanche, la politique salariale de l'État - qui règle peu à peu les arriérés de salaire accumulés dans la fonction publique - pèse sur le franc congolais. En effet, beaucoup de Congolais convertissent leur argent en dollar, « ce qui influe sur le cours en raison de la loi de l'offre et de la demande », précise Hubert Mpunga.
Une économie schizophrénique
Car « l'économie congolaise vit dans deux mondes parallèles », souligne l'analyste Al Kitenge, entre le marché officiel de devises et le marché officieux. « Cette schizophrénie est une faiblesse », dit-il. Le secteur commercial informel s'approvisionne en dollar sur le marché parallèle et non à la Banque centrale, ce qui pèse sur les cours, notamment en période de forte croissance. Or, l'économie congolaise tourne actuellement à plein. Les prévisions du FMI avancent une croissance supérieure à 8% pour 2023. « Des secteurs comme le bâtiment qui importent beaucoup font exploser la demande de devises », analyse Hubert Mpunga. D'une façon générale, « tant que le pays importera des produits finis et n'exportera que des minerais et des matières premières, le marché des changes sera fragile », précise-t-il. L'industrialisation et la création de chaines de valeur est donc le seul espoir à moyen terme pour limiter les fluctuations du taux de change sur le marché officieux.
Au-delà de la spéculation économique, certains relèvent aussi des intentions moins avouables. Al Kitenge rappelle que le Congo est en année électorale, et que « certains opposants aux poches profondes utilisent des fonds pour déstabiliser le marché des changes et démontrer ainsi que l'État ne maitrise pas son cadre macroéconomique ». Une thèse difficilement vérifiable mais qui traduit une réalité. Le double système de change limite les marges de manoeuvres de l'État pour stabiliser la monnaie.