Les autorités algériennes doivent libérer tous les journalistes injustement détenus, abandonner toutes les inculpations à caractère politique portées contre au moins six d'entre eux et annuler la condamnation du journaliste Ihsane El Kadi, a déclaré Amnesty International le 3 avril 2023.
Amnesty International demande la libération du journaliste Ihsane El Kadi, condamné le 2 avril par le tribunal de Sidi M'Hamed à Alger à cinq années de prison, dont deux avec sursis, sur la base d'accusations infondées liées au fait d'avoir perçu des financements dans le but de se livrer à de la « propagande politique » et de porter « atteinte à la sécurité de l'État ». Peu avant son arrestation le 24 décembre, Ihsane El Kadi avait publié une analyse sur les prochaines élections présidentielles en Algérie en 2024, dans laquelle il critiquait le rôle de l'armée algérienne.
« Ihsane El Kadi est le dernier journaliste en date pris pour cible par les autorités algériennes dans le cadre de l'offensive visant les médias indépendants. Elles prennent des mesures extrêmes pour étouffer les voix critiques, alors que la Constitution algérienne protège les droits à la liberté d'expression et à la liberté de la presse, a déclaré Amna Guellali, directrice régionale adjointe pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.
« Ces derniers mois, un tribunal a condamné à mort par contumace un journaliste algérien accusé d'espionnage et au moins cinq autres font l'objet de poursuites pour des accusations infondées, la plupart en lien avec la " diffusion de fausses informations ". Au moins trois médias accusés de diffuser des émissions en ligne sans autorisation ont également été fermés. Tous les journalistes emprisonnés uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression, y compris sur la base d'accusations grotesques de diffusion de " fausses nouvelles ", doivent être libérés immédiatement et sans condition. »
Peu après minuit le 24 décembre, des agents des forces de l'ordre en civil ont arrêté Ihsane El Kadi à son domicile à Zemmouri, ville côtière située à 40 km à l'est d'Alger. Plus tard dans la journée, ils l'ont conduit, menotté, dans les locaux de ses médias en ligne, Radio M et Maghreb Emergent. Ils ont ordonné au personnel de quitter les lieux, ont saisi des ordinateurs et divers matériels, et ont apposé des scellés sur les locaux. Le tribunal de Sidi M'Hamed a ordonné le sursis pour deux années sur les cinq ans d'emprisonnement prononcés, qui étaient assortis d'une amende de 700 000 dinars algériens (4 700 euros environ).
Des journalistes indépendants pris pour cibles
En Algérie, au cours des deux dernières années, au moins 11 autres journalistes et professionnel·le·s des médias ont été poursuivis, arrêtés ou détenus.
Cas extrême, en octobre 2022, un tribunal d'Alger a condamné à mort le journaliste Abdou Semmar pour des accusations d'espionnage et pour « diffusion de fausses informations susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale ou à l'ordre public », en lien avec son média en ligne Algérie Part. Le tribunal a condamné Abdou Semmar, qui vit en France en tant que réfugié, par contumace et sans représentation juridique. Après l'avoir condamné, le juge a émis un mandat d'arrêt international à son encontre. Abdou Semmar, qui n'a pas eu accès au dossier, pense que les charges découlent d'une enquête qu'il a menée en 2020 sur Sonatrach, l'entreprise nationale pétrolière et gazière.
Les autorités prennent des mesures extrêmes pour étouffer les voix critiques, alors que la Constitution algérienne protège les droits à la liberté d'expression et à la liberté de la presseAmna Guellali, Amnesty International
Le 7 février 2023, un tribunal de Boumerdès a condamné Farid Herbi, journaliste et fondateur du média en ligne Tout sur Boumerdès, à trois ans de prison et à une amende pour « diffusion de fausses informations susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale ou à l'ordre public ». Farid Herbi avait critiqué la gestion par le wali (préfet) des projets de développement dans la wilaya (préfecture) de Boumerdès, dans l'est de l'Algérie.
Le 8 février, des gendarmes ont arrêté Mustapha Bendjamaa, rédacteur en chef du journal algérien indépendant Le Provincial, poursuivi en vertu de l'article 95 bis du Code pénal pour des accusations liées à la réception de « fonds étrangers », en raison de sommes d'argent qu'il a obtenues pour aider la famille d'un détenu, et pour « publication de documents classés secrets », en vertu de l'article 38 de la loi sur la protection des informations et des documents administratifs, qui prévoit jusqu'à 10 ans d'emprisonnement. Ce dernier chef d'accusation découle de conversations privées sur son téléphone, qui a été saisi à la suite de son arrestation, et a trait aux informations qu'il a reçues au sujet d'un lanceur d'alerte d'une entreprise privée.
Le 4 février, le journaliste Saad Bouakba a été interpellé et placé en garde à vue pendant deux jours. Un tribunal d'Alger l'a remis en liberté provisoire le 6 février, mais lui a imposé une interdiction de voyager et lui a ordonné de se présenter au tribunal toutes les deux semaines. Son interpellation avait fait suite à sa publication sur Facebook de critiques concernant des projets du gouvernement local. Dans une autre affaire, une cour d'appel d'Alger a acquitté Zoheir Abderkane, journaliste et fondateur d'une page Facebook appelée Alternews, le 16 janvier. Cependant, le procureur a fait appel de cette décision, et il risque toujours jusqu'à trois ans d'emprisonnement et une amende.
Fermeture de médias
Après la fermeture des deux médias d'Ihsane El Kadi en décembre 2022, une action en justice a été intentée contre leur société mère Interface Médias, pour « exploitation d'un service de communication audiovisuelle sans autorisation ». Le 2 avril, le tribunal de Sidi M'Hamed a ordonné la dissolution d'Interface Médias et le paiement d'une amende de 10 millions de dinars (67 500 euros environ) à titre de dommages et intérêts à l'organe algérien de régulation de l'audiovisuel.
Le 15 novembre 2022, l'agence de presse publique algérienne a indiqué que l'Autorité de régulation de l'audiovisuel avait décidé de fermer la chaîne Al Adjawaa TV, parce qu'elle a « constaté des violations de l'éthique professionnelle, liées au non-respect des spécificités de la société algérienne et à une atteinte à la morale publique ». Selon les médias, cette décision est due à la diffusion par la chaîne d'une scène d'un film dans lequel des personnes en sous-vêtements s'embrassent.
« Se servir de lois fallacieuses pour bâillonner le journalisme est totalement inacceptable. Les médias en Algérie devraient être libres d'exercer leur droit à la liberté d'expression, que protège le droit international », a déclaré Amna Guellali.