Au Kenya, la rue qui gronde depuis le 20 mars dernier pour dénoncer l'incapacité du président William Ruto à juguler la flambée des prix, sera aphone cette semaine. Les manifestations hebdomadaires (les lundi et jeudi) sont suspendues à la demande de leur initiateur, le chef de file de l'opposition, Raila Odinga, 78 ans. Connu et reconnu pour son intransigeance, le vieux loup de la politique kenyane a fait balle à terre, en acceptant l'appel au dialogue, lancé dimanche soir, par le chef de l'Etat.
Une commission parlementaire bipartite a été initiée par William Ruto, en vue de trouver des solutions à la « vie chère » qui hante le quotidien d'une bonne partie des Kenyans, condamnés à tirer le diable par la queue. L'inflation est établie à 9,2 % sur un an en février 2023, avec 13,3 % d'augmentation sur les prix des produits alimentaires, selon des données officielles.
« Je demande à mon frère Raila Odinga et à l'opposition d'annuler les manifestations et de donner à cette approche bipartite une chance de nous permettre de faire avancer le pays », a lancé le président Kenya au chef de file de l'opposition. Son message a été entendu et l'on ne peut qu'applaudir, tant les manifestations, jugées illégales par la police, avaient commencé à dégénérer. Elles ont donné lieu à des échauffourées avec leur lot de dégâts matériels et humains. Face à la détermination des partisans de l'opposition, les forces de l'ordre ont été contraintes d'utiliser des canons à eau, de faire pleuvoir des grenades lacrymogènes et même de tirer à balles réelles.
Conséquence, trois personnes ont perdu la vie dans ces mouvements de protestation et une centaine de blessés a été enregistrée, aussi bien dans le camp des forces de l'ordre que des manifestants. Des journalistes locaux et étrangers ont été également agressés. Le ministre de l'Intérieur kényan, Kithure Kindiki, a dû monter au créneau pour dénoncer l'anarchie et menacer les fauteurs de trouble de poursuites judiciaires.
Il est certain que si ces manifestations, qui commençaient à inquiéter au-delà des frontières kenyanes, n'avaient pas été suspendues, le nombre de victimes allait être plus important. Le président de la Commission de l'Union africaine, , avait même donné de la voix, exhortant les Kenyans au calme et au dialogue. Le souhait, dans ces conditions, est que le gouvernement et l'opposition parviennent à trouver des solutions pour soulager les populations et mettre fin à la grogne.
Le contraire est à craindre, surtout que ces manifestations se tiennent, sur fond de rivalité entre Odinga et Ruto. Candidat malheureux à la présidentielle d'août 2022, le chef de file de l'opposition kenyane a du mal à digérer sa défaite. Il se voit toujours en président de la République, malgré la confirmation de la victoire de son challenger, par la Cour suprême. Eternel combattant (il a échoué cinq fois à briguer la magistrature suprême), Odinga est loin de s'avouer vaincu.
Il n'a de cesse d'accuser Ruto d'avoir volé sa victoire. Dans ces circonstances, l'inflation constitue du pain béni pour l'opposant qui accuse le chef de l'Etat de ne pas incarner son titre de « défenseur des opprimés », brandi lors de la campagne présidentielle. C'est en cela qu'il faut craindre le pire au Kenya, Odinga étant du genre à ne reculer devant rien. A force de continuer à contester l'élection de Ruto, à travers des manifestations, il pourrait bien réveiller les vieux démons dans son pays.
Ce pays d'Afrique de l'Est de plus de 50 millions d'habitants a une tradition de violences électorales, qu'il faut conjurer à tout prix. Les violences électorales de 2007-2008 ont couté la vie à plus de 1100 personnes et celles de 2017, des dizaines d'autres. Odinga, qui a ces mauvais souvenirs gravés dans sa mémoire, gagnerait à être un bon perdant. Il doit mettre la nation kenyanne au-dessus de ses intérêts égoïstes.