Afrique: Hassan Naciri, Ambassadeur du Maroc au Sénégal - « Nos relations sont bâties sur la complicité et la proximité »

4 Avril 2023
interview

Singulières et spécifiques, les relations entre le Maroc et le Sénégal n'en finissent pas de susciter admiration et envie assorties d'interrogations sur le secret de cette relation millénaire qui transcende le temps et les conjonctures. Quels en sont les socles, les clés de déchiffrage, les éclairages de Hassan Naciri, Ambassadeur de Sa Majesté Le Roi au Sénégal.

Tout le monde s'accorde sur l'excellence des relations entre le Sénégal et le Maroc. Pourriez-vous éclairer nos lecteurs sur l'état actuel de ces relations et les perspectives d'avenir ?

Pour aborder les relations entre le Maroc et le Sénégal, on ne peut pas faire l'impasse sur les fondements qui font la singularité des liens qui nous unissent. En effet, cette relation, forgée au fil des siècles par les flux humains de part et d'autre, les liens de sang qui en ont découlé remontent loin dans l'histoire. Les experts parlent du 7e et du 8e siècle, ce qui correspond à l'avènement de l'Islam au Sénégal via le Maroc. Toutefois, cette histoire humaine remonte certainement plus loin encore dans le temps.

Concernant la période de la préindépendance, il y a lieu de noter que ces relations ont été marquées par un parcours singulier, régulier et riche en affinités et complémentarités. De prime abord et même à la veille de l'indépendance, feu le Roi Mohammed V, sur son chemin de retour d'exil de Madagascar, a fait une escale historique à Dakar en novembre 1955. Escale durant laquelle il a été reçu, entouré et soutenu de la plus belle manière par les familles soufies du Sénégal, qui se sont promis de poursuivre leurs actions pour le rétablissement de feu Sa Majesté le Roi sur son trône et pour l'indépendance du Royaume. C'est là un acte symbolique de très haute importance dans la mesure où les deux pays, avec en filigrane ce lien spirituel intemporel, étaient toujours en lutte pour leur émancipation et leur indépendance.

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Autre fait marquant inscrit en lettres d'or dans notre Histoire et mémoire communes, est celui du co-parrainage de l'entrée de la jeune République soeur du Sénégal indépendante aux Nations Unies par le Maroc en 1960.

Cet élan de solidarité s'est inscrit d'ailleurs dans le temps et dans la tradition des relations entre les deux pays, notamment à travers l'appui du Sénégal au processus de parachèvement de l'intégrité territoriale du Royaume lors de la glorieuse Marche verte initiée par feu Sa Majesté Hassan II en 1975 où des frères sénégalais se sont joints spontanément et fièrement aux 350.000 marcheurs marocains armés du Saint Coran et du drapeau national pour libérer les provinces du sud de l'occupation espagnole.

En droite ligne de cet engagement historique, le Sénégal a d'ailleurs inauguré un consulat général dans l'un des chefs-lieux du Sahara marocain, en l'occurrence la ville de Dakhla. Il faut rappeler à cet égard que feu le Roi Hassan II et son frère Léopold Sédar Senghor, dans un élan de complicité exceptionnelle, ont jeté de nouveaux jalons de cette relation qui ont été marqués par la conclusion d'une convention d'établissement en 1964. C'est un accord qui fait référence jusqu'à nos jours, car, inédit dans nos relations avec le monde extérieur et en avance sur son temps. En effet, selon les termes de cette convention, les ressortissants des deux pays jouissent des mêmes droits que ceux de l'autre.

Quel est l'apport du Président Macky Sall et du Roi Mohamed VI dans la consolidation de ces relations singulières ?

Cette complicité et cette proximité sur lesquelles sont bâties nos relations se sont poursuivies et se sont intensifiées davantage durant ces dernières décennies, sous le règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.

Le Souverain a apporté une pierre précieuse à l'édifice en agissant, avec conviction et une forte détermination, à trois niveaux.

Sur le plan politique, en restant fidèle à l'esprit de cette relation particulière comme l'illustrent les huit visites officielles effectuées à Dakar, avec leurs lots d'accords et de conventions. Il s'agit du plus grand nombre de visites enregistrées à l'égard d'un pays africain frère.

Sur le plan économique, le Roi Mohammed VI et le Président Macky Sall, de même qu'avec son prédécesseur Maître Abdoulaye Wade, animés par ce sens du destin commun et de l'esprit de solidarité qui en découle, se sont investis pour donner de la consistance et un contenu concret à cette relation singulière en mettant en place des partenariats solides et novateurs entre nos deux pays. Ces partenariats mutuellement bénéfiques couvrent des domaines allant de la finance aux Btp en passant par l'off-shoring, l'agriculture et les services, sans oublier la coopération décentralisée.

Sur un troisième niveau, nos hautes autorités ont consenti de grands efforts en vue d'asseoir une coopération féconde dans les domaines culturels et cultuels comme en témoigne le nombre important d'étudiants inscrits tant au Maroc qu'au Sénégal avec leurs retombées positives sur la connaissance mutuelle et la mixité humaine.

Dans le même volet, il faut rappeler l'importance de la dimension religieuse qui repose sur la commanderie des croyants incarnée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l'instar de ses glorieux ancêtres. Cette notion est capitale pour appréhender le caractère exceptionnel de nos relations dans la mesure où elle transcende tous les aspects classiques des relations entre les États, elle a sa propre dynamique et se développe en dehors de toutes contingences de quelque nature qu'elles soient.

Enfin, y a-t-il geste plus éloquent que le fait que Sa Majesté le Roi Mohammed VI adresse, de sa résidence ici même à Dakar, un discours à la Nation marocaine à l'occasion du 41e anniversaire de la Glorieuse Marche verte ? Une première dans les annales du protocole royal, ce qui dénote de la force des liens entre les deux pays.

Excellence, la dimension religieuse demeure l'un des déterminants principaux des relations entre le Sénégal et le Royaume chérifien. Comment appréhendez-vous ces relations à la lumière de ce que connaît l'Islam en ce moment entre incompréhension des partenaires et montée de l'extrémisme ?

Comme je disais tantôt, le Roi incarne une autorité spirituelle connue et reconnue. À ce titre, toutes les questions relatives à l'Islam dans sa dimension spirituelle et pratique lui reviennent de droit et de facto. C'est dans ce sens que toutes les incompréhensions que vous évoquiez ont été prises en charge par le Commandeur des croyants, et ce, à travers une approche holistique qui allie sécurité et développement. Sans être exhaustif, je citerai la formation des imams, la réappropriation par l'État du champ religieux afin de préserver l'atout unique et extraordinaire que constitue l'unité du rite malékite que nous avons en partage d'ailleurs, la lutte pédagogique contre l'extrémisme et la violence et, bien entendu, une action accrue et coordonnée pour mettre fin à l'exclusion et à la pauvreté.

L'Islam n'est pas et n'a jamais été une religion de violence comme en témoigne l'étymologie même du mot Islam qui renvoie à la paix et à la cordialité. Il y a des incompréhensions, diriez-vous, mais les réponses existent bel et bien et les résultats, dans certains pays, y compris le Maroc et le Sénégal, en attestent.

Le monde et à plus forte raison le continent africain vit, depuis trois ans, au rythme de crises inédites. Après la pandémie de Covid-19 dont les effets ne se sont toujours pas estompés, la guerre en Ukraine pose aussi des défis énormes pour notre continent. Quelle appréciation donnez-vous au rôle que peuvent jouer le Sénégal et le Maroc pour faire face ?

Nous sommes deux nations très anciennes et imprégnées de valeurs de paix et de vivre ensemble. Sur le cas de la Covid-19, le Maroc et le Sénégal ont fourni des efforts gigantesques, non seulement pour atténuer les effets de la crise, mais aussi pour en tirer des leçons et jeter les jalons d'une industrie nationale garantissant, dans l'avenir proche, une autonomie et une souveraineté alimentaire, sanitaire et autre. Dans nos deux pays, de grandes unités pharmaceutiques pour la fabrication de médicaments et toute sorte de vaccins sont en train de voir le jour.

Par ailleurs, ces turbulences et crises ont remis à l'ordre du jour et surtout à l'épreuve, les grandes questions et principes de solidarité et de destin commun tant galvaudés par la gent bienpensante mondiale.

Dans ces moments de grandes incertitudes, le Maroc, sous le leadership et sur instructions royales, a été à l'avant-garde. En effet, dans un acte de générosité et d'altruisme, un pont aérien a été mis en place, au firmament de la crise, pour l'acheminement de médicaments, de masques, et autres kits médicaux à plus de 20 pays africains frères, au premier rang desquels le Sénégal, bien entendu. Ce geste magnanime et humain est à apprécier à l'aune de la crise d'alors et du retour du souverainisme exacerbé et des guerres sur les tarmacs rien que pour s'approvisionner en masques. Vous vous souvenez certainement de certains actes de « piraterie » qui ont défrayé la chronique alors.

En fait, rien de surprenant parce que cet acte cadre parfaitement avec la pratique marocaine de solidarité agissante, notamment sous le règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.

Autre illustration de cet élan de solidarité et alors que le monde entier, et particulièrement notre continent, souffrait des pénuries des fertilisants, conséquence directe du conflit en Ukraine, le Roi a donné ses instructions pour le don de centaines de millions de tonnes de phosphates et produits phosphatiers aux pays frères et amis en Afrique et ailleurs. Ceci pour vous dire la symbiose et la cohérence des vues et actions de leaders de nos deux pays, qui insistent sur les principes de solidarité et du destin commun africains et leurs actions concertées visant à garantir la souveraineté sanitaire et alimentaire de l'Afrique, mettant en avant, comme l'a si bien dit le Président Macky Sall, que désormais, il faut retenir une bonne fois pour toutes que face à l'Afrique des problèmes, il y a surtout l'Afrique des solutions.

Partageant cette manière de voir, nos deux pays peuvent aisément travailler ensemble dans la complémentarité et l'intégration tant souhaitée par les pères fondateurs de l'Unité africaine. Le processus est en cours et se porte bien.

Sur un tout autre registre, quelle lecture faites-vous des exploits réalisés et par le Maroc et par le Sénégal lors de la dernière Coupe du monde et lors de la Can ?

Ces exploits doivent être contextualisés et lus autrement que sous leur angle purement sportif. En effet, au-delà du caractère festif, les résultats inédits dont vous parlez sont en fait l'aboutissement de politiques prospectives et d'investissements massifs en infrastructures, mais surtout en ressources humaines.

Nos deux pays disposent d'un vivier de talents qui ne demandent qu'à émerger. Nous sommes face à une génération d'Africains décomplexés qui croit en elle-même. Elle a réussi le coup de force de pulvériser le plafond de verre imaginaire qui limitait malencontreusement nos ambitions légitimes.

Je voudrais à cet égard rendre un hommage particulier à l'ensemble du Continent africain et spécialement au Sénégal, Président, gouvernement et toutes les composantes du pays, qui ont supporté la sélection nationale marocaine qui a incarné, le temps de ce Mondial, le rêve d'une jeunesse africaine qui n'a rien à envier à celle des autres régions du monde.

Cet esprit de solidarité et de fierté africaine a été également manifesté de la meilleure des manières par le Maroc : Souverain, autorités et peuple, ainsi qu'ici même à Dakar où la communauté marocaine dans son ensemble a célébré la victoire du Sénégal en Coupe d'Afrique des Nations et au Championnat d'Afrique des nations (Chan).

J'ai vraiment été enchanté d'assister à ce qui peut être décrit comme un ballet de la fratrie des « Lions », ceux de l'Atlas et ceux de la Téranga !

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