Ile Maurice: Un sursaut

Alors qu'on s'attendait à ce que l'économie reprenne le pas à la faveur des consultations pré-budgétaires avec les principaux partenaires économiques et sociaux, on constate qu'il devient pour le moins difficile pour le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, de se rendre audible sur son agenda.

Pas parce qu'il n'arrive pas à convaincre la population de ses grandes orientations économiques mais tout simplement en raison d'une actualité chaude, relevant d'une autre sphère, qui tient la population en haleine depuis des semaines.

De l'affaire Franklin, ses réseaux de drogue et de blanchiment d'argent, voire ses implications hautement politiques, à la perception des institutions indépendantes utilisées pour nuire aux adversaires politiques en passant par des attaques répétées contre le judiciaire ou encore des allégations de pot-de-vin contre des VVIPs, sans compter ces nombreux cas de corruption et de népotisme qui perdurent hélas depuis des années d'un régime à un autre, il y a visiblement de quoi craindre, aujourd'hui, que des familles mauriciennes et certains jeunes professionnels soient forcés d'émigrer ailleurs, en Europe et au Canada.

La situation a-t-elle atteint un point de non-retour pour que l'instance suprême de l'Église catholique, incarnée par le cardinal Maurice Piat, décide de tirer la sonnette d'alarme, le dimanche des Rameaux ? Avec son autorité qui commande le respect, il n'a fait que dire tout haut ce que la population pense tout bas, essayant d'éveiller la responsabilité citoyenne de chaque Mauricien et Mauricienne, conscient que l'heure est manifestement grave. Il revient aux puissants du jour de l'Hôtel du gouvernement comme à d'autres chefs religieux de décrypter le message du cardinal et d'agir en conséquence.

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Pour autant, il y a des urgences auxquelles il faut s'attaquer au plus vite pour réduire la précarité des ménages. Comme la cherté de la vie qui touche les économiquement faibles, impuissants face à la hausse quasi quotidienne des prix des articles de consommation, alimentée par une inflation galopante à deux chiffres, et que la Banque de Maurice arrive difficilement à faire baisser, malgré les hausses successives du taux repo depuis plus d'une année. La colère du gouverneur, Harvesh Seegolam, contre la dépréciation spéculative de la roupie à laquelle se livrent les banques commerciales, dont certaines réalisent des milliards, s'est traduite par ailleurs par un avertissement lancé à huit banques et des sanctions imposées à quatre autres. Silence pour le moins étonnant de la Mauritius Bankers' Association (MBA), qui n'a pas jusqu'ici répliqué publiquement sur la démarche de la BoM.

À quelques semaines du Grand oral de Padayachy, le dernier, dit-on dans certains milieux, avant l'échéance prévue fort probablement avant la fin de l'année, le locataire de la BoM Tower n'a pas le droit à l'erreur. Il doit montrer que sa politique de resserrement monétaire a porté ses fruits sur le front de l'inflation, qu'il espère ramener à 6 % cette année. Le cas contraire, ce sont toutes les prestations sociales du ministre qui seront sous forte pression. Avec, déjà, à l'horizon de 2024, la promesse électorale de l'alliance gouvernementale de porter la pension de retraite à Rs 13 500 aux bénéficiaires de 65 ans ou plus.

Si des spécialistes de la finance redoutent un Budget à forte connotation sociale en juin prochain, comme c'est généralement le cas dans une année électorale, il ne faut pas en revanche, qu'indépendamment du pouvoir qui sera en poste, des institutions de notation, comme Moody's, qui nous surveillent comme le lait sur le feu, soient contraintes d'infliger au pays un nouveau «downgrading». Certes, l'état de la gestion économique, tel qu'il sera présenté et ressenti par la population, aura tout son poids dans une prochaine campagne électorale. Bien souvent, il peut être déterminant pour faire pencher le choix des électeurs.

Mais il y a autres défis auxquels est confronté le pays, particulièrement les entreprises. C'est toute la problématique des ressources humaines dans certains secteurs économiques. La pénurie de main-d'oeuvre demeure une source d'inquiétude pour beaucoup de secteurs (construction, tourisme, manufacture, etc.) et pourrait à terme mettre en péril leur croissance et l'expansion de leurs activités commerciales. Le privé propose une réflexion approfondie sur la façon de structurer les organisations afin de les rendre plus agiles et réactives face aux attentes des jeunes très portés sur les valeurs liées à l'environnement, le social et la gouvernance des entreprises. Mais, plus encore, que des mesures audacieuses soient prises pour favoriser «une culture de la méritocratie et d'égalité des chances». Encore faut-il que celle-ci ne soit pas l'affaire de la fonction publique et d'autres institutions d'État et que le privé balaie aussi devant sa porte, souvent hermétiquement fermée à certains.

A-t-on les moyens de générer cette main-d'oeuvre qualifiée aux différents échelons d'une entreprise ou doit-on toujours avoir recours à l'importation ? Sans doute non, quand notre système éducatif produit, selon les dernières statistiques, plus de 24 000 chômeurs n'ayant pas le SC ou l'équivalent et dont 2 500 n'ont même pas réussi le PSAC /CPE ou équivalent. Et ne parlons pas de la minorité qui quitte les universités publiques.

Triste réalité qui doit interpeller nos décideurs qui souhaitent souvent nous comparer à Singapour ou à l'Inde. Un sursaut collectif s'impose.

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