Quel préjudice répare la compensation financière octroyée à Mame Mbaye Niang ? Est-ce celui lié à son honneur ou à son patrimoine ? Ce niveau de dommages-intérêts est choquant à plusieurs titres.
Le procès en première instance opposant Mame Mbaye Niang, le ministre du Tourisme à Ousmane Sonko, maire de Ziguinchor et principal animateur de la coalition Yewi Askan Wi (YAW), la première force d'opposition au parlement sénégalais, vient de connaître son épilogue. Le maire de Ziguinchor a été condamné pour diffamation à deux mois de prison avec sursis, 100 000 francs CFA d'amende et 200 millions de francs CFA de dommages et intérêts. Il était poursuivi pour « diffamation, injure publique et faux et usage de faux » pour avoir déclaré le 21 novembre 2022 lors d'un point de presse de la coalition YAW que le ministre Niang a été « épinglé par un rapport de l'Inspection générale d'État ».
L'audience du 30 mars 2023 met un terme provisoire à un processus mené au pas de charge et à très grande vitesse comme dame justice sénégalaise sait si bien le faire quand un opposant de premier plan doit être mis hors d'état de nuire aux intérêts politiques du pouvoir. Le verdict a été prononcé en l'absence du prévenu -- en arrêt maladie suites aux sévices subis le 16 mars 2023 --, et de ses conseils qui avaient décidé de quitter la salle d'audience peu de temps après le début des débats pour ne pas donner « caution à une situation anormale » et entériner un « sort judiciaire déjà scellé ».
Quelle idée de justice sous-tend le verdict ?
Pour laver son « honneur », Mame Mbaye Nang réclamait à titre de dommages et intérêts 29 milliards de francs CFA (44 millions d'euros ou 48 millions de dollars). À titre de comparaison, le budget 2023 du ministère de la Culture et du Patrimoine historique est arrêté à la somme de 19 575 105 951 FCFA en autorisations d'engagement soit 10 milliards de moins. Le ministère public quant lui, a requis deux ans de prison, dont un an ferme pour diffamation et deux ans, dont un ferme pour faux et usage de faux, et trois mois ferme pour injures.
L'un des enjeux du verdict de ce procès était le degré de sévérité de la peine en cas de condamnation : au-delà d'un certain seuil, le condamné est privé de son droit de vote et d'éligibilité. Mame Mbaye Niang et le camp présidentiel ne cachaient pas leur préférence pour ce scénario. Le jugement a été rendu dans un tribunal et une capitale placée sous très haute sécurité. Dakar a tourné au ralenti, avec commerces et écoles fermées, transports suspendus, ou encore interdiction de circuler pour les motos par crainte de troubles.
La Cour a octroyé à monsieur Niang 200 millions de francs CFA (300 000 euros ou 332 000 us dollars), cette somme représente moins de 1 % de ses prétentions, mais constitue une véritable fortune dans un pays où plus du tiers de la population (6,3 millions de personnes) vit avec moins de 2000 francs CFA par jour. Le montant qui lui a été alloué représente plus de deux siècles de revenus d'un Sénégalais vivant sous le seuil de pauvreté. Cette somme est largement supérieure aux revenus cumulés sur toute sa carrière d'un instituteur et est équivalente au salaire annuel de 285 travailleurs payés au SMIG.
Ces constats faits, la question légitime qui s'impose au citoyen est de savoir quel préjudice répare la compensation financière octroyée à Mame Mbaye Niang. Est-ce celui lié à son honneur ou à son patrimoine ? Il ne peut pas s'agir de son patrimoine, car les propos d'Ousmane Sonko n'ont eu aucune incidence sur sa carrière ministérielle. Il est resté ministre tout au long de la procédure. Les seuls frais pouvant grever les revenus de monsieur Niang sont ceux de justice. Est-ce le préjudice moral que le juge a ordonné de compenser ? Sa représentativité politique et électorale a-t-elle joué ? Ce serait bien chèrement payé. Il y a tout juste un an, avec moins de 1% il échouait à se faire élire conseiller municipal de Dakar.
Ce niveau de dommages-intérêts est choquant à plusieurs titres. Il est sans commune mesure avec ce que le marché assurantiel propose en matière de préjudice moral (deux fois le SMIG sous condition). Et il ne se base sur aucun élément objectif (expertise médico-psychologique). Alors que le travail est misérablement payé, ce niveau de compensation du préjudice lié à « l'honneur » bafoué est révoltant. Le message explicite de cette décision est qu'il est plus rentable de monnayer son honneur que de vendre sa force de travail.
Gouvernement de mission anti-Sonko
L'attitude de Mame Mbaye Niang et ses nombreuses prises de parole entre le dépôt de plainte et le procès ne plaident pas en faveur d'un préjudice moral. Monsieur Niang a multiplié les sorties médiatiques pour évoquer sa plainte. Il en a tiré un gain politique et a plus parlé de ce sujet que de sa mission ministérielle. Sa stratégie a consisté à saisir l'occasion du procès pour causer la ruine pécuniaire et politique d'Ousmane Sonko. Il ne s'en est pas caché puisqu'au lendemain du verdict, il a tenu une conférence de presse pour annoncer qu'il interjette appel et que « Sonko n'a pas encore échappé à inéligibilité » et qu'il veut que la « peine soit beaucoup plus conséquente ». Très en verve durant la conférence de presse, il a dit qu'il va demander à un huissier de « saisir la maison » d'Ousmane Sonko.
Dans le camp présidentiel, le patrimoine et la famille du maire de Ziguinchor sont devenus un enjeu politique voire un programme gouvernemental. Après le ministre de la Jeunesse qui promet « d'hériter de sa femme » à sa mort, c'est le ministre du Tourisme qui veut mettre la main sur sa maison. Le président Abdou Diouf avait inventé le concept de « gouvernement de majorité présidentielle élargie » pour créer un consensus national pour affronter les difficultés liées au programme d'ajustement structurel. En pleine crise économique, le président Macky Sall nous impose le « gouvernement il faut anéantir Ousmane Sonko ».
Qu'avons-nous fait au Bon Dieu pour mériter cela ?