Afrique de l'Ouest: Aboubacar Younga, délégué CSBE du Qatar - « Tout Burkinabè patriote a toujours une relation positive avec son pays »

interview

Après l'obtention de son baccalauréat en arabe et en études islamiques en Syrie, Aboubacar Younga continue son cursus au Qatar en Licence et Master, respectivement en jurisprudence islamique et en jurisprudence islamique moderne. Depuis 2006, il vit à Doha avec sa famille et travaille à l'université nationale du Qatar en qualité de conseiller pédagogique senior. Présentement délégué du Conseil supérieur des Burkinabè de l'extérieur (CSBE) du Qatar, par ailleurs président de la communauté burkinabè vivant dans ce pays, il parle, dans cette interview, entre autres de la vie des compatriotes dans leur pays d'accueil, de leur organisation et de la situation sécuritaire au Burkina Faso.

Sidwaya (S) : En votre qualité de délégué CSBE du Qatar, quelles sont vos missions ?

Aboubacar Younga (A.Y.) : Mes missions sont celles assignées à tous les délégués CSBE partout où nous sommes. C'est d'essayer de veiller au bien-être de la communauté burkinabè où qu'elle soit. En outre, nos missions consistent à faire en sorte que nos compatriotes ne rencontrent pas de difficultés. Lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes, que nous puissions y apporter des solutions. En plus, nous jouons le rôle de liaison entre l'ambassade du Burkina Faso à Doha et la communauté burkinabè. Donc chaque information qui vient de la mère patrie, l'ambassade me la fournit et nous la partageons avec les compatriotes et vice versa.

S : Avez-vous une idée du nombre des ressortissants burkinabè installés au Qatar ?

A.Y. : Les Burkinabè vivant au Qatar sont estimés à environ 200 compatriotes, du moins ceux qui sont enregistrés dans nos bases de données et qui participent aux différentes activités. Il y a des compatriotes qui sont là mais qui n'ont pas encore intégré nos structures parce qu'ils ne sont pas informés de leur existence.

S : Quels sont les domaines d'activités des Burkinabè au Qatar ?

A.Y. : Les domaines d'activités dans lesquels la diaspora burkinabè exerce au Qatar sont variés mais majoritairement la plupart des compatriotes sont des ouvriers qui ont d'ailleurs participé à la réalisation des infrastructures de la Coupe du Monde 2022. En dehors de moi qui suis à l'université nationale du Qatar en tant que conseiller pédagogique senior, il y a un certain nombre de compatriotes qui travaillent dans des grandes institutions comme Qatar Foundation. Hormis ces cas, nous avons aussi des Burkinabè au ministère des Affaires étrangères, au ministère de la Défense et dans le domaine sportif.

S : Comment est organisée la communauté burkinabè vivant au Qatar ?

A.Y. : Quand nous étions étudiants entre les années 2006 et 2008, nous avions pu déjà créer un groupe de Burkinabè avec quelques fonctionnaires pour passer les informations. Mais en 2015, nous avons créé une association des Burkinabè vivant au Qatar. Notre association a été officiellement reconnue en 2018 après l'ouverture de l'ambassade. L'association a un bureau exécutif et nous organisons des activités telles que des rencontres et des collectes de fonds quand le besoin se présente. Nous avons un groupe WhatsApp qui est très actif où toutes les informations venant du Burkina Faso sont postées afin que tout le monde soit informé au même moment. Au Qatar, c'est le vendredi et le samedi que les fonctionnaires ne travaillent pas. Du coup, lorsque nous avons des activités, c'est le vendredi après la prière hebdomadaire que nous les organisons. Nous organisons des sorties à la plage, faisons des barbecues, des assemblées générales et nous participons à des tournois de football.

S : Comment se fait l'intégration d'un Burkinabè arrivé nouvellement au Qatar ?

A.Y. : Les Burkinabè qui arrivent au Qatar ne viennent pas par le même canal. Donc c'est de bouche à oreille que les nouveaux arrivants sont informés par les autres communautés qui sont au courant de notre existence. Comme nous avons étudié à l'université avec un groupe très restreint d'étudiants africains à l'époque, nous nous connaissons bien. Quand quelqu'un dit qu'il est Burkinabè, les autres Africains font leur possible pour le mettre en contact avec la communauté par l'entremise d'un ancien. Du coup, le Burkinabè nouvellement arrivé au Qatar intègre la communauté en participant aux différentes activités.

S : Quels rapports entretenez-vous avec votre pays d'origine ?

A.Y. : Tout Burkinabè intègre et patriote a toujours une relation positive avec son pays. De nature, la communauté burkinabè vivant au Qatar a cette volonté d'apporter quelque chose de positif à la mère patrie. De ce fait, les gens, bien qu'étant loin, ont toujours gardé le contact avec leurs familles et proches qu'ils essaient de soutenir d'une manière ou d'une autre. Avec la question sécuritaire, chaque Burkinabè vivant au Qatar essaie d'apporter sa contribution pour le retour à la paix et le développement de la patrie.

S : Les ressortissants burkinabè vivant au Qatar se sont-ils naturalisés Qatari ou ont-ils la double nationalité ?

A.Y. : (Rires)...Au Qatar ici, les naturalisations sont très rares parce que la situation géographique du pays complique les choses. Même n'étant pas naturalisés, les étrangers qui sont installés au Qatar arrivent à vivre leur vie sans problème. Sans me tromper, je puis dire qu'il n'existe pas de discrimination en tant que telle au Qatar dans la mesure où les Qataris apprécient et respectent les étrangers quel que soit le domaine dans lequel ils évoluent. Du moment où les gens sont en règle vis-à-vis des lois, ils n'ont pas de problème dans la société. En clair, je dirai qu'il est difficile sinon presque impossible d'obtenir la nationalité qatarie. Qu'à cela ne tienne, il y a des cas de naturalisation, mais ce n'est pas courant. A ma connaissance, il n'existe pas de Burkinabè naturalisé qatari.

S : Quelles sont les difficultés rencontrées par la diaspora burkinabè au Qatar ?

A.Y. : Le premier problème est celui de la langue. Le Qatar est un pays arabophone mais ayant l'anglais comme seconde langue. Ceux qui n'ont pas la maitrise de ces langues, ou l'une d'elles, ont des difficultés pour s'intégrer. Deuxièmement, la plupart des Burkinabè qui viennent à l'aventure au Qatar n'ont pas de diplômes ni d'expertises donc ils n'arrivent pas à vite progresser dans leur domaine d'activité. Une autre difficulté dont la communauté burkinabè fait face est le prix élevé de l'établissement des passeports par l'ambassade. Nous échangeons avec la représentation diplomatique et cela nous a permis de comprendre que c'est dû au coût du change, vu que le F CFA est lié à l'euro tandis que le riyal qatari est lié au dollar américain. Autrement dit, le riyal qatari fluctue comme le dollar américain ; ce qui fait que le taux de change du riyal qatari varie entre 135 F CFA et 168 F CFA. En outre, il y a la durée de livraison des passeports nouvellement établis qui oscille entre trois et six mois alors qu'au Qatar, nous avons un délai de trois mois pour pourvoir renouveler les documents. Nous avons pris attache avec l'ambassade pour y trouver une solution.

S : Le ministère de tutelle est-il informé de ces problèmes ?

A.Y. : Le ministère de tutelle est informé des problèmes que nous traversons au Qatar. Il y a deux ou trois ans, sous le régime du président Roch Marc Christian Kaboré, nous avions déjà émis des doléances pour une solution aux problèmes que nous vivions. Avec la situation sécuritaire difficile que traverse le pays en ce moment, nous estimons que nos difficultés peuvent attendre parce que la priorité du Burkina Faso aujourd'hui, c'est le retour de la paix et de la stabilité. A l'époque, nous avions certains compatriotes qui faisaient venir d'autres compatriotes du Burkina Faso avec de faux contrats de travail. Il est important de préciser que pour rentrer au Qatar, il faut impérativement avoir un contrat de travail en vue de se voir accorder le visa. Ces derniers souffraient pour avoir du travail parce qu'ils avaient de faux contrats. Du coup, l'obtention du titre de séjour trainait et a entrainé des complications dans le système d'emploi. Le phénomène avait été résolu mais semble reprendre de plus belle. C'est pourquoi, nous avons approché l'ambassade pour gérer cette situation.

S : Dans le cadre de votre fonction de délégué CSBE, quels sont les obstacles qui se dressent devant vous ?

A.Y. : En ma qualité de conseiller pédagogique senior à l'université nationale du Qatar, les horaires de travail sont les mêmes que ceux de l'administration, à savoir de 7h 30 minutes à 14 h 30 minutes. Par moments, il est difficile pour moi de m'occuper de certains problèmes. Généralement, c'est à la descente que je peux travailler pour la communauté. Il y a des moments où je me retrouve à des heures très tardives en train d'essayer de régler la situation de certains compatriotes. C'est essentiellement cette difficulté de temps que je rencontre. Dieu merci pour moi, les langues arabe et anglaise ne sont pas une barrière, donc j'arrive à bien communiquer en vue d'apporter mon soutien aux compatriotes en difficulté.

S : Depuis 2015, le Burkina Faso subit les attaques d'individus armés non identifiés entrainant des pertes en vies humaines et des milliers de déplacés internes. Quelle est votre lecture de la situation ?

A.Y. : Nous sommes inquiets et nous prions beaucoup afin que la stabilité revienne au pays parce que c'est le gage de tout développement. C'est vrai que nous sommes loin de la mère patrie mais nos familles, nos proches et nos amis vivent des situations difficiles, ce qui engendre des moments d'insomnie. Nous espérons que le changement opéré au Burkina Faso permettra de stabiliser le pays. Nous encourageons fortement les changements qui sont en train de se passer au Burkina. C'est louable et cela nous ramènera notre intégrité et notre patriotisme. Nous avons des inquiétudes mais également beaucoup d'espoir que le changement viendra. S'il y a un changement sur le plan sécuritaire, le Burkinabè, comme de nature, travaillera pour le développement de sa patrie.

S : Quel pourrait être l'apport de la communauté burkinabè installée au Qatar ?

A.Y. : Les Burkinabè vivant au Qatar aident leurs familles respectives qui subissent les effets néfastes de la crise sécuritaire. De façon collective, nous faisons des collectes de fonds pour soutenir les personnes déplacées internes. A ce titre, en 2022, nous avons mobilisé la somme d'un million F CFA pour les soutenir. Pour l'année 2023, nous allons lancer à nouveau la collecte de fonds au profit des PDI. Hormis cela, chaque année, nous contribuons pour le projet Diafaso, proposé par l'association du même nom qui vise à mettre à contribution la diaspora burkinabè pour mobiliser 10 milliards F CFA par an pour le développement du pays. Nous souhaitons que le Burkina Faso entretienne de très bonnes relations avec notre pays hôte où il y a plusieurs opportunités à saisir. Selon notre vécu au Qatar, ses dirigeants sont prêts à aider les pays en difficulté, notamment le nôtre surtout dans le domaine de l'agriculture et bien d'autres. Si je prends l'exemple de la mangue qui est produite en abondance dans l'ouest du Burkina Faso, un partenariat gagnant-gagnant avec le Qatar pourrait faciliter la production et la transformation dans des usines sur place, chose qui contribuera à créer des emplois pour les jeunes et les femmes. Quant à la commercialisation et la promotion des produits burkinabè, elles pourraient mieux se faire aussi bien au Qatar que dans d'autres pays du Golf.

S : Avez-vous un appel à lancer ?

A.Y. : J'aimerais bien profiter de l'occasion que vous m'avez offerte pour lancer un appel à tous les Burkinabè où qu'ils soient, de l'extérieur ou vivant au pays, d'être soudés, patients et d'apporter leur soutien à la Transition pour que la paix et la stabilité reviennent au Burkina Faso afin que nous puissions entamer la marche vers le développement.

 

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