Gabon: "Agissons maintenant et sauvons la culture, parce que notre culture est notre identité"

Max Samuel Oboumadjogo, Ministre gabonais en charge de la Culture et des Arts, était devant les Vénérables Sénateurs ce mardi 04 avril 2023, au Palais Omar Bongo Ondimba. L'objectif était de défendre le projet de loi relatif au statut des acteurs culturels de son pays.

Madame le Président de la Commission des affaires Culturelles, Sociales et de la Communication,

Vénérables Sénateurs, Mesdames et Messieurs...

Arrivé au terme de l'exercice régalien qui m'amène devant vous ce matin, je me permets de mettre entre vos mains la vie socio-professionnelle de plusieurs de nos compatriotes, je veux parler des artistes et des acteurs culturels. Et au moment où chacun de nous s'apprête à vaquer à ses occupations, je pense qu'il n'est pas inutile de rappeler notre point d'attention.

Nous parlons d'une anomalie qui perdure depuis trop longtemps et qu'il devient urgent de résoudre.

Ainsi, je m'interroge. Je m'interroge sur cette passivité coupable qui jusqu'à présent a semblé caractériser les deux pouvoirs que nous incarnons, c'est-à-dire l'Exécutif et le Législatif, devant la souffrance d'une partie du peuple que nous sommes supposés protéger et représenter.

Notre inaction face à la détresse de ces compatriotes "condamne" le pouvoir judiciaire à la même incapacité, parce que ne pouvant défendre les droits des artistes et des acteurs culturels sur la base de textes inexistants.

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En effet, comment comprendre que depuis tout ce temps, le sort de l'artiste gabonais soit régulièrement examiné par nos propres soins, sans résultats efficients ?

Ignore-t-on véritablement le rôle que jouent les sculpteurs, les peintres, les tisseurs de lianes, les musiciens, les chanteurs, les hommes de lettres et autres dépositaires de nos savoirs endogènes dans la préservation et la valorisation de notre patrimoine culturel ?

Léopold Sédar Senghor définissait la culture comme un « rendez-vous universel du donner et du recevoir ».

Dans ce contexte, que proposerait le Gabonais si, dépourvu d'authenticité et d'originalité, il se présentait à ce rendez-vous de l'Universel ?

Assurément, un tel Gabonais deviendrait un consommateur zélé des valeurs extérieures. Il ne serait rien d'autre qu'un esclave d'autant plus heureux de son statut, qu'il aurait égaré la fragile structure identitaire que seuls les dépositaires culturels peuvent garantir.

Voilà, vénérables sénateurs, le sens de mon interrogation, interrogation qui pourrait s'apparenter à une indignation.

Parce que comme vous tous ici présents, je constate le peu d'intérêt accordé à Oliver Ngoma, Patience Dabany, Vickos Ekondo et à Pierre Claver Akendéngué, qui ont et continuent de magnifiquement porter hors de nos frontières, la voix du Gabon.

J'ai du mal à accepter les conditions dans lesquelles vit un monument de notre musique comme Hilarion Nguema. Notons au passage qu'Amandine, la reine d'Empire et Sima Mboula le roi de l'Elone national ne sont considérés que lorsqu'il s'agit de donner un cachet traditionnel à nos fêtes familiales.

Je suis embarrassé face au paradoxe qui désigne Serge Abessolo, Omar Défunzu et Manitou comme des icônes du cinéma et de l'humour sur la scène internationale, alors que leur propre pays n'a en réalité que peu d'égard pour leur travail. Près de 3000 artistes gabonais vivent les mêmes réalités, si ce n'est de façon plus dévalorisantes.

Par ailleurs, qu'il me soit permis de rappeler que d'habitude, on nous fait le procès (à nous exécutif et à vous législatif) de ne pas souvent travailler en synergie dans le sens des intérêts du peuple gabonais.

Heureusement, la version actuelle du texte dont il est question présentement, nous met à l'abri de ce reproche. En effet, étant déjà passé par les deux chambres du Parlement, respectivement en 2018 et en 2019, le présent projet de loi contient l'intégralité de vos contributions, ainsi que celles des Honorables députés, sans oublier les apports conséquents des acteurs culturels eux-mêmes.

Ce texte est donc le résultat de nos efforts mutualisés et matérialisés.

Vénérables Sénateurs,

Notre mission est de faire reculer l'inégalité qui plonge nos compatriotes dans une précarité effroyable. Notre mission consiste également à décider ensemble de ce qui est utile ou de ce qui ne l'est pas.

C'est pourquoi, la vraie question ici est de savoir si les artistes et les acteurs culturels de notre pays sont utiles ou ne le sont pas.

C'est à vous, mesdames et messieurs, que revient la valorisante responsabilité de répondre à cette interrogation par l'affirmative, en adoptant le texte soumis à votre sagesse.

Vénérables Sénateurs,

A l'annonce de mon audition par votre institution ce matin, nombre d'acteurs culturels ont tenu à m'accompagner, en espérant que le mauvais sort lié au noble métier qu'ils ont choisi sera conjurée par l'importante décision que vous prendrez concernant leur statut, et qui engagera leur avenir. C'est dire combien de fois, ils croient en vous !

Parce que des motifs d'espoir, il y en a eu ces derniers temps. Notamment quand le 17 aout dernier, le Président de la République, Chef de l'Etat, Son Excellence Ali BONGO ONDIMBA à fait décorer les artistes pour la première fois au Gabon ; cela, avant quelques mois plus tard de leur consacrer un évènement fort apprécié de tous, à savoir : « La Nuit du Talent ».

Bien évidement, cette nouvelle vision panoramique est consignée dans un plan de développement triennal de la Culture, que le ministère de tutelle s'emploiera à exécuter avec le sens de intérêt supérieur.

Vénérables, j'en appelle donc à votre fibre patriotique. Vous avez ce jour, l'occasion d'interrompre la poursuite de l'écriture d'un triste récit.

Ne serait-il pas préférable d'être du côté de ceux qui auront écrit la meilleure version de l'histoire de notre pays en matière de culture ?

Entre vos mains expérimentées, vous ne tenez pas un simple texte de loi, mais bien plus encore. Il s'agit en réalité de permettre aux acteurs culturels de vivre dignement du fruit de leur travail, comme tout autre gabonais.

Enfin, Madame le Président, Vénérables Sénateurs,

Nous sommes tous préoccupés et interpelés par la situation. Le sens de mon plaidoyer n'avait, je l'espère, nullement pour objectif de jeter l'anathème sur qui que ce soit. Bien au contraire, il ne s'agissait que d'un rappel utile. Une culture malade a de faite un peuple malade, et un peuple malade disqualifie sa voix dans le Concert des Nations.

Agissons maintenant et sauvons la Culture, parce que notre culture est notre identité.

Je vous remercie pour votre attention.

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