Sénégal: Fodé Sylla, Ambassadeur Itinérant - « Le Sénégal est un pôle stabilisateur dans sa zone d'influence internationale immédiate «

6 Avril 2023
interview

L'Ambassadeur itinérant auprès du Président de la République, Fodé Sylla, dans cet entretien, jette un regard sur la situation politique au Sénégal et en France. Celui-ci, après avoir occupé de hautes responsabilités en France, est, aujourd'hui, à la présidence de la République du Sénégal et milite pour la mobilité des jeunes partout à travers le monde, mais aussi pour la protection des enfants de la rue.

Le climat politique est très tendu au Sénégal. Quelle appréciation faites-vous de la situation actuelle ?

L'appréciation globale qu'on peut faire de la situation du monde. Le propre d'un ambassadeur itinérant c'est de ne pas être fixé dans un pays, mais c'est de voyager. J'ai passé ces 40 dernières années, à travers mes différentes activités comme député européen aujourd'hui comme ambassadeur itinérant, à parcourir le monde. Les contextes politiques que nous connaissons aujourd'hui sont liés au fait que, pour la première fois de notre histoire, le monde s'est retrouvé vulnérable. Séparément, des pays ont connu des crises et pour la première fois nous nous sommes retrouvés face à trois formes de vulnérabilité. Le monde s'est retrouvé vulnérable sur le plan biologique avec la Covid-19, sur le plan du climat et vulnérable face à des guerres et à ses conséquences, ses incertitudes. Les crises politiques, il faut les vivre à l'aune du fait que d'un seul coup, l'humanité doit faire face à toutes ces crises en même temps. Quand je regarde la situation, je pense que le Sénégal peut être une des réponses parce qu'il faut apporter des réponses collectives sur le plan mondial.

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Comment le Sénégal peut-il être une solution à cette situation que traverse le monde ?

Le monde est en désordre et il a besoin de stabilité. Le monde n'a plus de modèle, mais il cherche des exemples. Le monde peut utiliser l'exemple sénégalais de la stabilité. Il faut avoir la culture de la paix et nous l'avons au Sénégal. Le seul pays aujourd'hui à qui tout le monde parle, à part la Suisse pour sa culture de la paix, et le seul pays qui peut parler à tout le monde, c'est le Sénégal. Le Sénégal peut aller s'assoir avec n'importe qui dans le monde et dialoguer. Le Sénégal est à la fois capable d'avoir des liens avec des Israéliens, des Palestiniens. Le Sénégal est capable d'aller discuter avec ses voisins immédiats quelle que soit la situation et cela nous confère quelque chose d'important, nous avons une part de la solution dont le monde a besoin.

Nous pouvons être un exemple, et mes interlocuteurs à l'étranger citent le Sénégal comme exemple, parce que les pères fondateurs et les différentes alternances ont imprimé en nous un goût pour la démocratie. Véritable berceau de l'universalisme des valeurs et du vivre ensemble, la Téranga a inventé sa République laïque qui, contrairement au paradigme français, ne s'est pas construite dans la séparation d'avec les églises, mais garantit à tous la coexistence des croyances. Nous pouvons être un exemple parce que notre pays dispose d'une administration centrale solidement appuyée sur des principes dont le premier est la séparation des pouvoirs. Ce principe vient d'être illustré par la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko pour diffamation, mais sans le priver de ses droits civiques. Le respect des principes assure la stabilité de nos institutions et évite ce mal qui ronge le fonctionnement démocratique des autres pays en Afrique, en Europe ou en Amérique : la défiance. Notre stabilité repose sur la confiance. Nous devrons retrouver confiance en nous. Le monde attend et veut retrouver un Sénégal confiant.

Le Sénégal célèbre cette année ses 63 ans d'indépendance. Quel message lancez-vous au peuple sénégalais ?

Il faut saluer toutes les forces politiques et sociales, indépendantistes et panafricaines qui l'ont permise. Il faut honorer ensuite toutes les forces de défense et de sécurité qui ont protégé l'intégrité de notre territoire et le fonctionnement de nos institutions pendant ces 63 années. Nous n'avons pas seulement gagné notre indépendance, nous avons aussi maintenu notre intégrité nationale. Pour ces raisons encore, le Sénégal est souvent cité en exemple. Nous sommes salués pour nos militaires présents sur la scène internationale au cours d'opérations de maintien de la paix. Nous sommes salués aussi parce que le Sénégal est un pôle stabilisateur dans sa zone d'influence internationale immédiate. De manière plus diffuse, le soft power de la Téranga s'illustre par ses innovations, ses intellectuels ou ses champions. Nous nous apprêtons à accueillir, pour la première fois, sur le continent, les JO de la jeunesse. Il n'y a pas de plus beau symbole de partage, d'amitié et d'exemplarité. Il ne fallait pas seulement gagner notre indépendance, il fallait aussi défendre notre intégrité 63 ans durant. Il faut continuer, dans un monde en désordre, mais sur un continent en devenir.

Le Président Macky Sall vient de terminer son mandat à la tête de l'Union africaine. Quel bilan tirez-vous de sa présidence ?

J'en ai parlé énormément avec beaucoup de diplomates qui sont plus aguerris que moi sur le plan international et tout le monde me dit « c'est probablement une des présidences de l'Union africaine les plus constructives de ces 30 dernières années ». Un grand projet a été lancé durant cette présidence de l'Union africaine, la question de la souveraineté alimentaire. Cela est arrivé dans un contexte où il est extrêmement important que l'Afrique maitrise, de plus en plus, cette question et cela a été vraiment sous l'impulsion du Président Macky Sall qui l'a posée comme l'un des débats importants au moment où il y avait des pénuries de livraison d'engrais. Sous sa présidence, on a réussi à sauver cela. L'autre chose très marquante est, qu'aujourd'hui, une revendication que nous avons eue depuis très longtemps, grâce à la présidence du Président Macky Sall, l'Afrique va avoir une place au Conseil de sécurité des Nations unies. C'est quelque chose d'essentiel parce que c'est là où se décide l'avenir du monde. Le fait de savoir que notre continent va pouvoir y siéger est quelque chose d'extrêmement constructif pour nous. Sans parler du fait que nous avons une place dans le G20.

Il y a de plus en plus des critiques sur les relations entre la France et l'Afrique. En France aussi, le discours anti-immigrés est de plus en plus véhiculé. Quelle lecture faites-vous de ces débats ?

Depuis plusieurs mois, j'entends dire que les relations entre l'Europe et l'Afrique connaissent une nouvelle phase. On parle de « french-bashing » en Afrique. Nous avons vu des slogans sortir comme « France dégage ». De l'autre côté, nous avons vu un discours antiimmigré ciblé particulièrement contre des noirs. Nous avons le sentiment qu'il y a un point de non-retour. Je pense simplement qu'il arrive un moment entre l'ancien pays colonisateur et l'ancien pays colonisé où cela se cristallise sur certains sujets. Beaucoup d'Africains ont le sentiment, à travers la politique des visas, qu'on les empêche de se déplacer. J'ai passé beaucoup de temps ces derniers mois à alerter et à faire des notes de part et d'autre. Je peux dire aujourd'hui que la situation, par exemple au Sénégal, est en train d'évoluer. La nouvelle consule générale et son équipe mettent tout en oeuvre pour améliorer la situation. Elle m'a expliqué très clairement qu'il y a un manque d'effectifs par rapport aux volumes de demandes de visas qui continue d'augmenter. Les services des visas du réseau français sont entrés dans un système de dématérialisation des démarches administratives, plus moderne, mais plus chronophage. Il y a nécessité aussi de lutter contre les trafics liés aux difficultés à obtenir des rendez-vous. La question des flux migratoires est un phénomène mondial. Il faut que chaque jeune, sur cette terre, ait le droit à la mobilité. La vie, c'est le mouvement et le mouvement, c'est la vie. Ça ne veut pas dire le droit d'aller s'installer parce que personne n'a envie de perdre ses forces vives, mais chaque individu a le droit, pour des questions d'ouverture, de voyager, de se déplacer.

Un de mes grands chantiers est de créer un Erasmus d'un nouveau genre tourné vers l'avenir. C'est un projet universitaire européen qui existe et qui a démontré ces 30 dernières années son efficacité en matière d'échange entre étudiants européens. Avec quelques universitaires français, nous avons décidé de lancer un Erasmus Afrique-Europe sur la formation et l'apprentissage en choisissant des métiers tels que l'agriculture, l'eau, l'énergie, l'environnement, le numérique et tout ce qui est hôtelerie. Par exemple, nous prendrons 10 jeunes Français qui viendront au Sénégal voir l'École nationale d'hôtellerie pour se former pendant quelques mois. L'équivalent de jeunes Sénégalais qui partiront dans ce cadre en France et ensemble ils auront des équivalences de diplômes. Il faudrait que chaque jeune qui parte ait un projet professionnel bien défini. L'immense majorité des jeunes Français que je rencontre au Sénégal se sentent bien dans ce pays et aiment le Sénégal. En France, le nombre d'élus issus de la diversité, on ne peut même pas le calculer. Je suis à 35 ans le premier eurodéputé d'origine africaine et quand je vois plus de 20 ans après le nombre de jeunes issus de la diversité et qui sont élus je dis qu'il y a un vrai progrès.

Vous êtes franco-Sénégalais. Quel regard portez-vous sur la situation politique en France ?

Partout les mouvements populistes, notamment ceux d'extrême droite ont le vent en poupe pour ne citer que l'Italie et le poids électoral du Rassemblement national en France. Ainsi, dans le contexte social en France, débuter l'examen d'un projet de loi sur l'immigration risque de faire passer à côté des préoccupations premières des Français qui sont l'injustice sociale vécue à travers la réforme sur les retraites, le pouvoir d'achat, un thème qui était au coeur de la dernière présidentielle. Agiter le chiffon rouge de l'immigration peut entrainer un regain de xénophobie et l'Exécutif apparaitra comme voulant fuir les questions essentielles. L'immigration doit aujourd'hui être évaluée selon les besoins des secteurs et métiers à tension et sa gestion confiée au ministère du Travail.

Des députés français ont interpellé, à travers une lettre, le Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères sur la situation au Sénégal. Qu'est-ce que vous leur répondez ?

Respecter l'Afrique c'est venir faire des projets de copartenariats, mais pas de donner des leçons de gestion politique aux pays. Cette arrogance de deux députés français est révélatrice de ce vieil esprit colonialiste. Se contenter d'appeler à l'apaisement et souhaiter une réconciliation, voilà ce que font des partenaires respectueux.

Vous envisagez de lancer un projet pour la prise en charge des enfants de la rue. Comment comptez-vous le mettre en oeuvre ?

J'ai quitté Tambacounda quand j'avais 10 ans. J'ai pu faire des études supérieures, diriger une grande association « Sos Racisme », être élu député européen, être nommé membre du Conseil économique et social français. Aujourd'hui, je me retrouve en situation d'être ambassadeur itinérant. Je n'étais pas meilleur qu'un autre enfant de Tambacounda. La vie est faite de travail et de rencontres. J'ai la chance formidable d'avoir en ce moment deux hommes qui se rencontrent : le policier Boubacar Sylla qui devient ami avec l'enseignant Camille Octave Guillot. J'ai eu la chance uniquement d'aller à l'école. L'école républicaine m'a permis d'avoir aujourd'hui tout cela. La place d'un enfant n'est pas dans la rue. La place de chaque enfant doit être à l'école, dans la famille. Ce qui m'a alerté est qu'il s'agit de 120 millions d'enfants qui sont dans la rue dans le monde, dont plus de 30 millions, en Afrique. Je me suis entouré de quelques amis, notamment un jeune brillant étudiant français et ensemble nous avons commencé à faire un travail important auprès des « daaras ».

Ce que nous pouvons faire, c'est d'apporter des soins à tous ces enfants, car vivre dans la rue c'est dangereux et les enfants sont souvent blessés. En amont, nous allons installer des tentes, prendre des médecins pour donner des soins au quotidien. Pour la France, nous allons lancer, à la rentrée, une grande rencontre internationale au musée de la Borderais. Il y a énormément de jeunes mineurs dans les rues en Europe qui sont arrivés par les vagues de l'immigration et il est important qu'on puisse essayer de régler cette question. Nous avons intérêt à protéger ces enfants qui vont faire le monde de demain. Nous allons démarrer symboliquement par le Sénégal et l'on continuera à Paris. Comme je le dis toujours : la jeunesse est l'avenir de notre avenir.

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