Tunisie: De la souveraineté culturelle

7 Avril 2023

Qu'il s'agisse de culture, d'artisanat ou d'industrie, le processus d'ensemble se ressemble. La production est donc une entreprise.

Sans ce postulat, on n'avancera pas vraiment. Tout comme l'entrepreneur qui produit de la harissa ou des meubles. A ce détail près, les produits matériels obéissent à des recettes qui ne changent pas dans le court terme. C'est différent pour une production artistique. Chaque création doit obéir à un concept, une recette, qui peut marcher comme ne pas marcher. Chaque production est inédite et sa durée de vie limitée sauf exceptions.

Au lieu de critiquer les créateurs et producteurs tunisiens, nous devons, d'abord, nous pencher sur la question des moyens dont ils disposent. La fiction étant à la base une production et nécessitant des moyens financiers et humains.

Pour ce qui concerne la question des moyens humains, il faut bien comprendre que c'est un marché ouvert. Un ingénieur ou un médecin peut aller travailler au Canada ou en Europe, dans les pays du Golfe. Idem pour un chanteur ou un acteur. Les artistes tunisiens, quand ils le peuvent, émigrent volontiers à l'étranger, parce qu'ils sont mieux payés et plus visibles. De ce fait, le marché tunisien est en concurrence avec les autres. De même, les produits culturels voyagent sans cinéma. Sur la télévision, des centaines de chaînes permettent d'accéder à des fictions concurrentes, dans toutes les langues. Idem sur les plateformes Netflix et Shahid.

%

Pour ce qui est de ressources matérielles, les moyens de l'Etat sont limités et le privé ne s'est pas vraiment engagé, faute d'attractivité. La production tunisienne tourne presque à sec, en tous les cas, avec les moyens du bord. Et l'on se doit de féliciter producteurs, réalisateurs, artistes et techniciens qui continuent à y croire, à s'y impliquer. Les budgets investis, les cachets, les recettes sont dérisoires, même par rapport à des pays comparables au nôtre. Il faut, donc, trouver un modèle économique qui fonctionne, parce que le problème est essentiellement de moyens, il n'est pas culturel. A titre d'exemple, une fiction égyptienne de 30 épisodes, pour le mois de Ramadan, avec une distribution d'ensemble d'artistes de premier plan, nécessite un budget d'une dizaine de milliards de nos millimes.

A regarder ce qui se fait ailleurs, les Egyptiens disposent d'un marché local immense. De plus, les moyens colossaux du Golfe sont venus en renfort. Troisième facteur avantageux, ils produisent dans leur arabe dialectal qui est compris et apprécié, depuis très longtemps, dans tous les pays arabes, voire arabo-musulmans. Les Turcs, bien qu'ils produisent dans leur langue, arrivent à exporter. Les Syriens, malgré la guerre, se défendent assez bien. Ce qui, hélas, n'est pas notre cas. Malgré l'importance que la Tunisie post-indépendante avait accordée à la culture, d'une manière générale, nous n'avons pas réussi à créer une image d'un pays producteur de fictions internationales.

Avant de critiquer, donc, mettons-nous à la place des producteurs et essayons de créer des conditions pour l'émergence d'une véritable créativité tunisienne multiforme. De la fiction mais aussi de la variété restée archaïque à laquelle il faudra consacrer un écrit spécifique.

Pour bien critiquer, il faut se pencher sur la question de savoir comment avoir des champions nationaux tunisiens de la création artistique et notamment la fiction. Question importante qui relève de la souveraineté culturelle. Maintenant, chaque producteur, dans le respect de la loi, produit ce qu'il veut. Le dernier mot revient au spectateur. Comme il est vain de penser promouvoir une renaissance culturelle dans un pays qui serait hostile aux libertés.

[Cet édito vient après celui de la semaine dernière, publié le 31 mars, sous le titre: «Faire la place aux créateurs quoi qu'il en coûte», qu'il complète]

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.