Maroc: L'appel fera-t-il oublier le tollé suscité par le verdict prononcé en première instance ?

L'opinion publique appelle de ses voeux un jugement qui tranche avec la clémence dont ont bénéficié les violeurs de la fillette de Tiflet

La Cour d'appel de Rabat a reporté jeudi le procès en appel de trois hommes accusés de viol à répétition sur une fillette de 11 ans, et ce pour convoquer la fille qui était témoin des actes de viol.

La première audience s'est déroulée en présence de la victime S. (qui a maintenant 13 ans), de son père et de sa grand-mère, ainsi que de dizaines d'avocats.

Dans une déclaration à la presse, le père de la victime a démenti la rumeur qui circulait sur son désir de marier sa fille à l'un de ses violeurs. "Ce n'est pas du tout possible. Est-ce que je vais la marier à plusieurs personnes ?», a-t-il martelé.

Il a, par ailleurs, remercié tous ceux qui se sont montrés solidaires avec sa fille en disant: «J'ai été surpris par le grand nombre d'avocats. J'ai pleine confiance dans la justice, la loi et les associations qui nous soutiennent, ainsi que le peuple marocain».

Cette affaire a mis toute une société en émoi et suscité l'indignation des associations féminines et des droits humains après une sentence considérée trop clémente de la Chambre criminelle de la Cour d'appel de Rabat qui a condamné le 20 mars dernier à deux ans de prison trois hommes (âgés respectivement de 25, 32 et 37 ans) poursuivis pour «détournement de mineure» et «attentat à la pudeur sur mineure avec violence». En vertu de ce verdict, l'un d'eux a été condamné à deux ans de prison ferme et les deux autres à deux ans, dont 18 mois fermes.

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Mercredi dernier, de nombreuses organisations de défense des droits humains et associations féminines et civiles ont organisé un sit-in devant le siège de la Cour d'appel de Rabat, pour dénoncer les peines jugées «clémentes prononcées pour les crimes de viols et d'agressions sexuelles sur les femmes et les filles», et exhorter l'Etat à assumer sa responsabilité quant à leur protection. Lors de ce sit-in, des slogans ont été scandés condamnant les viols d'enfants, exigeant des peines sévères dans les affaires de viol et d'agressions sexuelles.

Plus aucune forme d'indulgence au Maroc du 21e siècle

Une bien éloquente plaidoirie, voire un réquisitoire, savamment argumentée, signée de la sociologue et écrivaine Soumaya Naamane Guessous, dans une chronique publiée par nos confrères de Le360.

«C'est l'histoire d'un drame humain comme il en existe encore plusieurs, mais qui ne supportent plus aucune forme d'indulgence au Maroc du 21e siècle», a tonné d'emblée Soumaya Naamane Guessous dans sa chronique intitulée «Deux ans de prison pour les violeurs d'une fillette de 11 ans ou l'insoutenable légèreté de la justice». Et la sociologue de relater le calvaire que cette petite fille a enduré depuis des mois.

D'après Soumaya Naamane Guessous, «le viol est lourdement pénalisé au Maroc. L'article 486 du Code pénal stipule qu'un viol est «l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci». Les juges ont-ils considéré que ces viols répétitifs, en bande organisée, par 3 hommes majeurs sur une mineure de 11 ans, ont été consentis?». Et de préciser encore : «Selon le Code pénal, si le viol a été commis sur une mineure de moins de 18 ans, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans (art. 486). S'il y a eu défloration, la réclusion est de 20 à 30 ans (art. 488). On est bien loin des 2 ans prononcés par le tribunal. En outre, ces viols ont eu lieu en bande organisée et ont été répétitifs, ce qui devrait alourdir les peines».

A rappeler que l'Organisation des femmes ittihadies (OFI) s'est dit, dans un communiqué parvenu à Libé, «choquée» et «sidérée» par ce verdict qui n'a pas rendu justice à la victime ni réparé le préjudice qui lui a été causé», soulignant qu'«elle a été victime d'exploitation sexuelle et de viol à répétition par les trois monstres, près de Tiflet, ce qui a engendré la grossesse de la petite fille, comme le prouve l'expertise médicale, qui a confirmé la relation biologique entre l'un des accusés et le foetus».

L'OFI, tout en mettant en avant qu'elle veille toujours au respect de la justice et à son indépendance, considère que «cette sentence va à l'encontre des dispositions de la Constitution du Royaume du Maroc, notamment les articles 117 et 110 relatifs à la sécurité judiciaire et à l'application impartiale de la loi, à la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir, ainsi qu'aux articles du Code pénal qui stipulent des peines allant de dix à vingt ans pour les crimes de viol sur mineur (articles 486-488)», a précisé l'OFI.

Pour cette raison, l'OFI a appelé «les autorités judiciaires compétentes, y compris l'Inspection générale des affaires judiciaires, à ouvrir une enquête urgente afin de révéler les circonstances et le fondement de cette décision, et à éclairer l'opinion publique à son sujet, en prévoyant des sanctions appropriées si le préjudice aux fins de justice et d'équité est avéré».

Elle a également exprimé «sa solidarité inconditionnelle avec la victime de ces actes criminels qui représentent une violation flagrante des droits de l'enfant et une atteinte criante à la morale et aux valeurs communes» des Marocains, et a déclaré être prête à «lui fournir toute forme de soutien et d'assistance durant le procès en appel de ce verdict», tout en appelant à «des peines plus sévères pour les crimes sexuels, et les agressions et violations dont les victimes sont des enfants et des femmes».

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