L'offre de services financiers aux personnes et aux petites entreprises mises sur la touche par le système financier traditionnel formel joue aussi la carte du grand changement. L'option publique d'atteindre dans les meilleurs délais l'objectif d'inclusion financière et le développement rapide des nouvelles technologies de l'information et de la communication font que la microfinance est engagée dans une profonde transformation.
Peu de personnes utilisent encore aujourd'hui le terme de microcrédit, l'appellation initiale de la microfinance qui était étroitement liée aux très petits prêts accordés à des emprunteurs non salariés, ayant des garanties limitées ou inexistantes, pour développer de petites activités génératrices de revenus. Car, désormais, les acteurs du secteur couvrent toute une gamme de produits financiers tels que l'épargne, l'assurance, les paiements, les transferts d'argent, etc.
La microfinance évolue à l'heure actuelle au sein d'un écosystème qui fait jouer différents acteurs qui ne se contentent plus d'encadrer, de soutenir et d'investir dans la bancarisation des particuliers et le financement de très petites entreprises (TPE). « Le marché s'est profondément modifié. L'offre se diversifie et de nouveaux clients sont ciblés. La gouvernance du secteur connait aussi un changement notable », constate Désiré Rakotoarisoa, ancien directeur d'agence à Fianarantsoa de l'un des pionniers du « microcrédit » à Madagascar, qui a lancé ses activités vers la fin des années 1990. Il dirige aujourd'hui l'association Soa Mitambatra qui accompagne les femmes agricultrices à la recherche de financement.
Selon les chiffres disponibles, le secteur de la microfinance touche aujourd'hui plus de deux millions de clients contre moins de six cent mille clients il y a quinze ans, soit une croissance de plus de 300%. Côté encours de crédit, il est passé est passé de 119 milliards d'ariary en 2008 à plus de 1000 milliards d'ariary actuellement. On sait aussi que l'encours de crédit a connu une hausse de près de 50% entre 2020 et 2022, avec une moyenne de 900 000 ariary accordés aux clients. Pour le service de la Coordination nationale de la finance inclusive (CNFI), cette montée en puissance spectaculaire est le fruit de la mutation sectorielle en cours insufflée par la mise en oeuvre de la Stratégie nationale d'inclusion financière à Madagascar.
Mais les efforts en matière de sensibilisation et d'éducation financière portent aussi des résultats. Les campagnes d'informations menées ces dix dernières années ont fait que le taux de pénétration présente une hausse de 21 points depuis 2008. Il est ainsi passé de 13,9% à 35,2%. Chaque année, le taux de pénétration engrange 1,8 point de plus. En outre, l'encours d'épargne du secteur microfinance dépasse actuellement les 900 milliards d'ariary, affichant une croissance annuelle moyenne de 22,43%.
Le numérique au centre du jeu
Mais quels sont les changements qui bouleverse le secteur ? Pour nombre d'analystes, c'est la révolution numérique qui fait partie des principaux facteurs qui transforment significativement le monde de la microfinance. L'arrivée des nouvelles possibilités technologiques pour satisfaire et mieux encadrer les clients force les fournisseurs de services financiers à s'adapter. Mais la digitalisation permet aussi aux Institutions de Microfinance (IMF) d'augmenter leurs revenus et de réduire leurs coûts.
Le cabinet de conseil McKinsey estime que la transformation numérique est à l'origine de la hausse de 45 % de leurs revenus annuels nets : 15 % grâce à une meilleure pénétration des produits et 30 % grâce à une réduction des coûts d'exploitation. Selon l'International Finance Corporation (IFC), la filiale de la Banque Mondiale très présente dans la GrandeiIle dans l'appui à l'inclusion financière, elle réduit le coût annuel du service client de 80 % et réduit de 18 % le coefficient d'exploitation (indicateur classique pour mesurer l'efficacité).
Le numérique permet également de renforcer les interactions avec les clients. Grâce à leurs relations historiques et privilégiées avec des centaines de milliers de clients, les IMF détiennent des données sur le comportement financier de leurs clients. De plus, elles possèdent l'infrastructure nécessaire pour apporter la touche humaine que les clients à faible revenu recherchent. En outre, les institutions financières traditionnelles ont les autorisations réglementaires et la conformité nécessaires pour offrir des services financiers, ce qui fait souvent défaut aux nouveaux acteurs du secteur, notamment les entreprises de fintech.
Mais les IMF dites traditionnelles sont appelées à s'arrimer à la nouvelle tendance du marché. « Elles doivent être conscientes de l'évolution du contexte démographique et culturel, à savoir l'arrivée de la génération Y et de la première génération mobile, pour développer et offrir une expérience utilisateur personnalisée de premier ordre. Une solide expérience utilisateur implique des solutions personnalisées. La manière dont elles sont présentées, doit refléter les comportements, les attitudes, et les habitudes des clients », soutient Herizo Andrianarijaona, consultant, qui a mené une étude sur le comportement des nouveaux clients des IMF dans le domaine de la petite industrie.
La Banque Mondiale, de son côté, ne cesse de souligner que les atouts de la finance numérique et des technologies financières ne fera que favoriser l'accès aux services financiers à Madagascar dont l'inclusion financière est encore « à la traîne », malgré les progrès enregistrés. L'institution de Bretton Woods qui estime que le taux de 20% de Malgaches qui ont accès à des services financiers formels, est encore trop bas. Sans oublier les écarts entre les hommes et les femmes ainsi qu'entre zones urbaines et rurales.
Et la Banque Mondiale d'ajouter que la numérisation des services financiers et les fintech ont la capacité de « réduire les coûts, de remédier aux problèmes d'asymétrie de l'information et d'accroitre la rapidité de l'accessibilité ». Mais l'institution soutient aussi qu'il est important de lever les obstacles afin que « l'argent mobile et le crédit numérique puissent profiter largement aux pauvres ». Elle note, entre autres, le manque d'accès à un internet de qualité, l'accès limité à l'électricité et les coûts associés limitant l'adoption des fintech et des services financiers numériques. À cela s'ajoutent d'autres problèmes comme l'enclavement des régions rurales où le quart des habitants n'a pas de carte d'identité.
Des financements plus « verts »
Mais force est de constater que les appuis pour arrimer la microfinance aux nouvelles tendances sont bien actifs. Le 5 avril, l'Agence française de développement (AFD) a indiqué soutenir à hauteur de 800 000 euros (sur une enveloppe totale de 2,5 millions d'euros) l'expansion géographique et le développement technologique de trois institutions de microfinance locales (Mampita, Sahi et Vahatra) pour « donner les moyens à des micro-entrepreneurs de développer leur potentiel productif et d'avoir accès à des crédits sécurisés, une épargne rémunérée et des services d'accompagnement renforcés (mutuelle de santé, formations, etc.) afin de pouvoir générer et consolider des revenus qui répondent à leurs besoins. Ce projet favorisera également le renforcement des capacités et la diffusion d'innovations au sein du réseau d'IMF partenaires (nouveaux outils de pilotage de performance sociale, digitalisation, etc.).
Par ailleurs, le phénomène de mutation qui secoue le monde de la microfinance est aussi marqué par la nécessité de mieux relever les défis climatiques et de préserver plus efficacement l'environnement. L'heure est désormais à la conception avec les IMF des crédits verts pour financer des activités éco-responsables, pour adopter des pratiques agricoles plus durables, améliorer l'habitat ou encore vulgariser l'accès aux énergies renouvelables.
Ainsi, différents projets ont été lancés pour financer les IMF qui s'orieneant vers le développement des outils pour financer des mesures d'atténuation et d'adaptation aux changements climatiques, tels que des mesures d'économie d'énergie et des technologies à énergie solaire. Les segments vulnérables de la population auront accès au financement de solutions telles que des pompes à eau solaires ou des systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte, des séchoirs à poissons, des logements à faible coût, de l'éclairage solaire et des constructions solaires passives.
Notons que selon la définition donnée par les bailleurs de fonds, la microfinance verte est l'alliance entre la microfinance et les enjeux liés à l'environnement. Il s'agit de l'ensemble des activités de microfinance (micro-crédits, etc.) qui prennent en compte l'impact de l'activité et de l'institution sur l'environnement. Depuis sa création, la microfinance se base sur deux des trois piliers du développement durable qui sont l'économie et le social. Mais depuis un certain temps, les IMF sont appelées à introduire des aspects environnementaux pour marquer la naissance de la microfinance verte.
Aujourd'hui, ce concept séduit et s'impose de plus en plus, surtout que certains micro-entrepreneurs créent des activités relativement polluantes pour l'environnement comme la teinturerie, la petite exploitation minière, la tannerie, etc. Les micro-entrepreneurs sont donc exposés à des risques environnementaux importants, mais exposent également leur environnent local à ces risques.
Meilleurs accès aux services financiers
Les mesures pour changer la donne
Pour qu'au moins 45% de la population puissent avoir accès aux services financiers, notamment ceux proposés par les institutions de microfinance, la Banque Mondiale a recommandé la prise d'un certain nombre de mesures. La première d'entre elles est l'adaptation du cadre réglementaire et politique. Pour cette institution, il est possible de mettre en place un cadre juridique favorable en se dotant de règles précises et prévisibles qui permettent de s'adapter aux changements technologiques, tout en renforçant la fiabilité des produits et services financiers (y compris ceux respectueux du climat), donc la confiance du public.
Un tel cadre doit créer des conditions de concurrence équitables qui favorisent l'innovation, le choix des consommateurs et l'accès à des services financiers de haute qualité, quel que soit le type d'acteur du marché ou de technologie. La Banque Mondiale souhaite également l'adoption de l'identification numérique pour faciliter l'accès aux services financiers. Dans un contexte où la plupart des adultes ne disposent toujours pas de document d'identité officiel, il sera essentiel de veiller à ce que chaque citoyen malgache puisse s'inscrire facilement aux services formels.
Les mesures d'incitation pour stimuler l'accès aux services financiers numériques sont aussi considérées comme indispensables. Il peut par exemple s'agir de concours de business plan destinés aux entrepreneurs des fintech, de mécanismes de réduction des risques et d'aides ciblant les laboratoires d'innovation et les incubateurs. Les start-up dirigées par des femmes auront particulièrement besoin de soutien en matière de compétences, de financement et d'accès au marché. En outre, la Banque Mondiale soutient la mise en place des fondations d'une économie numérique inclusive.
« L'amélioration de la connectivité numérique ne peut avoir l'effet transformateur souhaité sur les débouchés économiques et la croissance inclusive que si elle est associée à un meilleur accès aux modes de paiement dématérialisés et aux autres services financiers, ainsi qu'à un soutien numérique aux start-up et aux entreprises existantes », a-t-elle fait savoir avant de noter qu'il est tout autant nécessaire d'établir une infrastructure de crédit robuste et innovante pour promouvoir un système de crédit numérique sûr et veiller à ce que des exigences d'information adaptées aux nouveaux produits et fournisseurs soient en place pour protéger les clients.
VERBATIM
Noro Andriamihaja,
Senior Financial Sector Specialist auprès de la Banque Mondiale
« Les institutions de microfinance ont distribué 448 000 microcrédits à des micro ou petites entreprises, ce qui a contribué à renforcer leur résilience. Dans le cadre de la Stratégie nationale d'inclusion financière de Madagascar, élaborée avec l'assistance technique de la Banque Mondiale, le gouvernement malgache vise à porter le taux d'inclusion financière à 45%. Les bases d'un cadre juridique favorable au développement des start-up fintech sont en place. De nouvelles réglementations sont en cours pour garantir que les procédures sont proportionnées au risque et ne sont pas inutilement contraignantes. »
Romuald Andriamarosolo,
Directeur général de la Société malgache mutualiste d'épargne et de crédit (SMMEC, ancien OTIV TANA).
« Les Institutions de Microfinance contribuent à sensibiliser la population en menant des campagnes d'éducation financière. L'objectif étant de mieux informer les gens, notamment les jeunes, sur les produits comme l'épargne, le crédit et la mutuelle de santé, mais surtout afin qu'ils sachent gérer leurs revenus et leurs dépenses. La SMMEC, qui dispose aujourd'hui de seize agences et deux cents points de vente sur toute l'ile, a organisé un atelier d'intégration et de formation pour l'éducation financière, en partenariat avec des techniciens du ministère de l'Économie et des finances, de l'Éducation nationale et avec l'appui des experts de l'ONG Aflatoun International ».