Ile Maurice: Violence en milieu scolaire - Une révision du système éducatif réclamée

La vidéo de l'agression violente d'un élève du Mauritius Institute of Training and Development (MITD) de Rose-Belle par quatre de ses semblables, le 29 mars dernier, a choqué tout le monde, obligeant l'institution éducative à suspendre, avec effet immédiat, les agresseurs et à ouvrir une enquête. La ministre de l'Education, Leela Devi Dookun-Luchoomun, a condamné avec véhémence cet acte. Mais cet incident n'est pas un cas isolé. Il y en a eu d'autres dans le passé. Que faire pour stopper cette violence ?

Selon Mahensingh Deonaran, Chartered Psychologist spécialiste en psychologie juridique, la violence dans le milieu scolaire est un fait complexe, relevant de différents facteurs qui s'entremêlent, à savoir les traits de la personnalité, l'entourage social et familial, les influences culturelles, ainsi que les informations consommées via la technologie et les médias, qui peuvent influencer les pensées et les comportements.

À titre d'exemple, la Social Learning Theory, élaborée par le psychologue Albert Bandura. Celui-ci avance que la plupart des comportements humains sont adoptés par observation et par imitation : en observant les autres, on se fait une idée de la manière dont de tels comportements sont pratiqués et, par la suite, ces idées captées servent à orienter nos actions. «Cela va également de pair avec l'idée de récompense ou de punition pour les actions.

Par exemple, si on commet un acte de violence à l'encontre d'une autre personne, en particulier dans le cas des adolescents qui, à mesure qu'ils grandissent, ont des difficultés à maîtriser leurs émotions, une récompense pourrait être d'avoir une meilleure estime de soi et une popularité accrue au sein du groupe de camarades de l'école en jouant au chef de bande, surtout si d'autres camarades participent à l'acte ou encouragent la perpétration de cet acte de violence. En revanche, si la sanction pour cet acte est très sévère, elle peut inciter les agresseurs à réfléchir avant d'agir. Cela dépendra alors de leur façon de penser et de leur raisonnement moral.»

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Dès lors, une grande partie de ce raisonnement moral et la transmission des valeurs commencent à la maison. «Par exemple, si l'enfant est habituellement témoin de violence à la maison, il considérera cela comme un comportement normal. Par ailleurs, avec l'avènement de la technologie, l'exposition illimitée aux contenus médiatiques et aux jeux vidéo violents joue également un rôle», explique Mahensingh Deonaran. «En sus du soutien psychologique, les interventions doivent inclure des approches communautaires, qui doivent être mises en oeuvre avec d'autres acteurs tels que les parents, les chefs religieux, entre autres.»

Présence obligatoire d'un psy à l'école

L'encadrement des élèves et la réduction de la violence dans les établissements scolaires publics étant primordiaux, l'État avait prévu, dans plusieurs des discours budgétaires, de doter chaque établissement du service d'un tuteur, d'un psychologue et d'un conseiller d'orientation. Toutefois, cette mesure ne s'est toujours pas matérialisée alors que la violence scolaire et l'indiscipline augmentent.

De ce fait, Prisheela Yusha Mottee, présidente de l'organisation non gouvernementale Raise Brave Girls, préconise la présence obligatoire d'un psychologue dans tous les établissements scolaires et la refonte des programmes d'études. «Il faudrait réintroduire l'enseignement des valeurs humaines et des modules d'éducation sexuelle, qui prépareront mieux les élèves à développer leur intelligence émotionnelle. Il est également temps d'innover, avec des périodes d'activité comportant des cours tels que le karaté, la méditation et le yoga. Ces mêmes cours peuvent être prolongés après les heures de classe avec l'autorisation des parents.»

De plus, propose Prisheela Mottee, «il est nécessaire d'introduire des cours d'éducation parentale après les heures de classe. Ces cours aideront les parents, qui ont des enfants difficiles dans tous les domaines et en même temps, ils aideront parents et enfants à mieux communiquer entre eux.»

Développement global de l'enfant

Lorsqu'il s'agit de revoir les stratégies, il est nécessaire de considérer la personne dans sa globalité et de promouvoir son développement complet, estime Ziyad Peerbux, enseignant à l'école Le Bocage. Ainsi, les initiatives suivantes pourraient être prises. «Il faudrait mettre en oeuvre le House System, pour un renforcement positif et où les élèves peuvent accumuler des points et des récompenses à chaque fois qu'ils participent activement et qu'ils ont un impact positif.

Tout comme il faudrait organiser des Annual Community Retreats au cours desquelles les enseignants, l'ensemble du personnel administratif et de soutien, les membres de l'association des parents d'élèves, les membres du conseil d'administration, les préfets et les représentants du conseil des élèves, se réunissent pour discuter et planifier la marche à suivre. Ce serait une mesure efficace. L'emploi du temps doit également être significatif et intéressant et ne doit pas être trop chargé en enseignements académiques théoriques.»

Le dilemme des enseignants

Les bouleversements liés à la pandémie du Covid-19 ont aggravé les choses, estime Z.H, enseignante dans une école du Nord. Et comme les classes sont surchargées, avec parfois plus de 30 élèves, les enseignants sont souvent sous pression et ne peuvent accorder l'attention nécessaire aux élèves, qui ont besoin d'une aide supplémentaire. «Bien que nous soyons conscients que certains élèves ayant de bons résultats scolaires ont des problèmes sérieux de comportement, les enseignants ne peuvent pas se permettre de leur offrir une aide supplémentaire ou une prise en charge complète sur une base individuelle.

D'une part, nous ne sommes pas équipés pour cela et d'autre part, cela impliquerait que le programme d'études ne soit pas achevé à temps alors que nous sommes déjà sous pression pour y parvenir après les perturbations dues au Covid-19. Il revient aux décideurs politiques de s'assurer que suffisamment d'enseignants soient recrutés pour prendre en charge tous les aspects du développement des étudiants», confie Z.H.

Instaurer la confiance et la communication

H.D, une étudiante fréquentant un collège dans l'Est, raconte qu'hormis les bagarres physiques entre garçons pendant l'heure du déjeuner ou après les heures de classe, elle a été témoin et a subi des attouchements sexuels. «Étant donné qu'il n'y a personne à qui parler, il est difficile de signaler de telles choses aux enseignants. Et puis, je ne me sens pas suffisamment en confiance pour leur raconter ces choses. Il faut des mesures plus strictes et davantage de dialogue pour instaurer la confiance et la communication à l'école.»

Le directeur du MITD reçoit des menaces

Jeudi, le directeur du MITD de Rose-Belle a mis une mesure de précaution au poste de police de la localité. Il a expliqué que le 3 avril dernier, aux alentours de 15 heures, une trentaine de personnes étaient massées devant l'institut. Ces dernières cherchaient à mettre la main sur des jeunes, qui ont agressé un élève, le 29 mars dernier. En sus de la présence de ces personnes, il dit avoir reçu, le même jour, de nombreux appels venant de numéros différents et ses interlocuteurs, qui étaient très agressifs, lui ont demandé quelles mesures avaient été prises par rapport aux jeunes qui ont agressé l'élève, le 29 mars. Ils l'ont aussi menacé.

Un interlocuteur a même signifié son intention de venir au centre pour infliger une correction aux agresseurs de l'élève. Le directeur du MITD a souligné que le centre est actuellement fermé pour cause de vacances scolaires et que la rentrée est le lundi 10 avril. Il craint que ces personnes, qui sont mal intentionnées, ne se présentent au centre ce jour-là et mettent leurs menaces à exécution. Il a réclamé une présence policière le 10 avril afin d'éviter un éventuel incident. Le directeur a aussi informé le ministère de l'Education au sujet de cette affaire. Comme la vidéo de cette agression est devenue virale, c'est à ce moment-là que les parents du jeune agressé ont pris connaissance de l'incident. La direction du MITD a émis un communiqué notifiant qu'une enquête a été initiée et les agresseurs ont été suspendus de l'institution.

Les précédents

Cette agression violente au MITD de Rose-Belle a connu des précédents. Pour rappel, en janvier dernier, un garçon de 16 ans, fréquentant le collège St Mary's, a été admis à l'hôpital Victoria, Candos, après avoir été poignardé par un 'ami' de classe. Le jeune habitant de Sébastopol a été blessé au dos, au cou et à la tempe, ce qui a nécessité la pose de cinq points de suture. En mai 2022, une élève de 11 ans a été agressée par six camarades de classe à la sortie de l'école à Bambous. Malgré les campagnes de sensibilisation et les plaintes adressées aux autorités, le problème persiste.

Un des agresseurs arrêté deux jours plus tôt avec du cannabis

L'élève, qui a été agressé au MITD de Rose-Belle et qui avait été admis pour des soins à l'hôpital Jawaharlall Nehru, a donné sa déposition durant la semaine à un policier de la Brigade pour la protection de la famille. Il était accompagné de sa mère. Il a raconté comment les choses ont dégénéré entre lui et son ami. Il a expliqué que le 29 mars dernier, il plaisantait avec son ami lorsqu'une dispute a éclaté entre eux. L'ami lui aurait donné un coup de poing et pour se défendre, il l'a repoussé. Peu après, un enseignant est arrivé et ils ont pris leurs places en classe. Il n'a rien dit à son enseignant ni à ses parents par peur de représailles.

Sauf que le lendemain, quatre élèves dont un, vêtu d'une veste noire, seraient entrés dans leur classe et une discussion s'en est suivie concernant l'incident de la veille. Ils s'en sont pris à lui. Ils l'ont giflé à maintes reprises et alors qu'il se baissait pour s'en prémunir, il a reçu des coups de pied au visage et au cou. Ils l'ont aussi menacé pour qu'il ne dise rien à l'administration du centre, ni à sa famille, sous peine d'être à nouveau agressé.

La scène a été filmée par un autre élève et la vidéo postée sur les réseaux sociaux. Elle n'a pas tardé à devenir virale. C'est à ce moment-là que les parents du jeune ont pris connaissance de son agression. Un des agresseurs présumés a déjà eu maille à partir avec la police, ayant été arrêté deux jours avant l'agression par les membres de l'Anti-Drug and Smuggling Unit de Mahébourg. Il avait en sa possession 3,55 g de cannabis et 0,05 g de graines de cannabis.

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